À 16 ans, j’ai été victime de violences conjugales. Pourtant, à ce moment-là, je n’en avais pas conscience.
Pour moi, les violences conjugales ne concernaient que les adultes. J’imaginais une femme mariée bien plus âgée que moi, cachant des bleus sur son corps : c’est l’image que l’on nous montrait pour illustrer ce sujet, la plupart du temps. Ça ne pouvait pas me ressembler. Ça ne pouvait pas non plus ressembler à des viols, ni à des agressions sexuelles parce que je ne prononçais jamais ces mots. Je pensais être dans une relation d’emprise, qui ne rentrait dans aucune catégorie des violences auxquelles on m’avait sensibilisée.
Être victime de violences conjugales à l’adolescence
Notre relation a duré deux ans, et au début, tout avait l’air parfait. Puis, les violences psychologiques ont commencé. Il faisait des crises de jalousie, contrôlait comment je m’habillais, m’interdisait de poster des photos de moi sur les réseaux sociaux et même de sortir le soir.
Il lui est arrivé de m’insulter et de me faire du chantage au suicide si je décidais de le quitter. Plus le temps passait, plus je m’enfonçais dans un gouffre sans fond. Il m’a enfermée à clef, chez lui à de multiples reprises, seule pendant des nuits entières pendant qu’il sortait s’amuser. J’ai été frappée, insultée et cachée, au sens propre comme au figuré.
Sa famille était au courant, et ils n’ont été d’aucun secours. L’amie avec qui j’ai essayé d’en parler ne m’a pas crue, et a raconté au lycée que mes bleus étaient dus à des automutilations. Quant à ma famille, il avait réussi à m’en éloigner. Pourtant, je ne me suis pas rendu compte que j’étais dans une relation violente.
Pourquoi j’ai choisi de montrer les violences conjugales autrement
J’aurais voulu mieux comprendre, être mieux éduquée à repérer les signes de danger dans ma relation. L’emprise, la possessivité, ce n’est pas normal : on ne possède pas la personne que l’on aime, on ne l’écarte pas de ses proches.
J’aurais aimé savoir qu’il existait des numéros à appeler, des associations qui auraient pu m’accompagner. J’aurais aimé savoir que je pouvais porter plainte.
Sept ans plus tard, à 23 ans, je suis modèle et j’ai choisi de me réapproprier mon histoire par une série de photographies, en mettant en scène une autre représentation des violences conjugales et de celles qui les subissent. Car tout le monde, peu importe la tranche d’âge, peut être concerné. J’ai envie de partager ces photos pour montrer autre chose que ces images « choc » que l’on montre souvent dans les médias, le maquillage pour montrer du sang, des bleus.
J’ai tenu à faire ce shooting à deux parce que souvent, quand on parle de violences conjugales, on ne montre que les victimes. Il n’y a pas d’homme sur les photos, ou ce sont des silhouettes dans l’ombre, et je me suis toujours demandé pourquoi. Est-ce que les hommes refusent de porter ce rôle-là ? Pour moi, c’était important qu’un modèle masculin accepte de représenter le « méchant », que l’on puisse voir une figure masculine actrice de ces violences. Parce que quand on montre une femme seule, on ne raconte pas la totalité de l’histoire.
Accompagnée d’un photographe, j’ai essayé à travers mes choix artistiques de montrer l’emprise, la domination de l’autre, la manière dont cela peut ronger une personne… mais aussi le fait que dans les relations violentes, il n’y a pas que des moments de violence. Il y a aussi des moments de douceur, de tendresse et ce sont ceux-là même que l’agresseur utilise pour manipuler sa victime et la garder sous emprise, l’empêcher de partir.
« Je voulais montrer la domination qui se crée dans l’intimité »
Cette photographie est le reflet de l’étouffement que cette relation a été pour moi. J’avais l’impression qu’il pesait sur moi en permanence, je ne pouvais plus m’exprimer, je ne me reconnaissais plus et je vivais à travers lui. J’étais ado, vulnérable, et il s’est servi de ça pour m’écraser.
Sur celle-ci, je recrée une scène que j’ai vécue : me faire traîner au sol physiquement, mais aussi moralement. Elle représente mon ressenti de l’époque, celui d’être à terre et de ne plus savoir si je pourrai un jour me relever. J’ai choisi de ne montrer que moi et de peu mettre en scène l’agresseur, pour montrer à la fois la violence de la relation, mais aussi le traumatisme qu’elle représente après la rupture, la difficulté à en guérir.
J’ai mis en scène cette photo pour montrer la solitude que j’ai ressentie. Je suis effacée derrière sa silhouette en premier plan, mais je suis aussi seule, murée dans le silence : j’étais persuadée que je ne pouvais pas en parler, que personne ne pourrait m’aider.
Il était capital pour moi de faire apparaître cette photo dans la série. C’est une photo plus intime, sur laquelle la violence se ressent moins. C’est une réalité des violences conjugales, cette phase de « lune de miel » où l’agresseur s’adoucit et où, après une dispute, il me demande pardon et me donne l’impression d’être la personne la plus précieuse sur Terre.
Pour moi, ça fait aussi partie intégrante des relations violentes. Dans mon expérience, et de celle d’autres victimes avec lesquelles j’ai échangé, ces moments amènent à se sentir illégitime à témoigner : on utilise ces moments de « bonheur » pour se dire que sa relation n’est pas violente, alors que c’est un mécanisme cyclique. Mais on ne le montre jamais.
Ce n’était pas simple de me replonger dans ces émotions, mais c’était important et j’ai essayé de le faire de la manière la plus transparente possible. J’aimerais qu’il existe plus de manières différentes de montrer les violences conjugales et les violences faites aux femmes, pour que l’on puisse se rendre compte plus rapidement que ce que l’on vit n’est pas normal. Car quand on est jeune, on ne s’en rend pas compte : ce que l’on vit n’existe pas autour de nous, alors on n’en parle pas. Il faut que cela cesse.
À lire aussi : Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
Crédit photos : Anaïs Z / Les Petits Portraits / C.Stane
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
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