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Source : Unsplash / Nadine Shaabana
Société

J’ai été mariée de force à mon cousin par ma famille 

À 18 ans, alors qu’elle était en vacances au Maroc avec sa famille, Nour a été mariée de force à son cousin. Violée, humiliée et battue avec le consentement de sa famille, elle a vécu un cauchemar avant de réussir à s’échapper et à reconstruire sa vie, libre.

Dans ma famille, depuis toute petite, nous passions nos étés au Maroc. C’était un rituel. J’aimais aller en vacances là-bas pour passer du temps avec mes cousines, avec ma grande-mère et pour profiter du soleil.

J’avais aussi là-bas un cousin d’une trentaine d’années qui passait son temps avec mon frère. Ils sortaient ensemble la journée et à aucun moment, je ne me suis doutée que cet homme avait des sentiments malsains à mon égard. Je le considérais comme mon frère, c’était impossible pour moi d’être son épouse. Je trouvais cela répugnant. J’étais tellement naïve, je n’avais aucun soupçon. 

Le nombre de fois où je l’ai aperçu me regarder ou me défendre auprès de ma famille, je ne voyais aucun mal à cela. Je le trouvais même gentil

« On me disait de faire attention au monde extérieur, mais le loup était dans la famille »

Mais j’ai été stupide, j’ai fait confiance. Je me sentais protégée. Ma mère ne cessait de me dire de faire attention au monde extérieur. Mais le loup était dans ma famille. Aujourd’hui, avec le recul, je le sais : j’ai une famille de malades. Ce sont les bons termes pour les qualifier. Ils me battaient, m’insultaient. Ils me disaient que je n’étais pas comme eux, que j’étais différente. Mon cœur saignait. Le plus dur n’était pas de recevoir des coups, c’était les mots qui me hantaient. Les bleus s’estompent mais les mots restent imprégnés dans la tête et gravés dans le cœur. Mais ma famille était mon repère.

Un été, quelques jours avant de rentrer en France, ma cousine est venue me voir et m’a dit, le plus naturellement possible, que son frère voulait demander ma main.  Sur le moment, j’ai cru à une blague. Mais elle était vraiment sérieuse. Elle m’a dit que j’étais en âge de me marier. Je venais à peine d’avoir 18 ans, je ne connaissais rien de la vie.

Je lui ai répondu que je ne voulais pas, qu’il était comme mon frère. Elle m’a rétorqué que cela se passait ainsi dans notre famille, que l’on se mariait entre nous. J’ai refusé la demande, puis je me suis mise en retrait par peur de la réaction de ma famille.

Le lendemain, ma mère m’a demandé d’aller me préparer pour acheter des cadeaux pour le retour en France. Je l’ai crue. En réalité, on m’a emmenée voir un médecin, sans m’expliquer pourquoi. C’est lui qui m’a annoncé dans son cabinet qu’il allait vérifier si j’étais bien vierge et établir un certificat de virginité. J’ai ressenti une telle humiliation… Je perdais le contrôle de ma vie.

« J’étais mariée sur papier avec un homme dont je ne voulais pas »

Ça a été la première des démarches que ma famille a enclenchées pour me marier à mon cousin. Personne ne m’a demandé mon avis. Mon père me menaçait même parce que je ne voulais pas épouser cet homme. J’étais terrifiée et personne ne voulait m’aider.  

Je ne réalisais pas ce qui se passait. On m’a fait signer des papiers en arabe. Quand j’ai demandé à mon père ce que je signais, il s’est emporté et m’a menacée de mort. J’étais tétanisée. 

Mon cousin, lui, était si fier. La colère grandissait en moi, je voulais juste tout envoyer valser.

Mais ma sœur aînée (qui avait elle-même consenti à son propre mariage arrangé par le passé) m’a conseillée de faire profil bas jusqu’à notre retour en France. Ce que j’ai fait. Il n’y a eu aucune cérémonie, ni fête de mariage. J’étais mariée seulement sur papier avec un homme dont je ne voulais pas. J’étais devenue une marionnette. Après les rendez-vous, ma famille s’était réunie autour d’un repas. J’ai été incapable de rester avec eux. Mon cousin était venu me dire de porter sa bague. Que j’étais sa femme dorénavant. Il m’a forcée à l’embrasser, il m’a touchée sans mon consentement. J’ai tenté tant bien que mal de le repousser. De retour en France, je pensais échapper à cette histoire en me disant que je ne remettrais plus les pieds au Maroc. C’est là qu’il a débarqué en France comme un roi

Le début de l’enfer

À son arrivée en France, mon cousin a été accueilli chez mes parents. Je me suis alors dit que c’était terminé, que je ne pouvais plus rien faire pour empêcher ce mariage dont je ne voulais pas. J’ai essayé d’être forte, de ne pas faire attention à lui, mais c’était très difficile. Ma mère était constamment sur mon dos, à me dire qu’il fallait que je me comporte comme une épouse avec lui, qu’il fallait que je fasse attention à lui. 

À ce moment-là, il dormait encore dans la chambre de mon frère. Ce qui ne l’a pas empêché de m’agresser sexuellement. Il essayait de me bloquer contre les murs, me touchait contre mon gré. J’en ai parlé à ma mère, mais elle n’a pas réagi, m’a juste fait comprendre que je ne devais pas énerver mon mari, que je devais le contenter. 

À lire aussi : Ce que mon mariage arrangé (et mon divorce) m’ont appris sur l’amour

Les agissements de mon cousin ont encore empiré quand ma famille a dû retourner en urgence auprès de ma grand-mère au Maroc. Ils m’ont alors laissée seule avec lui, mon frère et ma petite sœur. Il a profité de l’absence de mes parents pour me violer, pour me faire subir des atrocités. J’ai aussi appris plus tard qu’il avait filmé le viol.

J’ai essayé de me débattre, de ne pas me laisser faire. Alors, pour me punir, il m’a enfermée pendant des jours dans ma chambre, après avoir installé un verrou. Je n’avais pas la possibilité de sortir ou de communiquer avec qui que ce soit. Lui pouvait continuer à me faire subir le pire, à me frapper si j’osais lui dire d’arrêter. Pour effacer ses traces, il me lavait à l’eau de javel. 

Personne ne se souciait de moi parmi les membres de ma famille. J’ai manqué beaucoup de cours, et les seules personnes qui se sont inquiétées étaient mes amies de l’époque. Je sais qu’elles ont tenté de me joindre de nombreuses fois par téléphone, mais mon cousin me l’avait pris. Elles sont aussi venues frapper à la porte de chez mes parents, mais il prétendait que je n’étais pas là. 

Au retour de mes parents du Maroc, mon corps portait encore des traces des sévices que j’avais subis. J’ai tenté de les montrer à ma mère, mais elle n’a rien voulu entendre. Elle m’a reproché de ne vouloir que créer des problèmes, de ne pas respecter son deuil alors qu’elle venait de perdre sa mère, qu’il fallait que j’écoute mon mari. Ce que je lui racontais, elle s’en fichait. 

De mon côté, je subissais toujours les menaces de mon cousin pour ne pas que je parle. Il a profité de mon isolement pour laisser entendre que j’avais couché avec plein d’hommes, il a voulu souiller ma réputation auprès de mes parents. Evidemment, ils l’ont cru, surtout quand ils ont appris que j’avais loupé de nombreux cours pendant leur absence. 

J’ai eu beau leur dire que j’étais à la maison, que je ne faisais rien de mal, ils n’écoutaient que mon cousin. Ma parole n’avait plus aucune valeur à leurs yeux. En plus des violences que me faisait subir mon cousin, j’ai aussi dû essuyer les coups de mon père, de mon frère. La parole de mon cousin était inattaquable. La seule à me croire, à me soutenir était ma petite sœur. Mais elle avait tellement peur qu’elle n’osait rien dire.  

« Mon erreur a été de croire que cela finirait par passer »

Tout s’est encore assombri quand je suis tombée enceinte suite aux viols que je subissais. Un jour, je me suis sentie mal, j’ai fait un malaise qui m’a conduite à l’hôpital. C’est sur place que j’ai appris la nouvelle. J’étais accompagnée de ma meilleure amie de l’époque, qui était venue à mon chevet. Elle s’inquiétait pour moi, j’avais perdu beaucoup de poids, je n’étais plus que l’ombre de moi-même. L’ancienne moi était morte. 

C’est là, sur mon lit d’hôpital, que je lui ai raconté ce que je vivais. Elle m’a tout de suite soutenue, a eu la haine envers ma famille et mon cousin qui me faisaient vivre un enfer. Elle ne m’a pas laissé le choix et a demandé de l’aide à sa mère. Elles m’ont hébergée quelque temps chez elles. C’est la mère de mon amie qui m’a aidée à faire les démarches pour avorter. Heureusement, ma famille et mon cousin n’étaient pas au courant pour la grossesse. Je pense que si lui l’avait appris, il aurait été capable de me tuer. 

Après avoir quitté précipitamment le domicile de mes parents, j’ai dû arrêter d’aller en cours, car je savais qu’ils me cherchaient activement. Ils venaient régulièrement devant le lycée où ils faisaient des scandales pour savoir où j’étais

Mon erreur a été de croire que cela finirait par passer, et que je pouvais donc reprendre les cours au lycée. Un jour, alors que je me rendais à l’école, mon frère et mes deux grandes sœurs ont déboulé en voiture et m’ont attrapée en plein milieu de la rue pour me ramener chez moi. Des témoins ont appelé la police, qui les a retrouvés et mis en garde à vue. J’ai été conduite à l’hôpital, en état de choc. Quand elle a su où je me trouvais, ma mère m’a dit au téléphone que je leur faisais honte, que j’avais déshonoré la famille en m’enfuyant de la maison et en livrant mon frère et mes sœurs aux autorités.

J’ai saisi cette occasion pour lui faire du chantage. Soit je divorçais, soit je les dénonçais. C’est comme ça que j’ai obtenu son accord pour divorcer avec mon cousin. En échange, je devais me taire, et ne pas corroborer ce que ma meilleure amie et sa mère avaient dit à la police. Quand des officiers sont venus me voir à l’hôpital, je n’ai pas eu la force de dénoncer mes parents, de porter plainte

De retour chez mes parents, sans mon cousin

Dès que j’ai eu la confirmation de ma mère que mon cousin n’était plus là, je suis retournée vivre chez mes parents. Mais ça n’est pas pour autant que tout s’est arrangé. Pour eux, je n’étais plus la bienvenue, j’étais folle, j’étais une erreur de la nature qui ne devait pas vivre. 

Ils m’ignoraient, me laissaient manger seule, à part d’eux. Quand ils me parlaient, c’était pour me donner des ordres, pour faire les tâches ménagères. Ça a été très difficile. Même si mes parents avaient fait quelque chose de monstrueux, ils restaient mes repères. Jamais je n’aurais pu penser que c’étaient eux l’ennemi. Je n’osais plus non plus contacter la famille de ma meilleure amie. Je me sentais de trop, partout où j’étais

J’avais à ce moment-là une image très négative de moi. Je n’avais plus confiance en personne. J’avais peur que l’on s’approche de moi. J’avais peur des hommes.

Cela a continué comme ça pendant quelques mois. J’avais arrêté l’école, trouvé un travail. Et, un jour, j’ai appris que ma deuxième grande sœur allait se marier. Je ne connaissais pas son fiancé. J’ai eu un choc lors de la fête de fiançailles en découvrant qu’il s’agissait de notre cousin.

Là, j’ai vraiment craqué. Au milieu des invités, j’ai fait une crise de nerfs, hurlé, jusqu’à ce qu’on me raccompagne dans ma chambre. C’est cet événement qui a tout fait basculer. J’ai décidé de couper les ponts définitivement avec ma famille. J’ai tout fait pour mettre un maximum d’argent de côté pour passer mon permis, trouver un appartement, et me libérer enfin d’eux. 

Dès que je l’ai pu, je suis partie. Mes parents ont probablement essayé de me retrouver, mais je n’ai rien fait pour les revoir. Pour eux, c’était normal d’être mariée entre cousins. Ma mère m’a dit que c’était comme ça, qu’elle aussi n’avait pas choisi mon père, qu’il fallait s’y faire, que c’était la tradition. Que je pensais « comme une Française ». Mais je suis Française, je suis née en France ! L’islam interdisait le mariage forcé, les traditions ont bafoué ma vie. 

Retrouver le goût à la vie

Après m’être défaite de leur emprise, je suis tombée pendant plusieurs années dans une grosse dépression. J’étais morte intérieurement, je ne sortais plus, ne fréquentais plus personne. Heureusement, j’ai eu le soutien de ma meilleure amie. La thérapie m’a aussi énormément aidée. J’ai pu accepter, après quelques années, que j’étais la victime de ce qui était arrivé, et non la coupable. Je suis tombée sur une psychiatre  et un psychologue qui ont pris le temps qu’il fallait pour m’aider à me relever, à retrouver goût à la vie. Le nombre de fois où je voulais mourir, ils m’ont tenue, relevée pour ne plus que je sombre. J’ai un autre regard sur moi grâce à eux.

Il y a des choses qu’aujourd’hui je ne comprends toujours pas. J’ai beau essayer de comprendre pourquoi ils ont agi comme ça avec leur propre fille, je n’aurais jamais de réponses. C’est moi qui suis saine d’esprit, et eux qui ont un problème.

Aujourd’hui, je me suis mariée avec quelqu’un qui m’aime et m’estime, j’ai eu un enfant que je protège de toutes mes forces afin que ma famille ne le connaisse pas. J’ai aussi peur que mon cousin s’en prenne à lui.

J’ai raconté mon histoire dans un livre, Tous coupables: ils m’ont mariée de force (éd. Balland) afin de lutter contre les mariages forcés, pour que ça ne se reproduise pas. Je sais que je prends des risques en médiatisant ce qui m’est arrivé, mais c’est important. 

Le plus dur a été de mettre des mots sur ce qu’on a pu vivre. J’ai été brisée. Mais écrire m’a énormément aidée à recoller un peu les morceaux, à retrouver celle que je suis encore au fond de moi. Aujourd’hui, je suis vivante, j’ai su me relever.  Mon cœur a été en miettes, mais j’ai pu le recoller, même si c’est fragile. Mon cœur revit.

Violences conjugales : les ressources

Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :


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Les Commentaires

3
Avatar de MaiaLea
7 juin 2023 à 11h06
MaiaLea
C'est fou de faire ça à sa propre fille. Le poids des traditions bousille tellement de vie.
Bravo à cette jeune femme pour son parcours de résilience !
8
Voir les 3 commentaires

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