À 15 ans et demi, juste après le début de mes règles, j’ai commencé à prendre la pilule. Ça me semblait être une bonne solution : j’étais en couple, la question de la contraception se posait, et j’espérais que cela m’aide à éviter les douleurs de règles et l’acné. La gynécologue qui me l’a prescrite ne m’a pas vraiment proposé d’autres options.
Deux ans et demi plus tard, j’ai décidé de passer au DIU cuivre — que ma gynécologue initiale m’a d’ailleurs refusé, avant que je change de praticienne — et je l’ai gardé 8 mois, mais je ne l’ai pas trop supporté. Les effets secondaires ne me convenaient pas, et à 19 ans, j’ai décidé de revenir à la pilule contraceptive.
Être fumeuse et prendre une pilule de dernière génération
Ce choix étant entre autres lié à mon acné, c’est une dermatologue que j’ai consultée et qui m’a prescrit une pilule de dernière génération, sans me poser trop de questions. Problème : je fumais régulièrement des cigarettes.
Dans les deux ans qui ont suivi, j’ai continué à fumer et à prendre cette pilule. Je n’avais aucun problème de santé, et aucun besoin de suivi médical régulier : j’allais chez mon médecin de temps à autre, pour des sujets spécifiques.
Jusqu’au jour où à 21 ans, j’ai fait un AVC.
Le Professeur Sophie Cattereau-Jonard, cheffe du service de Gynécologie du CHU de Lille, a pris le temps de nous donner quelques explications sur les liens entre pilule, tabac et risques cardio-vasculaires.
« Il existe plusieurs sortes de pilules. La première, l’oestro-progestative, est la plus classique. Dans sa composition, ce sont les œstrogènes qui peuvent entraîner des risques cardio-vasculaires, car ils modifient la coagulation sanguine. Le sang peut devenir moins fluide ou altérer les vaisseaux sanguins, ce qui facilite la formation de caillots sanguins.
La seconde, la pilule progestative, ne comporte pas de risque ni artériel, ni veineux. Mais on les propose rarement aux personnes qui n’ont pas de facteur de risque préexistant : avec la pilule progestative, les règles peuvent être irrégulières, ce qui entraîne une prise moins régulière de la pilule. Nous, notre but, quand on prescrit un contraceptif, c’est qu’il soit pris ! »
Elle rappelle toutefois que les risques, notamment d’AVC, chez les femmes jeunes, sont extrêmement rares – si elles n’ont pas de facteurs de risque supplémentaires.
« Sans facteur de risque ou antécédent, chez une femme de 20-24 ans, le risque d’AVC en prenant une pilule oestro-progestative pendant un an est environ deux fois plus élevé que chez celles qui ne prennent pas la pilule, mais il reste extrêmement bas. Par contre, si la personne cumule plusieurs facteurs aggravants, les probabilités peuvent être plus dangereuses. »
Pour chercher ces facteurs, avant de prescrire une pilule contraceptive, les médecins doivent procéder à un interrogatoire médical auprès de leur patiente :
« On pose des questions aux personnes qui souhaitent prendre la pilule, pour rechercher certains facteurs de contre-indication. Notamment l’âge, le tabac, les antécédents familiaux, les migraines avec aura (une contre-indication absolue avec la pilule), l’hypertension, un surpoids important, du diabète, un excès de cholestérol ou de tryglicérine, des troubles du rythme cardiaque…
Selon les cas, ne correspondre qu’à une seule de ces situations n’empêche pas de prendre la pilule (dans le cas du tabac, par exemple), mais deux facteurs de risques cumulés deviennent assez dangereux pour qu’on évite de la prescrire. D’autres, comme les migraines avec aura, sont une contre-indication en soi. L’important, c’est de discuter avec la patiente et d’avoir un maximum d’informations à son sujet. »
Un oeil qui vrille, et beaucoup de fatigue
À l’époque, j’étais en stage pour la fin de mon DUT. Ce jour-là, je buvais un café avec des amis après une nuit de fête assez intense. Nous étions allés à la piscine un peu plus tôt dans la journée, et tout se passait plutôt bien malgré la fatigue.
Je ne savais pas encore que l’AVC se manifeste différemment chez les femmes : pour moi, les symptômes de ce genre d’accident, c’était la moitié du visage qui se ramollit et la perte de l’usage du bras gauche.
Rien à voir avec ce qui m’est arrivé. Je me suis levée pour aller aux toilettes, et mon œil a commencé à vriller. Je me suis accrochée à une rambarde, sentant qu’un de mes yeux bougeait dans tous les sens comme celui de Maugrey Fol Œil dans Harry Potter. Je ne me sens pas très bien, assise sur ma chaise, et je me dis que je suis juste très très fatiguée. Après tout, j’ai des amis à la maison depuis trois jours, et je n’ai pas beaucoup dormi.
Personne n’envisage un problème grave
Au moment de rentrer chez moi, je n’arrive pas à marcher droit à cause de mon œil qui part dans tous les sens. Mes parents sont en vacances et pour ne pas passer la soirée seule, je vais dîner chez un ami.
Je parle avec ses parents de mon œil incontrôlable et de ma bouche qui s’engourdit, personne ne s’inquiète : on se dit qu’il faut que j’aille chez le médecin, mais personne n’envisage que ce soit grave, ou que je doive me rendre aux urgences. Les AVC, ça concerne rarement les personnes de mon âge.
Le lendemain, j’ai l’impression que ma langue est énorme
Je vais me coucher pas très sereinement, mais je me dis : « Peut-être que ça ira mieux demain »
Mais le lendemain, je galère à me rendre sur mon lieu de stage. Dans la voiture d’une de mes collègues, je n’arrive pas à m’exprimer clairement et les autres passagers ne comprennent pas ce qui m’arrive.
Sur mon lieu de travail, je ne dis rien : je n’arrive pas à parler, j’ai l’impression que ma langue est énorme, mais j’essaie de rester calme et de gérer ça toute seule. Mon tuteur, voyant bien que ça n’allait pas, finit par me renvoyer chez moi.
Je me dis qu’il faut que j’aille voir un généraliste. J’essaie de courir après le bus, je zigzague difficilement et j’arrive chez le médecin. Je ne la connaissais pas, et elle a été géniale ! Elle m’a orienté vers les urgences, mais elle a aussi su dédramatiser la situation. Pendant un an après, elle m’a d’ailleurs appelée le caméléon (à cause de mon œil qui vrillait), et cela m’a fait beaucoup rire !
Aux urgences, on me renvoie vers une IRM
Mon meilleur ami m’a accompagné dans un trajet laborieux jusqu’aux urgences. Je me retrouve dans une salle pleine de brancards, on prend ma tension et je ne sais pas ce qui m’arrive. Je me dis qu’il doit y avoir des gens dont la situation est plus urgente que la mienne, je n’ose pas demander à ce qu’on s’occupe de moi. J’arrive encore à peu près à parler, et je me demande juste ce qui m’arrive.
Je suis arrivée à 14 heures, et j’ai patienté quelques heures, jusqu’à la nuit. Mon copain de l’époque m’a rejoint. Ma diction s’est de plus en plus dégradée, et j’ai commencé à paniquer. Dès que j’essayais de dire quelque chose, je devais le répéter trois fois. J’avais l’impression de devenir folle, de ne plus jamais pouvoir parler, d’être en errance médicale et que personne ne puisse m’aider…
À 6 heures du matin, on m’a prise en charge et emmené faire un scanner, sans aucun résultat. On m’a conseillé de faire une IRM, sur laquelle on pourait voir plus de choses, mais l’hôpital ne pouvait pas me la faire. Je suis sortie à 8 heures, et je suis rentrée chez moi sans savoir ce qui m’arrivait.
Mon meilleur ami et mon copain étaient présents, et aux petits soins. Mais j’arrivais de moins en moins à manger, à bouger, à me déplacer. Dans la semaine qui a suivi, j’ai essayé d’appeler divers centres d’imagerie de ma région pour pouvoir faire cette IRM.
Après dix jours, on diagnostique mon AVC
Partout, les rendez-vous étaient complets, on me proposait des créneaux lointains, et j’avais l’impression de ne pas m’en sortir. J’ai finalement attendu 10 jours pour pouvoir accéder à des images précises de mon cerveau. Entre-temps, ma situation s’était améliorée progressivement. J’avais encore des problèmes de diction, mon œil allait un petit peu mieux, et je n’avais plus l’angoisse que la situation dure à vie. Mes parents étaient rentrés, et ma mère m’a accompagnée au rendez-vous.
C’est là que j’ai appris que j’avais fait un AVC. On m’a montré les zones de mon cerveau qui avaient été touchées par l’accident, celles liées au langage et à la vision. On m’a aussi expliqué que c’était très, très certainement lié au cocktail pilule et tabac, qui cumulés font augmenter les chances de problèmes cadio-vasculaires.
Étrangement, j’ai été soulagée. Un AVC, on sait ce que c’est, et je savais que je pouvais arrêter de fumer et arrêter la pilule pour que ma situation s’arrange. Les médecins m’ont expliqué que grâce à mon jeune âge, j’avais récupéré assez vite et que j’avais eu de la chance : mon AVC était léger. Il y a des gens de mon âge pour qui cela peut être bien plus grave.
Après mon AVC
L’été qui a suivi, je me suis répété que tout allait très bien et j’ai essayé de ne plus y penser. Mais un an plus tard, j’ai fait une grosse dépression et je pense que ces deux événements sont liés : prendre conscience de sa mortalité à 21 ans, d’un coup, c’est assez difficile. J’ai aussi fait beaucoup de crises d’angoisse.
J’ai arrêté de prendre la pilule et arrêté la cigarette. J’ai déménagé pour mes études, et mon suivi médical a changé : je me sens désormais très écoutée, et très accompagnée.
En janvier 2020, angoissée par l’idée que mon cœur me lâche, j’ai pris la décision de me faire poser un moniteur cardiaque. C’est une espèce de petite clé USB au niveau de mon sein gauche. Chez moi, j’ai un boîtier et une petite télécommande qui me permettent de récolter mes données cardiaques. Si je sens que quelque chose ne va pas, je peux cliquer dessus et cela place des marqueurs sur les données : cela permet aux médecins d’analyser ces moments précis. Ça me donne aussi l’impression d’être moins seule !
Aujourd’hui, j’arrive à relativiser mes crises d’angoisse. Mon suivi est régulier et rassurant, et je suis bien entourée. Je prends des anti-coagulants, et je devrais sûrement en prendre pour toujours. En parallèle, toutes mes analyses médicales sont bonnes. Je prends soin de ma santé, je fais de mon mieux pour réaliser mes rêves sans attendre… Et j’essaie d’éviter de me couper, à cause des anti-coagulants !
À lire aussi : Les femmes meurent des maladies du coeur. Pourquoi ne le savent-elles pas ?
Crédit photo de Une : Karolina Grabowska / Unsplash
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Ajoutez Madmoizelle à vos favoris sur Google News pour ne rater aucun de nos articles !
Les Commentaires