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C’était le 7 mai 2018 quelque part entre 15h et 16h. À cet instant, j’ai frôlé la mort de très près. Par chance, j’ai été épargnée. Et ça a été le début du reste de ma vie.
Quand la vie bascule sans prévenir
C’était un lundi matin, je partais en covoiturage via un site très connu de Cologne (où habitait mon mec) à Amsterdam (où j’habitais à l’époque). C’était un matin comme les autres : je me suis douchée, j’ai pris mon petit déj’, et j’ai filé attendre le conducteur. Il faisait beau, j’avais hâte de rentrer chez moi, bref, une journée banale.
Je ne m’en étais pas forcément rendu compte dès le début mais l’espèce de gros van du conducteur était dans un piteux état. Nous étions six en tout à l’intérieur, et le conducteur n’était pas responsable : il répondait à son téléphone, conduisait vite, j’avais un mauvais pressentiment mais je me disais qu’on allait bien finir par arriver.
Pendant une pause pour mettre de l’essence, un autre passager me disait qu’il trouvait lui aussi que le conducteur n’était pas sérieux, et un autre faisait une prière… Mais bon, pourquoi s’inquiéter, nous étions presque arrivés malgré la chaleur et les cinq heures de route au lieu de trois en moyenne pour ce trajet.
Et le moment fatidique est arrivé, sans prévenir, bien entendu, à seulement neuf kilomètres de notre point d’arrivée. Pendant tout le trajet, il me tardait de sortir de cette bagnole, mais bizarrement j’avais fini par ressentir une fausse sensation de sécurité en voyant que c’était bientôt fini, alors qu’en fait pas du tout…
Mes dernières pensées quand j’ai cru que j’allais mourir
D’un seul coup, alors que nous roulions encore à environ 90 km/h sur la file gauche de l’autoroute, le conducteur a perdu le contrôle et nous avons tangué très rapidement de gauche à droite.
Tout vibrait fort, et bam, un premier tonneau, puis un deuxième, j’ai juste vu la barrière de métal arriver sur nous, senti mon corps devenir tout léger et lourd à la fois, comme un projectile… Et puis plus rien.
J’avais la vision brouillée par les cris de tout le monde (je ne sais même pas si j’ai crié), la fumée, les débris, une odeur de brûlé. J’en ai la chair de poule rien qu’à écrire ces lignes et me remémorer cet instant.
Ce qui m’a marqué, c’est à quel point la notion de temps et d’espace était différente et extensible, c’était très perturbant. Au premier tonneau, j’ai eu le temps de me dire « c’est con quand même », en me résignant et acceptant que voilà, à cet instant T, j’allais franchir la ligne. C’est fini, Aurélie.
Je voulais attraper la main du passager à côté de moi, je voulais toucher quelqu’un une dernière fois, sentir un contact humain pour ne pas mourir seule, mais sa main me paraissait à des mètres et des mètres.
J’ai eu le temps de penser qu’il était bien trop tôt pour rejoindre ma grand-mère qui venait de nous quitter après une longue et belle vie quelques semaines auparavant.
J’ai pensé à mes parents qui allaient venir chercher ma carcasse sur une autoroute hollandaise et à quel point ils seraient dévastés. Tout ça en quelques petites secondes.
Quand l’instinct de survie rentre en jeu
Lors du deuxième tonneau, ça a ralenti, mon instinct de survie s’est déclenché et je me suis dis : « Peut-être qu’on va s’en sortir, ce serait cool, s’il vous plaît, il faut juste qu’on n’atterrisse pas sur une autre voiture. » C’était ignoble. Cette peur fut la pire, et j’étais tellement crispée et en boule que l’adrénaline a mis des jours à quitter mon corps.
Une fois le dernier impact au sol, j’ai ouvert les yeux, la tête en bas, et j’ai réussi à me décrocher la ceinture de sécurité qui me soutenait dans une sorte d’apesanteur.
La vitre du passager devant moi était cassée et j’ai pu m’extraire. Mais là, j’ai eu le réflexe de me dire : « Merde, je ne sais pas où nous sommes sur la route, il ne faudrait pas qu’en sortant je me fasse percuter par une autre voiture. » Un coup d’œil, puis je suis sortie, apeurée comme une biche, mais me sentant triomphante comme un Olympien.
Quand j’ai réalisé que je venais de survivre à un accident de voiture mortel
Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés au sol enfoncés dans la taule cassée, mais la police était déjà là à ma sortie. Puis les pompiers, les ambulanciers, et la maréchaussée.
Toute cette équipe aux gestes assurés nous a pris en charge et a vérifié notre état de santé ainsi que le véhicule. Imagine une dizaine de professionnels voyant le cadavre de voiture et te disant : « Eh bien, vous en avez de la chance d’être en vie en sortant de ça… »
Je ne le savais pas à ce moment là, mais c’est l’explosion d’un pneu qui a déclenché l’accident. En voyant qu’il perdait le contrôle du véhicule, le conducteur a freiné d’un coup sec (ce qu’il ne faut pas faire !) et c’est ça qui a enclenché les tonneaux.
Face aux secours, je n’arrivais pas à bien parler à cause du choc et je pleurais à chaudes larmes sur ce bord d’autoroute. J’ai vu que je saignais au genou et que j’avais quelques éraflures, mais rien d’autre. Rien. J’étais en un morceau et les autres aussi : un miracle !
Des personnes bloquées dans le trafic derrière nous sont sorties de leur voiture pour nous apporter de l’eau. Jamais je n’aurais cru être si heureuse d’être prise dans les bras de parfait·es inconnu·es, dont j’ai oublié les noms et visages. J’ai plus que jamais apprécié le réconfort de la solidarité.
Les jours qui ont suivi l’accident de voiture
Les premiers jours j’étais « hyper » heureuse, pleine d’entrain, puis une fois le choc encaissé, je me suis sentie abattue. Tout me paraissait absurde, et surtout, j’ai passé trois jours clouée au lit tant mes muscles étaient raides et douloureux. J’avais pris un coup de vieux. Mais j’allais bien, rien n’était cassé ni manquant, j’aurais pu finir dans le coma ou vraiment ne plus jamais revoir la lumière du jour.
La plateforme de co-voiturage a bloqué l’accès à ce conducteur (le véhicule n’avait pas d’
air bag et sa conduite était dangereuse) et m’a offert deux séances par téléphone avec un psychologue. Dans ces moments-là, il faut, je pense, prendre toutes les mesures nécessaires et possibles pour aller mieux.
Les premières heures du lendemain, je me vois en train de nettoyer mes WC et de chantonner, en me disant : « Wahou, j’aurais jamais cru être si joyeuse de nettoyer des chiottes ! ». Et pour cause, j’étais en vie, j’étais en mesure de faire du ménage, et une corvée pénible vaut mieux que la mort. Je me souviens m’être coupé les cheveux toute seule, j’avais spontanément envie d’un rite physique pour marquer le changement.
Ma vie avait changé, mais dans mon cas ce n’était pas comme dans les films, où tout est si radical et soudain. C’était plutôt comme une boule à neige : au début c’est un peu violent, et petit à petit, les retombées sont plus lentes et moins visibles.
Je me suis promis de me cramponner à cette deuxième chance, cette opportunité de prendre soin de ma personne et de mon parcours de vie, promesse qui allait me rester dorénavant. La première nuit, je me suis levée plusieurs fois avec le réflexe de toucher mes jambes et mes bras. C’est bête mais je voulais vérifier que mon corps était encore intact.
Le monde continue de tourner sans moi
Ce qui fut une épiphanie pour moi, ne fut rien de plus qu’une anecdote pour d’autres. Ça m’a fait tout drôle de réaliser que je suis une entité à part entière, et que je ne « dépends pas » du monde dans lequel je vis. Puisque pendant ce temps-là les rues étaient toujours animées, le match du PSG n’a pas été annulé, les trams circulaient comme d’habitude, les oiseaux chantaient, les mêmes émissions de télé continuaient d’être diffusées… Bref rien n’a changé, et la vie suivait son cours.
Bien entendu mes proches et collègues sont venus à mon secours, se sont inquiétés et ont été là pour moi. J’ai tout de même attendu plusieurs jours, après m’être calmée et avoir pris du recul, pour raconter cette mésaventure à mes parents. Il y a ceux qui ont tout de suite dédramatisé, et ceux qui ont fait preuve de trop d’empathie. Chacun réagit à sa manière, et il n’y a pas toujours de juste milieu.
Suite à l’accident, j’ai lâché prise tellement plus facilement. Je me suis délestée de beaucoup de conneries, parce qu’en fait, ces conneries, c’était moi qui leur donnait de l’importance avec la pensée. Je me suis rendu compte que certaines personnes n’avaient pas vraiment leur place dans mon entourage, comme mon ex, par exemple.
Ma nouvelle vision de la vie après mon accident de voiture
Quand d’un seul coup je me suis retrouvée au bord de la route, et que j’aurais fait n’importe quoi pour être prise dans les bras de quelqu’un, je me suis rendue compte que les étrangers sont aussi des personnes, et que je devais être plus gentille avec les autres. La bienveillance ne revient pas seulement à la mode, elle est inhérente à l’espèce humaine.
Après l’accident, je me suis recentrée sur mon monde intérieur et me suis rendu compte de l’importance de le cultiver. Personne ne se souviendra de mon épilation impeccable, de mon merveilleux choix d’eye-liner, mais probablement de ce que j’ai dit, pensé, partagé ou créé.
J’ai réalisé qu’il n’y a pas de meilleur moment que maintenant pour se lancer dans quelque chose de nouveau et oser enfin être qui je suis, dire ce que je pense et en finir avec la sacro-sainte peur de se tromper. J’ai pu faire du tri et revoir ma lecture de la vie, redéfinir mes priorités. Même si bien entendu, je suis toujours un peu blasée si j’ai raté ma tarte aux pommes ou si j’ai trop d’impôts à payer, sauf que je relativise un peu plus vite qu’avant mes peines et déceptions.
Arrêter de me juger et faire preuve de gratitude
J’ai arrêté de prendre le temps pour acquis, alors perdre du temps avec la mauvaise personne, ou rester assise derrière un écran à subir un job que je n’aime pas : BOF ! On a toujours le choix de glisser et de rester longtemps dans la complaisance et le découragement facile, ou on peut choisir de prendre une douche moins chaude, plus stimulante, et plus courte (et c’est bon pour l’environnement en plus).
Je suis quelqu’un qui avait tendance à se plaindre pour un oui ou pour un non, et deux de mes new life resolutions ont été d’arrêter de me juger (me ficher un peu la paix globalement), et de me prendre en main au lieu de me lamenter. Je n’avais plus le droit de me plaindre après tant de chance. J’ai ouvert mes yeux à la gratitude, et j’ai commencé à voir le beau en tout et à m’émerveiller du quotidien. Ce n’est pas toujours si simple, je l’admets, mais cela le devient un peu plus après un tel choc et autant de bol.
Il est vrai que tout se tasse, et que le temps passe à une vitesse folle. Aujourd’hui je ne repense plus trop à cette journée si particulière. Parfois, en voiture, j’y pense encore, car certaines angoisses reviennent sur l’autoroute si je conduis trop vite ou qu’il pleut par exemple. Mais je ne monte plus jamais seule avec quelqu’un que je connais pas.
Cette expérience a changé ma vie
J’ai acquis une certaine confiance en la vie : ce qui doit arriver arrivera, avec ou sans mon accord. Et ce déclic a ôté certaines peurs vraiment inutiles que j’avais concernant l’avenir. Cette expérience m’aura marquée au plus haut point, et changé ma vie à jamais : il y a un an, j’étais avec un mec qui n’avait aucun projet et notre couple s’enlisait, mais je restais. Et je vivais plus ou moins la même chose avec mon job.
Aujourd’hui, j’ai trouvé mon complice de vie idéal, je fais un travail que j’aime (même s’il rapporte moins), je n’ai plus les boules de me lever le lundi matin, et nous attendons notre premier enfant avec beaucoup de bonheur, même si là encore, c’était un accident (d’un tout autre type).
La vie est pleine de surprises, pleine de ce qu’on en fait, mais aussi de choses qu’on ne peut pas contrôler. Alors autant se focaliser sur ce que l’on peut maîtriser, y compris nos émotions, ce sur quoi l’on peut avoir un vrai impact, et aller de l’avant avec de l’optimisme et du cœur.
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