Je me souviens, c’était le 21 novembre dernier. Le jour de son anniversaire. Quand je lui ai tendu deux tickets pour le concert de Jenifer, j’ai cru que Valentine allait nous faire une bonne grosse syncope des familles. La larme quasi à l’oeil, elle a déclenché une secousse sismique à force de cabrioler sur la banquette du resto comme une jument mal débourrée. Faut dire qu’elle est fan. Et pas qu’un peu. Ce qu’elle ressent pour la jeune artiste est semblable à ce que j’éprouve en bouffant une tarte tatin ou en écoutant Black Thumbnail des Kings of Leon : c’est fougueux, enflammé, passionnel. « Ses chansons me font du bien au bulbe, son physique, du bien aux yeux. » Valentine la suit en fait depuis Le Passage, son deuxième album sorti en 2004, celui qui contenait le singôle Ma Révolution (que celle qui n’a jamais fait de play-black sur ce titre me jette le premier seau de pisse qu’elle croise). « Tu viendras avec moi, hein hein ? », qu’elle m’a demandé, au moment du dessert. Rah, tendre naïveté. « Bien sûr, mon petit », j’ai répondu, la tronche boursouflée d’ironie. Nan parce que bon. Autant Jenifer, ça m’amusait de la voir se brosser les molaires à Dammarie-lès-Lys avec c’te benêt de Jean-Pascal, autant m’infuser 1h30 de concert, euh … comment dire : trois lettres, mot compte double : NON ! « Tu trouveras sûrement quelqu’un d’autre », j’ai fini par lâcher. Plusieurs mois se sont alors écoulés. La veille du show, cette gueuse m’a rappelée : « Evite de me poser un plan demain soir, mon myocarde s’en verrait brisé. » J’ai donc accepté, les entrailles en peine. Pas envie d’avoir un deuxième cadavre sur la conscience. Mon feu poisson rouge, mort dans un micro-ondes, me tourmente assez comme ça.
Jeudi 10 avril : Jour J
© Robert
18h30 : « T’eeeeeees où ? Les poooortes s’ouvrent ! Vite, maaaaaaagne toi. J’ai pas envie d’être placée près des chiottes. » Mollo l’asticot, mollo : j’arrive ! Pète un coup en m’attendant.
18h31 : Elle rappelle. « Mais t’eeeeeees où ? T’arrives bientôt ? Tu cours, hein ? Tu cours ! »
18h32 : Mon amie m’effraie, me fait penser à ces fans de Tokio Hotel qu’ont des pièges à loup en guise de dents. Des bagues quoi . Et si je rebroussais chemin ? Et si je me jetais délibérément sous un bus, sous un camion-citerne ? Nan, il ne faut pas. Trop jeune pour ça.
18h45 : J’approche du Zénith et aperçois Valentine. Je fais semblant d’être essoufflée, comme si je venais de m’enquiller le Paris-Roubaix. Elle me croit (Millediou, j’aurais pu être actrice).
19h00 : Nous voilà à l’intérieur. « Ça te dérange si on va dans la fosse ? » Bouarf … Ma foi non … Au point où j’en suis, hein : allons-y guillerettement, bras dessus bras dessous.
19h28 : Je procède à une étude anthropologique du public. Beaucoup d’ados aux seins qui poussent, beaucoup de fillettes scotchées au troufignon de môman … Je ne me sens pas à l’aise, pas à ma place. Un gus traîné par sa copine est posté devant moi. Dans son regard, on peut lire les mots « au secours – mayday – pendez moi ». Je compatis.
19h34 : « C’eeeest à bâbord, qu’on gueuleuh qu’on gueuuuuleuh. C’est à bâbord qu’on gueuleuh le plus fort. » Le fan-club de Jenifer me rappelle pourquoi je n’ai jamais voulu aller aux week-ends d’inté. Je hais ces chansons de fond de car scolaire.
19h49 : Tension entre Valentine et deux mômes de 12 ans qui viennent de la doubler. « A votre place, j’aurais honte. Ça ne se fait pas. ». Les gamines, terrifiées, n’osent pas répliquer.
20h05 : Une pâle copie de Corneille assure la première partie. Ses textes me font l’effet d’une soupe Liebig à la morue. « Dis-lui que dans le fond de ses yeux / Je vois le fond de mes yeux. » Hum Hum. Prends garde Baudelaire : t’as du souci à te faire.
20h30 : Des cris porcins s’élèvent dans la salle. Je vois des gens qui se chevauchent, se bousculent. Mais que se passe-t-il ? Dis-moi pas que Benoit XVI est en string tye and die dans le carré VIP ? « Queeeentin ! Queeeentin, fais-moi l’amour » Ok. Je commence à comprendre. Y’a le gagnant de la Star Ac 7 qui prend un bain de foule. Le public est en transe. Pas moi.
20h44 : Deuxième vague de hurlements. Pascal Obispo vient d’entrer dans l’arène. Des filles manquent de s’évanouir. Ont-elles oublié que ce mec là, il y a encore quelques temps, se baladait avec une natte de ninja dans le creux de la nuque ? Ont-elles oublié que ce parti-pris capillaire est contraire à la Constitution française ? Faut croire.
21h02 : Lever de rideau. Jenifer descend du plafond, enfermée dans une bulle lumineuse. Valentine exulte. Que le spectacle commence…
21h38 : Au soleil, J’attends l’amour, Donne-moi le temps … Je critique, je taille, j’esquinte mais je réalise en fait que les tubes du premier album me sont familiers, que je connais les paroles par coeur. Je fredonne, sans honte aucune. Pendant quelques secondes, j’ai 13 ans.
22h03 : Jenifer reprend I want to take you higher de Sly & the Family Stone. L’anglais lui va bien au teint, au grain. Si j’étais elle, je ne chanterais que dans cette langue. Et puis j’irais plus souvent au McDo. C’est vrai, quoi. On la croirait taillée dans un pied de chaise.
22h31 : Extinction des projecteurs. Valentine rayonne, flamboie, achète le poster de son idole au coin merchandising. Cela m’émeut.
22h32 : Sur le chemin du retour, je me dis que je suis quand même une chouette amie. Du genre qui fait des concessions et tout et tout. «Jeeeee suis vraiment, jeeeee suis vraiment, jeeeee suis vraiment phénoménale lalalalala lalalalala » [mode week-end d’inté : ON]
Et toi ? Cap d’accompagner une pote à un concert de Lorie ou d’un(e) quelconque artiste dont tu n’apprécies pas la musique ?
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires
Ca n'aurait rien à voir avec mon amie, mais j'auria pas envie de payer une place pour un artiste que j'aime pas. A la rigueur si elle m'invite OK !
Bon mais pour ce qui est de Jenifer, bah j'suis fan. Donc j'vais pas dire de la merde sur elle Navrée