Article publié initalement le 27 mai 2020
Je vais vous raconter le rapport que j’entretiens avec mes boobs, si vous le voulez bien.
Ils ont longtemps été source de complexes, et pourtant je ne suis pas vraiment du genre à complexer… même si, selon les diktats de la beauté, j’aurais plutôt de quoi.
Mon corps, mes seins, mes complexes et moi
J’ai un IMC très élevé (tellement élevé que je suis considérée comme une personne à risque avec le Covid-19), des boutons d’acné qui ne partent jamais vraiment, des cicatrices sur tout le corps (à cause de ma peau qui marque pour un rien, et à cause des années de scarifications pendant mon adolescence), les cheveux secs et gras à la fois, et les jambes potelées, avec de la cellulite.
C’est déjà pas mal comme liste de complexes potentiels, non ? Mais tout ça, je m’en contrefous.
Bien sûr, je ne suis pas insensible, bien sûr certaines remarques sur mon corps ont pu me blesser par le passé, mais j’ai décidé d’en avoir plus rien à cirer.
Parce que ce corps qui était jugé par d’autres était le mien, et qu’il me transportait très bien dans la vie. Good job mon gars.
Même si j’ai des sciatiques chroniques et une hernie discale (à cause de mon accouchement et de mes années d’équitation), même avec mes brûlures d’estomac permanentes et mon très mauvais sens de l’équilibre, j’aime bien mon corps.
Je ne vous dis pas que c’est l’entente suprême, qu’on est comme cul et chemise, mais on va dans la même direction lui et moi, et on se soutient.
Mais il y a une partie de mon corps que j’ai mis du temps à accepter, bien plus que tout le reste : mes seins.
D’où vient mon complexe avec mes seins
J’ai toujours eu des gros seins, et on me l’a vite fait remarquer, sans que je n’aie rien demandé.
On m’a très tôt dit que je ne pouvais pas porter de décolleté sinon « ça faisait vulgaire » (coucou, on ne dit pas ce genre de chose, encore moins à une gamine de 12 ans), mais que je ne pouvais pas non plus porter de col roulé, sinon « on ne verrait que mes seins ».
« Couvrez ce sein que je ne saurais voir… » mais même couvert, ça marche bof.
Vous le sentez, le paradoxe de l’injonction ? Pendant des années, rien n’était suffisant pour faire taire les réflexions, rien n’était jamais assez « correct » : soit on voyait trop mes seins, soit on les « imaginait » trop.
Mais est-ce que c’était vraiment ma poitrine le problème ? Bien sûr que non ! C’était les autres, le problème.
Ils ont créé un complexe qui n’aurait jamais dû exister. Ils m’ont sexualisée alors que ce n’était pas ce que je voulais. Ils sont responsables de ce mal-être qui m’a miné pendant des années, alors qu’ils n’avaient qu’à fermer leur bouche et garder leurs réflexions sexistes et rétrogrades.
La vie serait tellement plus simple pour tout le monde si les avis et les jugements sur le corps des autres étaient gardés pour soi, vous ne trouvez pas ?
Mes seins et moi, un complexe tenace
Quand je dis « assumer mes complexes », ça ne veut pas dire que je n’en ai plus rien à faire et que tous les complexes doivent être éradiqués. Non, je ne suis pas vraiment d’accord avec ça.
Je pense que mes complexes font partie de moi, de ma sensibilité, qu’ils veulent toujours dire quelque chose que je me dois d’écouter.
Mais parfois, je n’ai pas envie d’analyser, de me taper une introspection. J’ai l’impression de le faire en permanence pour tellement de choses… alors sur ce point je baisse les bras, je cache ce que je ne veux pas montrer, je dissimule pour ne pas me faire attaquer.
L’instinct de survie, je pense. En tout cas, ça a longtemps été comme ça que je « gérais » mon complexe au sujet de mes seins.
Mes seins et ma sexualité, une histoire compliquée
Comme je vous le disais plus haut, mon corps a été sexualisé très tôt, à un âge où je n’avais pas encore envie qu’il le soit. À force d’entendre que mes seins « excitaient », « prouvaient que j’étais une bonne salope », j’en ai été dégoûtée.
Je voulais les planquer, je ne voulais plus les montrer, même à ceux avec qui je couchais ou qui partageaient ma vie. Je ne voulais pas que ma sexualité soit assimilée à mes boobs, alors je les planquais. Tout le temps.
Pour vous donner une anecdote : je me suis cassé le bras salement quand j’étais en quatrième, et j’ai eu un gros plâtre qui allait du haut du bras jusqu’aux doigts, le tout avec le coude plié.
Ma mère était déjà décédée, donc je vivais seule avec mon père dont je n’étais pas du tout proche à l’époque : je ne me voyais pas lui demander de m’accrocher mon soutif tous les jours avant d’aller en cours.
Eh bien plutôt que de ne pas porter de soutien-gorge, ce qui aurait pu être une option tout à fait pratique, je me suis organisée pour que ma meilleure amie passe chez moi tous les matins, tous les soirs, pendant deux mois, pour m’aider à mettre et à enlever mon soutif.
Et si parfois elle ne pouvait pas venir, je passais la nuit entière avec.
Mes seins me complexaient tellement qu’il était inenvisageable pour moi de ne pas mettre de soutien-gorge et d’être confrontée aux regards, aux jugements, parfois au désir sexuel des autres.
En grandissant, j’en suis arrivée au point où je portais un soutif en permanence, même pendant que je couchais avec un mec, pour qu’on ne voit pas mes seins glisser sur les côtés si j’étais sur le dos ou pendouiller devant moi pour d’autres positions.
Je ne voulais pas que mon partenaire puisse remarquer que mes seins faisaient leur vie sans être parfaitement fermes sur mon corps. Pour moi, c’était inesthétique, pas excitant, anormal.
Et puis, après moult relations plus ou moins bonnes, plus ou moins douces, plus ou moins toxiques et plus ou moins enrichissantes, je suis tombée sur mon mec, celui que j’ai décidé d’épouser.
Comment mon mec m’a aidée à aimer mes seins
Outre le fait qu’il soit doté d’un esprit doux et intelligent, mon mari a aussi ce pouvoir magique de faire disparaître d’un coup de baguette tous les trucs qui pouvaient me dégoûter chez moi.
Je ne sais pas comment il s’y prend, et je ne sais pas pourquoi tous les cerveaux ne fonctionnent pas comme le sien, mais c’est vraiment magique.
Il m’a appris à aimer mon corps, mes seins, mes jambes potelées, il n’a pas eu peur de me confronter sur mes complexes, sans jamais y mettre la moindre once de jugement.
Il ne m’a jamais mise mal à l’aise, ne m’a jamais fait sentir que mon corps n’était « pas (assez) bien ». Pour lui mon corps n’est qu’une partie de qui je suis : c’est l’ensemble de moi qu’il aime.
Au début de notre relation, même si j’étais déjà bien moins complexée qu’à l’adolescence, je gardais encore des automatismes visant à dissimuler les parties de mon corps qui ne me plaisaient pas.
Je ne me baladais pas à poil devant lui, ou alors très furtivement, je faisais attention à mes tenues pour ne pas montrer des zones de mon corps qui, selon moi, ne me mettaient pas en valeur.
Certes, j’avais déjà arrêté de garder mon soutif pendant le sexe, mais le chemin à parcourir restait long. Et grâce à mon mec, j’ai vraiment réussi à assumer mon apparence, dans notre sexualité comme dans la vie de tous les jours.
Grâce à ses mots, à son regard, à sa bienveillance, j’ai commencé à accepter le fait que même si certaines parties de mon corps, comme mes seins, me déplaisaient, elles pouvaient lui plaire à lui.
Et que ça voulait peut-être dire que mes complexes n’avaient pas lieu d’être, finalement ?
Je n’ai pas un corps bizarre ou anormal, j’ai simplement MON corps, à moi.
Il ne ressemble pas à ceux que je peux voir dans les magazines ou les séries, mais il n’est pas pour autant repoussant. Il ressemble à beaucoup d’autres corps, c’est juste qu’on les voit moins.
J’ai eu besoin d’aide pour faire la paix avec mes complexes
Parfois, on a besoin d’un peu d’aide et de confiance pour s’aimer.
Est-ce que je m’aime davantage aujourd’hui parce que je sais que je plais à mon mec ? Sûrement. Est-ce que si on devait se quitter, je considèrerais mon corps et mes seins aussi mal qu’avant notre rencontre ? Je ne pense pas.
Pendant longtemps, je m’en suis presque voulu d’avoir eu besoin d’un regard masculin pour apprendre à m’aimer, notamment à aimer mes seins. En tant que féministe, c’est toujours délicat de s’avouer ce genre de choses…
Mais je ne pense pas qu’avoir eu besoin de l’aide de mon mari fait de moi une « moins bonne féministe ».
On nous bombarde à longueur de journée avec le self love, le bodypositive, et c’est important, vraiment ! Il est essentiel de dire, de rabâcher même qu’on a le droit de s’aimer, peu importe la forme de nos seins, de nos fesses, de notre corps.
Cependant, ce ne sont pas ces mouvements militants qui m’ont permis de me réconcilier avec le vaisseau qui me porte chaque jour. Ça a aidé, bien sûr, ça a ouvert des portes.
Mais c’est le regard que mon mec porte sur moi qui a tout changé, j’en suis persuadée.
Mes seins sont très gros, ils ne sont pas fermes, ils ne tiennent pas tout seuls, ils pendent (c’était déjà le cas avant ma grossesse, alors après… le drame !).
Mais je peux le dire : je ne les déteste plus, c’est terminé. Même si physiquement ils ne ressemblent pas à ce que j’aurais voulu, ils sont là, et c’est très bien comme ça.
Ils ont nourri ma fille, lui ont permis de bien grandir pendant des mois. Ils sont aussi l’un des trucs que mon mec préfère chez moi. Et ça, oui, ça joue.
Mes complexes et moi, c’est pas terminé mais je m’en fous
Ce que j’ai gagné en confiance reste bien accroché, et le fait d’avoir avancé dans les années m’a aidé à prendre pas mal de recul face à mes complexes. Je me fous bien plus du regard des autres qu’avant, et je m’écoute davantage aussi.
J’ai l’impression d’être plus clairvoyante que je ne pouvais l’être en étant ado ou jeune adulte.
On a tous et toutes des complexes, on est tous et toutes imparfaites, mais je ne pense pas que ça soit forcément une mauvaise chose, tant qu’on ne le vit pas comme un handicap, comme quelque chose qui nous entrave.
Est-ce que mes complexes sont des choses que je peux changer ? Certains oui, d’autres non.
Pour mon poids par exemple, j’ai compris — au bout de nombreuses années de régimes inefficaces — que mes TCA (Troubles du Comportement Alimentaire) ne partiraient pas comme ça. Que si je n’étais pas prête à une réelle introspection sur les causes de ces prises de poids, rien n’y ferait. Que m’affamer ne serait jamais une bonne idée.
Pour mes seins, à moins de faire une chirurgie plastique, il n’y a pas de solution. Est-ce que j’ai envie de passer sous un bistouri pour les faire changer ? Pas pour l’instant, non.
Un jour, peut-être, je ne suis pas fermée à cette idée. Mais pour le moment je me sens capable d’assumer mes deux seins qui portent les décolletés comme personne, qui ont allaité ma fille, qui plaisent à mon mec comme jaja, qui me coûtent un bras en lingerie chaque année.
Et franchement, je commence même à me dire qu’ils sont pas mal, ces deux-là.
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Crédit photo image de une : McKinsey / Rawpixel
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