Mon premier roman, débuté à 12 ans, racontait l’invasion de la Guyane française par une légion de singes intelligents qui capturaient le préfet avant de jeter sa tête dans l’Amazone. Ce livre n’a jamais vu le jour, mais je pense que le Renaudot n’a pas perdu au change.
Depuis, j’ai continué à écrire.
L’autorat, une vocation parfois ingrate
Si tu écris, toi-même tu sais qu’on ne devient pas écrivain par cupidité. Il faut aimer avoir mal aux cervicales, être seule comme une rate et rester locataire toute sa vie.
Dans cette profession, il y a une partition de la souffrance à respecter : pour la culture française, un auteur heureux est un auteur suspect. L’inspiration est une tique qui suce ton âme (analogie plus honnête que celle de la maîtresse capricieuse) et tu rédigeras dans la douleur.
On aime souvent dire qu’un auteur ou une autrice « accouche d’une œuvre », et je ne vais pas vous apprendre que ça fait mal de donner naissance à quelque chose de rectangulaire.
Mon premier roman publié
En 2018, j’ai envoyé par la Poste un manuscrit aux éditions Albin Michel. C’était un recueil de nouvelles uchroniques.
Trois semaines plus tard, je recevais un appel de Lina Pinto, la responsable du service manuscrits de la maison d’édition, qui disait avoir aimé et m’invitait à déjeuner. Je ne crois pas avoir jamais ressenti de joie plus violente qu’au moment de raccrocher. C’était une euphorie très courte, mais bouleversante !
Finalement, ce recueil n’a pas reçu l’approbation du comité de sélection de la maison d’édition. Mais Lina (que je remercie pour son soutien et sa bienveillance) m’a dit de ne pas laisser tomber et d’écrire un roman. J’étais allée à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes au printemps, et tout s’est emboîté : j’allais écrire mon roman sur cette communauté hors norme.
J’ai envoyé mon manuscrit par mail en novembre. II a fallut attendre le bon moment pour le présenter en comité, se plier à des subtilités propres au monde éditorial. Mais j’ai fini par signer mon contrat d’édition un an plus tard, à l’automne 2019.
La publication, prévue pour la rentée littéraire de septembre 2020, a été repoussée (pour des raisons évidentes de pandémie) en janvier, puis à février 2021.
Deux ans, c’est long… Entre temps, je suis devenue vieille et désabusée.
Qu’est-ce qui se passe, quand on se fait publier ?
J’ai été prise sous l’aile de mon éditrice assignée, Véronique Ovaldé (elle-même écrivaine et membre de la Société des gens de lettres, ce qui en a vite fait mon modèle). Etape n°1 : les corrections éditoriales. Les remarques de Véronique ont été précises sans être intrusives, et m’ont donné le recul nécessaire pour peaufiner le roman.
Ensuite, mon livre a été relu par une correctrice spécialisée. Les correcteurs et correctrices sont des professionnels dont on sous-estime l’importance : au-delà des fautes ortho-typographiques, ils contrôlent aussi toute la cohérence formelle du récit (les dates correspondent-elles ? Ce personnage n’avait-il pas les cheveux roux dans le chapitre précédent ?), et c’est indispensable !
Enfin, avant la parution du roman, on observe un dernier rituel : celui du service presse. C’est quoi ? Un moment assez gênant où tu dédicaces ton livre à des personnalités de la culture, journalistes, animateurs et autres gatekeepers
du monde littéraire.
Des pointures parfois célèbres qui n’ont jamais entendu parler de toi et qui, pour la plupart, ne liront pas le bouquin parce qu’elles ont une pile de livres à lire haute comme l’opinion que Beigbeder a de lui-même. Mon attachée de presse a été assez gentille pour m’assurer que si si, quelques-uns le liraient.
Et puis, le 3 février 2021, Qu’allons nous faire de ces jours qui s’annoncent est sorti. Or, le saviez-vous ? Nous traversons une pandémie mondiale qui ruine les plans des auteurs.
2020 et 2021, le duo de la déprime
En février 2020, une bonne moitié de la planète s’est figée comme un lapin devant des phares, moi avec : le Covid-19 avait déboulé et renversé l’ordre des choses. Les sorties littéraires ont été repoussées, les rencontres annulées, et les librairies les plus fragiles ont commencé à fermer.
Ce sont des temps obscurs pour les artistes, les auteurs et autres comédiens. Il est impossible de prévoir dans quel état ressortira le monde de cette encapsulation surréaliste. Les frontières ont fermé, les plannings aussi.
Les indéboulonnables du divertissement restent et heureusement, sinon on finirait tous par manger nos cheveux en écoutant des playlists ASMR.
Les gens voudront-ils encore de nous à la sortie ? Nous, les moins connus, les moins visibles – mais pas les moins pugnaces. Nous qui tremblions d’espoir, qui nous demandions si la reconnaissance de notre travail allait enfin nous rendre heureux ? La société nous demandera-t-elle de produire en masse, comme si de rien n’était, comme si n’avions pas traversé ce long tunnel d’abandon ?
Il y a ceux dont la notoriété était déjà immense, bien sûr, et ceux-là ont amorti le choc.
Pour les autres, ceux qui espéraient beaucoup des années 2020 et 2021, c’est un crève-cœur. Les rencontres, dédicaces et salons ont été annulés. Comme mes camarades auteurs, je me faisais une joie d’aller à la rencontre du public, de faire connaissance avec plein de gens passionnants. Tout s’est cassé la figure. J’ai la chance d’avoir publié, cependant, et mes pensées vont à ceux dont le travail ne se matérialise pas.
La bonne nouvelle, c’est que je prends toujours autant plaisir à écrire ! Parfois, encombrée par l’anxiété et l’envie de bien faire, j’oublie que tout est parti de là. Et que, tant que ce plaisir existe, j’ai une bonne raison d’être radieuse.
Être primo-romancière, c’est aussi des doutes et de l’incertitude
Quand Albin Michel m’a annoncé que j’allais être publiée, je pensais que je pouvais mourir heureuse. Mais le sentiment d’accomplissement m’a posé un lapin : toute occupée à bâtir mon château de sable, je n’ai pas pensé à la suite.
Je n’ai rien ressenti en recevant mon contrat, sinon un début de panique. Et si c’était un malentendu ? Je n’osais même pas me revendiquer du syndrome de l’imposteur parce que j’avais peur d’usurper le titre (visez la profondeur du malaise).
Depuis que je suis publiée, je me sens mal dans mes bottes d’écrivaine. Je n’arrive pas à regarder mon livre dans ses petits yeux numérotés. Je me sens invisible, vulnérable.
C’est paradoxal à première vue, mais pour tout insignifiant que soit un premier roman sous l’ombre d’autres auteurs plus lus et plus talentueux, je suis à la merci des quelques personnes qui achèteront ce livre. La crise que nous traversons amplifie la l’incertitude et l’isolement.
En revanche, ce livre m’a servi de prétexte pour surmonter ma timidité et engager la conversation avec d’autres personnes. J’en avais terriblement besoin ! Et j’en retiens la leçon suivante : que votre objectif soit d’écrire un livre, de prendre des cours de chant ou de faire pousser des radis, l’important c’est de s’aimer sans conditions. Alors n’attendez pas, ne conditionnez pas votre joie de vivre à un accomplissement particulier !
Il faudra plus qu’une pandémie pour nous empêcher d’écrire
Heureusement que les auteurs ont du talent pour reconditionner la réalité dans la boîte qui les arrange. Certains d’entre nous ont peur d’avoir tout raté, de ne jamais rencontrer leur lectorat, de ne plus jamais pouvoir compter sur des librairies ouvertes. Malgré tout, nous sommes des forcenés du rêve et des conteurs têtus : nous allons continuer à écrire.
Il faudra plus qu’une pandémie pour entamer notre appétit de mots et notre besoin de les faire pleuvoir. Alors ne cessez pas d’écrire, si c’est ça qui fait pétiller votre cerveau ! La leçon de la pandémie, ce n’est pas seulement qu’il faut avoir foi en l’avenir : il faut faire la paix avec le présent.
À lire aussi : Lisez « Ce qu’il reste de notre mère », le texte gagnant de notre second atelier d’écriture
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