C’est avec beaucoup de joie que Madmoizelle a pu rencontrer cette ambassadrice de l’Unicef au Cameroun, dont la vie a en grande partie inspiré son dernier roman Les Impatientes. Un récit récompensé par le Goncourt des lycéens en 2020, qui a apporté de la visibilité sur ce roman profondément féministe.
Il s’agit du troisième livre de Djaïli Amadou Amal qui narre l’histoire de Safira, Hindou et Ramla au Cameroun, toutes les trois contraintes au mariage précoce et forcé par leurs familles respectives. Une fiction inspirée de faits réels divisée en trois parties, chacune dédiée à l’une des héroïnes et racontée à la première personne. Comme pour vivre au plus près le drame que connaisse les trois personnages.
« Il ne faut pas forcément chercher l’autrice dans l’une ou l’autre des héroïnes. Je me suis quand même aussi inspirée de mon vécu, mais également des histoires de mes amies et membres de ma famille et de toutes les femmes. Ce que narre Les Impatientes n’a rien d’extraordinaire, c’est la norme ici. Toutes les femmes originaires des pays de l’Afrique subsaharienne peuvent se reconnaître dans ce livre. »
Djaïli Amadou Amal
« Le mariage précoce n’est pas un problème dans l’environnement où j’ai vécu et où j’ai grandi »
Djaïli Amadou Amal a elle-même connu le mariage précoce et forcé à 17 ans avec un homme de plus de 50 ans. Son époux était déjà marié à une autre femme, et l’autrice aura deux filles avec cette homme. Mais au bout de quelques années, elle décide de s’enfuir en laissant à contrecœur ses enfants, avec le rêve de publier son récit et de faire bouger les choses.
Madmoizelle : Vous avez été mariée de force à 17 ans, étiez-vous préparée ? Comment cela vous a-t-il été amené ?
Djaïli Amadou Amal : Je ne peux pas dire que j’étais préparée, parce que je viens d’une famille assez éduquée. J’ai eu la chance d’être inscrite à l’école et d’avoir des parents qui ont plus ou moins encouragé les filles à avoir des rêves autant que les garçons. Mais j’étais consciente tout de même de ce qu’il se passait dans mon environnement.
À ce moment-là, je ne m’étais pas forcément rendue compte que c’était un problème. En revanche, le fait de ne pas choisir la personne avec qui je devais me marier, m’a posé un problème. Comme pour toutes les adolescentes du monde, surtout celles qui sont allées à l’école, qui sont ouvertes sur le monde, qui regardent la télévision, des films, qui ont accès à la lecture et qui ont des rêves.
La mariage n’avait jamais été abordé avec vous ? Vous n’avez pas été éduqué dans le but d’être une femme mariée à 17 ans ou d’être une épouse?
Toutes ces choses ne sont pas abordées parce que traditionnellement c’est ça la norme. C’est le contraire qui était anormal. Aujourd’hui trente ans après, les choses changent. Mais à l’époque, c’était un sujet presque tabou.
Nous pouvions poser les questions sur le mariage lorsque nous étions petites, mais à partir de l’adolescence, il y a une sorte de pudeur qui s’installe. Cela s’observe dans Les Impatientes, les questions liées à la sexualité ou au mariage ne sont pas abordées parce qu’elles sont jugées comme honteuses.
C’est la lecture qui m’a donné une ouverture d’esprit et m’a fait ouvrir les yeux sur cette situation. Mais je ne pouvais pas encore l’exprimer.
En revanche, lorsqu’on m’a choisi quelqu’un que je ne voulais absolument pas épouser, j’ai eu le courage de me révolter. Mais évidemment, j’étais dans une société où personne ne pouvait ou ne voulait entendre ce que j’avais à dire. Cela se rapproche beaucoup de l’expérience de Ramla et Hindou dans le roman.
Est-ce le futur marié qui demande votre main à votre famille ? Ou l’inverse ?
C’est toujours le mari qui choisi. Et d’ailleurs, il y a toujours plusieurs personnes qui demandent la main de la jeune fille. À la fin, la famille décide à qui accorder cette main. Évidemment, il est important et même obligatoire dans notre religion de demander l’avis de la future épouse. Mais par rapport aux traditions, cela n’est plus considéré comme nécessaire.
Finalement c’est le père qui a le dernier mot et la fille est obligée de s’aligner sur le choix de ses parents ou de ses aînés. Les femmes sont éduquées à ne pas dire non quand on leur dit de faire quelque chose.
Le mariage repose entièrement sur l’importance du « bon comportement » de la mariée
Une fois mariée, quels étaient les droits de votre mari sur vous ?
Lorsqu’une femme est sur le point de se marier, elle s’attend à des félicitations. Mais chez nous ce n’est pas ce qu’il se produit. Tout est fait dans la douleur. Les membres de sa famille lui disent d’être patiente et ensuite ils lui énumèrent ses devoirs, mais ils oublient de lui énumérer ses droits.
Si le mariage est une réussite, c’est parce que la femme aura fait abnégation de son bonheur, et se sera sacrifiée pour l’honneur de la famille. Elle aura oublié ce qui pourrait lui faire plaisir. En revanche, si le mariage est un échec, c’est tout simplement parce que la femme n’a pas su rester patiente ou digne. En définitive, c’est toujours la faute de la femme.
Ce mot, le mariage, qui est prononcé, à tort et à travers, à chaque circonstance de la vie, pourrait devenir très plaisant pour les femmes, mais il est très difficile à supporter.
Dans Les Impatientes cette énumération de devoirs qui se passe de générations en générations est très bien illustrée dans la partie dédiée à Ramla, et en voici quelques uns :
Respectez vos cinq prières quotidiennes
Lisez le Coran afin que votre descendance soit bénie
Soyez soumise à votre époux
Épargnez vos esprits de la diversion
Soyez pour lui une esclave et il vous sera captif
Soyez pour lui un champ et il sera votre pluie
Ne boudez pas
Ne soyez pas colérique
Ne soyez pas bavarde
Ne suppliez pas, ne réclamez rien
Soyez reconnaissante, patiente, discrète
Respectez sa famille et soumettez-vous à elle afin qu’elle vous soutienne
Que jamais vos parents ne sachent ce qui est désagréable dans votre foyer
Djaïli Amadou Amal, Les Impatientes, p 18
Vous avez plusieurs enfants, donc, que vous avez eu avec votre mari. Est-ce qu’ils vous ont posé des questions sur votre couple ?
Quand je suis partie, mes filles avaient 6 et 7 ans. Elles ont compris certaines choses, mais elles étaient encore très petites. Elles ont aussi été les victimes collatérales de mon départ. Parce que la première chose que mon ex a faite c’est de kidnapper les enfants, en les gardant chez lui avec son autre épouse. Puis il m’a empêché moi et ma famille de les approcher.
Dans cette société, le plus riche est le plus puissant, et il a toujours raison sauf si nous avons les mêmes armes que lui. À la fin, je pense même que mes filles ont quand même compris pourquoi je suis partie et que c’était surtout pour elles. Le plus important aujourd’hui c’est qu’elles soient extrêmement épanouies, mais aussi très fières de ce que je fais et de ce que j’ai pu faire de ma vie.
Vous avez pu les revoir à quel âge ? Êtes-vous en contact avec elles ?
J’ai pu les voir au bout de deux ans. Pas comme je le voulais bien sûr. Je ne les voyais que quelques heures ou une soirée. Aujourd’hui, elles ont choisi de ne pas se marier et d’aller à l’Université. Elles ont 20 et 21 ans, elles sont adultes, mais il y a toujours les pesanteurs socioculturelles qui ne leur permettent pas de venir passer les vacances avec moi par exemple. Autrement elles se couperaient de leur père, et ce n’est pas non plus ce que je souhaite.
Aujourd’hui, avec les nouveaux moyens de communication, nous discutons beaucoup. Nous ne vivons pas dans la même ville, mais quand je vais dans ma ville natale, je peux les voir quand je veux, où elles viennent me voir aussi quand elles en ont envie.
Je suis très fière des femmes qu’elles sont en train de devenir. La première est en train d’entreprendre des études de juriste. La seconde est en communication et compte se diriger vers les relations internationales. Elles essayent de construire leur avenir et de construire leur vie. Elles lisent beaucoup ! D’ailleurs elles me harcèlent pour avoir ce roman (rires).
Mon ex mari n’aurait pas pu couper tout lien entre mes filles et moi, ça aurait été beaucoup plus compliqué, surtout qu’il vit dans une ville où tout le monde me connaît. Même si c’est vrai qu’il m’a fait énormément de mal en m’empêchant de voir les enfants et en les empêchant de me voir. Mais maintenant il ne peut plus rien faire.
Je pense que c’est surtout par orgueil qu’il a agi de la sorte. Il ne voulait pas accepter que je le quitte ou que je lui désobéisse. Mais je ne voulais plus avoir à être patiente. Je ne voulais plus supporter les violences physiques ni les violences psychologiques. Je ne voulais plus être maltraitée, oppressée, je voulais faire quelque chose de ma vie.
« J’ai pris conscience qu’il fallait que je le fasse pour sauver ma peau. »
Comment avez-vous réussi à vous sauver de ce mariage forcé ?
N’importe quelle personne qui fait face à des violences finit par avoir un sursaut de survie et sait qu’elle doit prendre une décision. Je savais que la solution n’était pas de rentrer chez mes parents, car ils allaient me renvoyer.
Ce n’était pas non plus de continuer à supporter. Il fallait que je trouve le moyen de m’en sortir. J’ai donc quitté la ville, je me suis achetée un billet d’avion. Pour me punir, mon ex-mari est passé par toute forme de chantage, y compris taper les filles.
Si je m’en suis sortie, c’est parce que je n’avais pas d’autre choix en réalité que de réussir, pour les sauver elles aussi du mariage précoce et forcé. Je savais que c’était ce qui les attendait si je ne faisais rien. Je voulais avoir une voix suffisamment forte pour toutes les femmes qui n’en avaient pas.
Avez-vous été soutenue ?
Oui par mon plus jeune frère, qui habitait à ce moment-là à Yaoundé (capitale du Cameroun). C’était déjà un rebelle à sa manière, il avait une mentalité très moderne pour l’époque. Je l’ai appelé, en lui disant que je n’en pouvais plus.
Il a tout de suite accepté et m’a invité à venir chez lui. Il a été là pour moi et nous avons passé des moments difficiles, mais également ces moments de fous rires, pendant ces trois années durant lesquelles je me suis affirmée où j’ai trouvé du travail.
Je n’avais jamais travaillé de ma vie. J’ai dû apprendre à prendre un taxi, à payer des factures et gérer mes dépenses… Tout ça a vraiment été une renaissance. Et j’avais toujours le rêve de publier qui me trottait dans la tête, mais je ne savais pas ce qu’était une maison d’édition.
J’ai d’abord trouvé un groupe de personnes qui s’intéressait à l’écriture. J’ai eu la chance de trouver un atelier qui se tenait à l’Université de Yaoundé, et qui était tenu par le professeur de littérature et droit africain. Il m’a immédiatement accueilli, et m’a mis en contact avec le groupe où je me suis fait de grands amis et dans lequel nous poursuivons tous le même rêve. Et puis finalement j’ai rencontré mon éditeur camerounais.
Pendant plus d’une année, tous les samedis, j’ai suivi des ateliers d’écriture. Je me suis améliorée, j’ai compris le processus d’édition, etc. C’était très difficile parce que je suis tombée d’un seul coup dans un monde que je ne connaissais pas. Et en même temps, je voyais aussi l’autre côté : le harcèlement au travail, le harcèlement sexuel, le fait de se faire virer parce qu’on a dit non.
À un moment j’en ai eu tellement marre que j’ai vendu tous mes bijoux en or, je me suis achetée un ordinateur et j’ai écrit mon roman. Je l’ai édité et je suis rentrée chez moi en me disant : « j’ai fait quelque chose ! Que vous le vouliez ou pas je n’ai plus l’intention de me taire. »
Ma famille ne m’a jamais abandonné en réalité. J’ai évoqué mon frère parce que c’est celui qui m’a vraiment soutenu. Si j’étais allée voir ma mère ou mes tantes en leur disant : « je vais quitter mon mari », elles ne m’auraient jamais dit oui. Mais je les ai mises devant le fait accompli, donc elles n’ont pas eu le choix que de me soutenir.
La question se pose si je devais écrire une suite pour le personnage de Ramla : est-ce que sa famille la rejetterait, est-ce qu’elle pourrait revenir ? Sa famille lui en voudra mais elle lui pardonnera surtout si elle réussit. Ce qu’on ne pardonne pas c’est de ne pas réussir, on n’a pas le droit à l’échec.
Aujourd’hui ma mère est très fière. Dans ma ville, les gens sont très fiers aussi parce que je suis quand même la première écrivaine de tout le Grand Nord Cameroun. Même si les réactions ou les sentiments peuvent être assez mitigés, parce que les gens ont peur du changement. Mais à un moment il n’y a plus le choix. Il faut voir les choses en face. Malgré tout, certains se sont dit que j’avais fait quelque chose d’extraordinaire et que je pourrais être un modèle pour les plus jeunes.
« Je tiens à dire haut et fort que la lecture m’a sauvé la vie »
Comment la lecture et l’écriture se sont imposées à vous ? Qu’est-ce qui vous a motivé à vous lancer dans l’écriture ?
J’ai commencé à lire très jeune, et rien d’autre n’avait autant d’intérêt que les livres dans mon environnement. J’étais dans une ville où il n’y avait ni librairie, ni bibliothèque. Il y avait aussi beaucoup d’abandon scolaire, surtout pour les filles. Beaucoup d’entre elles n’étaient même pas inscrites à l’école.
De mon côté, je suis tombée sur les livres par hasard. À partir du moment où ils sont entrés dans ma vie j’ai toujours cherché à lire. Dès que j’avais quelques sous, j’allais dans ce que nous appelons les « poteaux ». Ce sont des petites librairies, un peu comme des brocantes, où des vieux livres sont vendus à même le sol. Je ne sais pas d’où ils provenaient.
Nous pouvions lire un livre, le ramener, donner quelque chose au vendeur et prendre un nouveau livre qu’on avait pas lu. C’est comme ça qu’on avait parfois de très bons livres à disposition.
Ensuite, lorsque je me suis retrouvée dans les difficultés d’adolescente mariée. Il me fallait un refuge, et il ne se trouvait pas chez mes parents qui me renvoyaient d’où je venais à chaque fois. Ce n’était pas non plus à l’école parce que mes camarades de classe étaient pour la plupart mariées et avaient abandonné. J’étais la seule à persévérer, à être mariée et à continuer à aller encore au lycée, et ça c’était aussi difficile. La lecture a été mon seul refuge.
Quand je lisais, je pouvais me retrouver où j’avais envie d’être sauf dans la réalité. J’essayais d’aller le plus loin possible et non seulement géographiquement, mais même un changement d’époque. Je suis tombée amoureuse du Moyen Âge et des romans historiques. Je me suis aussi beaucoup intéressée à la littérature africaine. Elle dépeint un environnement que je connais, et me parle des problématiques que je rencontre.
Concernant l’écriture, j’ai toujours écrit des petites choses : mes pensées, un journal intime.
Un jour j’ai pris un agenda et au bout d’un moment, je me suis rendue compte que j’étais en train de m’écrire. J’écrivais tout ce que j’avais vécu et tout ce que je vivais. Je me suis aperçue que ça me permettait de me confier. J’avais trouvé l’espoir qu’il me fallait, et j’ai continué pendant 10 ans, d’abord à la main puis à l’ordinateur quand j’y ai eu accès.
J’avais terminé mon lycée et je m’étais engagée dans une formation de secrétariat ce qui m’a permis d’apprendre à me servir d’un ordinateur. Il s’est passé dix ans entre le début de ce que j’appelais un manuscrit jusqu’à la fin.
Je n’avais pas la moindre idée de comment le publier. Mais quand je suis partie, évidemment, c’était l’occasion de réaliser ce rêve. Je me disais peut-être que ça pouvait servir à quelqu’un et j’ai eu le courage de le montrer à une maison d’édition, mais il n’a pas été publié.
Puis j’ai écrit un deuxième test qui n’était pas autobiographique. J’ai décidé de mettre de côté ce premier manuscrit que j’avais écrit dans un moment de colère et de publier le second. Mon premier roman fut un succès immédiat : Walaande : l’art de partager un mari. Il aborde la polygamie, le mariage précoce et forcé. La condition des femmes et les violences faites aux femmes. J’avais 35 ans et ça faisait 18 ans que j’étais mariée.
Djaïli Amadou Amal milite aujourd’hui pour la promotion de l’éducation de la femme et de la jeune fille au travers de sa propre association Femmes du Sahel
De quelle manière intervenez-vous auprès des jeunes filles pour prévenir les mariages précoces et forcés ?
Lorsque j’ai publié mon premier roman, j’ai été immédiatement approché par l’ambassade des États-Unis pour un programme de leadership. J’ai suivi une formation sur le leadership féminin. À mon retour, je me suis dit que j’avais publié un roman, j’ai libéré la parole, mais qu’il fallait que je fasse quelque chose de concret sur le terrain. C’est là qu’est née l’idée de créer cette association.
Elle prône l’éducation des jeunes filles et leur développement, c’est-à-dire les accompagner dans des activités génératrices de revenus. Si les femmes n’ont pas droit à la parole c’est parce qu’elles ne gagnent pas d’argent. C’est un facteur très déterminant. Et donc, aujourd’hui, je pense que le volet éducation prend beaucoup plus d’importance que le volet développement de notre association. C’est la base.
Nous travaillons sur le terrain, en commençant par inscrire les petites filles à l’école. Nous savons que dans les zones rurales, où nous intervenons le plus souvent, les familles n’ont pas suffisamment de moyens. Nous envoyons d’abord les garçons à l’école, et nous achetons les fournitures des garçons avant celles des filles. Hélas c’est plus facile…
Traditionnellement, c’est plus normal d’envoyer les garçons à l’école pour qu’ils apprennent un métier. Les filles sont destinées à être mariées, à être de bonnes épouses et mères de famille. Et donc, c’est plus important de rester à la maison et d’apprendre la cuisine, à aider les mamans dans les travaux ménagers, etc.
En sachant cela, nous parrainons 80 % plus de filles que de garçons au travers de notre association. Nous aidons aussi des garçons qui sont dans des situations difficiles, mais davantage de filles. Nous payons leur scolarité, nous donnons des fournitures scolaires, des livres aussi et parfois des uniformes et des crayons.
Nous créons des bibliothèques dans les centres culturels. Dans certaines zones, l’enfant peut terminer sa scolarité sans en avoir vu de sa vie. C’est pour cela que je tiens à dire haut et fort que la lecture m’a sauvé la vie. Il faut que je puisse mettre à la disposition du plus grand nombre de filles possible des livres. Des ouvrages de toutes sortes, des livres pour enfants, des bandes dessinées, des manuels scolaires aussi…
Et puis, nous menons des campagnes de sensibilisation dans les collèges et les lycées. Les thèmes tournent autour de l’importance de l’éducation pour les filles et comment se prémunir des violences et des mariages précoces et forcés. Nous nous appuyons généralement sur une de mes œuvres, que ce soit Walaande ou alors Les Impatientes, et nous pouvons évoquer tous ces sujets.
Mais nous faisons aussi d’autres types de sensibilisation. Nous parlons avec les parents et les leaders communautaires sur l’importance d’envoyer et de maintenir les filles à l’école.
Nous leur montrons qu’il y va de leur propre intérêt de ne pas envoyer les filles en mariage à 12 ans ou à 13 ans, parce que les conséquences peuvent être dramatiques. Même sur le plan financier, parce qu’au bout de deux ou trois ans elles sont répudiées et renvoyées chez les parents avec un enfant à charge.
Elles sont trop jeunes pour tenir un foyer, et il n’y a aucune sécurité autour de ces mariages puisqu’il n’y a pas d’actes de mariage. La femme n’a pas eu le temps d’apprendre un métier, elle a un enfant à charge et revient chez ses parents qui devront s’en occuper.
Elle est complètement abandonnée à elle-même, très jeune et souvent complètement dépressive. Il ne faut pas oublier également beaucoup de maladies psychosomatiques, on le voit dans Les Impatientes avec le cas de Hindou qui subit une dépression. Mais également d’autres maladies ou d’autres problèmes de santé liés à leur jeune âge et au fait que leurs corps n’est pas suffisamment développés.
De plus, certaines vivent dans des environnements où elles n’ont pas été suivies durant leur grossesse. Nous avons beaucoup de cas par exemple de fistules obstétricales. Et quand les femmes souffrent de fistules, elles sont complètement abandonnées à elles-même, marginalisées, mises au ban de la société. Nous travaillons beaucoup sur le terrain aujourd’hui, d’autant plus que je suis aussi ambassadrice de l’Unicef au Cameroun et cela me permet aussi de mener des actions à plus longue portée.
Je ne dissocie pas vraiment mes activités d’écriture de celles de l’association parce qu’elles se complètent. Ce que je décris et ce que je défends dans le roman est ce que je défends aussi sur le terrain. Je peux aussi faire des plaidoyers auprès des organismes internationaux, mais également auprès des États pour que les choses puissent changer.
« Les Impatientes concernent toutes les filles du monde entier »
Les Impatientes parle des violences faites aux femmes et du patriarcat. En réalité, cela concerne toutes les filles du monde entier. Évidemment le mariage précoce et forcé n’est pas un sujet qui touche beaucoup de françaises. Cependant quand le récit aborde le harcèlement, c’est un problème commun. Le personnage de Ramla subit des violences physiques, du viol, et il y aussi les féminicides.
Quand à Safira, elle ressent exactement ce qu’une femme française peut ressentir si son mari la trompe avec une femme plus jeune. Il faut voir l’universalité dans Les Impatientes. Une pépite disponible depuis le 8 janvier aux éditions J’ai Lu.
« Nous devons prendre conscience que nous sommes précieuses, prendre conscience que cette jeune fille, peu importe où elle est, elle doit prendre sa place et aller jusqu’au bout de ses rêves. »
Djaïli Amadou Amal
À lire aussi : Djaïli Amadou Amal remporte le Goncourt des lycéens avec « Les Impatientes »
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
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