Vendredi soir, 20h30. 12 joueurs des « Improsteurs » (une équipe amateur d’improvisation marseillaise) s’apprêtent à faire leur première « patoche » – c’est-à-dire patinoire, le nom que l’on donne à la scène dans un match d’impro. Ils joueront aujourd’hui entre eux, à six contre six (sept avec les coachs), mais habituellement les ligues s’affrontent entre elles (à Marseille on a aussi la L.I.PHO, la ligue d’improvisation phocéenne).
La maîtresse de cérémonie, une joueuse plus expérimentée, porte des collants résille et un chapeau haut de forme. On a beau être dans une salle de quartier, le décorum est important. Après avoir expliqué le concept, elle fait entrer l’arbitre, en maillot noir et blanc, qui se fait traditionnellement huer par le public. Comme ses deux assesseures, en tailleurs stricts, il fait la gueule. L’arbitre est une espèce d’anti-héros voué à se faire détester ; nous avons même des chaussettes ou des pantoufles à lui lancer dessus – j’imagine que les tomates c’était trop salissant.
Après l’hymne des Improsteurs (public debout, main sur le cœur s’il vous plait), c’est l’échauffement règlementaire : cinq minutes où les joueurs font à peu près n’importe quoi, des étirements exagérés jusqu’aux déplacements dans le public (et là la fille timide qui essaie de se cacher pour ne pas qu’on vienne l’apostropher, c’est moi) (évidemment, plus on se cache plus on est visible). Enfin, les « vraies improvisations » commencent.
Les règles
L’arbitre tire au hasard le thème – un mot ou une courte phrase – et la forme de l’impro. Elle peut être mixte (les deux équipes jouent ensemble) ou comparée (elles jouent à tour de rôle). Le nombre de joueurs peut être libre ou imposé (notons que, lorsqu’il est libre, les joueurs peuvent rentrer sur la patinoire à tout moment). La catégorie concerne la forme proprement dite : théâtre antique (on a eu celle-là, plusieurs joueurs ont formé un chœur qui narrait l’histoire de manière totalement déglinguée et répétait les fins de phrase des personnages), épistolaire (les joueurs font semblant de communiquer par lettres), chantée
… ou tout simplement libre. Enfin le papier tiré par l’arbitre indique aussi la durée, qui va généralement de 30 secondes à 8 minutes.
Avant le début de l’impro, les joueurs et le coach ont vingt secondes de concertation stratégique ; on appelle cela le caucus, comme en football américain, car le match d’improvisation parodie souvent le sport – à la base, le hockey sur glace.
Des gens qui dansent bizarrement – soit à peu près à quoi ressemble un moment pris au hasard dans un match d'impro
A la fin de chaque improvisation, le public vote avec un carton pour l’équipe qu’il a préféré. Un exercice assez facile pour les comparées, où on peut identifier clairement laquelle nous a fait le plus hurler de rire, mais bien plus dur pour les mixtes où les deux parties ont contribué au joyeux bordel. Il faut néanmoins se décider, parce que pour l’arbitre qui compte les points, tourner son carton dans les deux sens c’est pas très sympa.
A tout moment pendant une impro, l’arbitre peut siffler une faute : les plus fréquentes sont « confusion » et « hors-thème ». L’équipe qui totalise trois fautes offre un point aux adversaire – il peut aussi y avoir des fautes personnelles, plus rares, qui se terminent par l’expulsion d’un joueur. Pour le public, la faute est une bonne occasion de jeter sa pantoufle sur l’arbitre.
Quand le « spectacle vivant » est vraiment très vivant
Bien sûr, étant débutants, certains des Improsteurs étaient encore timides ; on admire néanmoins leur sens de la répartie et du rattrapage aux racines – il en faut lorsqu’on vous demande d’improviser pendant trois minutes sur un mot que vous ne connaissez pas (c’est le principe de l’improvisation « dictionnaire »). Ils s’entraînaient depuis un moment entre eux, bien sûr. D’autres joueurs en étaient eux aussi à leur « première patoche », mais étaient bien plus assurés car ils avaient fait du théâtre classique auparavant.
Un match d’improvisation est forcément inégal ; parfois les joueurs partent dans un délire qu’ils sont les seuls à comprendre, on prend un peu de recul et on se demande « Mon Dieu, qu’est-ce qui est en train de se passer ? ». Mais c’est aussi ce qui permet des moments un peu magiques où ils nous embarquent dans un truc totalement tordu et où on les suit – soudain une girafe qui miaule traverse la patinoire et personne n’y trouve rien à redire.
Le match d’impro est très éloigné du théâtre, à moins qu’il ne se rapproche d’une sorte de théâtre burlesquo-absurde où chaque pièce ne dépasserait pas les quelques minutes. Au niveau du ressenti pour le spectateur c’est peut-être plus proche d’un one-man show, mais avec beaucoup plus de gens et un aspect « compétition sportive », toujours bon enfant mais qui rajoute un peu de suspense : qui va gagner ? Est-ce que ce sera notre équipe préférée ? L’arbitre finira-t-il noyé sous les pantoufles ?
Rajoutons que c’est censé être tout public, si vous n’avez pas peur que votre enfant de quatre ans se mette à hurler « DE LA BIÈRE ! » en répétant ce que vient de dire un joueur – histoire vraie. Donc que ce soit en famille ou avec les potes, essayez d’aller en voir un si vous voulez vous faire une idée. Moi je vais peut-être passer sur la patinoire un de ces jours, puisque j’ai enfin trouvé un sport non-dangereux… enfin, pour ça, il faudrait déjà que j’arrête de me cacher dès qu’un comédien me parle !
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Les Commentaires
Et pour les strasbourgeoises, c'est la LOLITA, ligue d'amateurs avec une très bonne ambiance !
Saison qui se termine et reprendra en novembre, mais il devrait y avoir 2-3 spectacles extraordinaires d'ici-là !