Le 23 février 2021
J’ai une poitrine tubéreuse, ce qui est considéré comme une « malformation des seins » par la médecine. En raison de cette particularité physique, les opérations de chirurgie esthétique mammaire me sont remboursées par la sécurité sociale.
Sauf que moi, je n’avais aucune envie de me faire opérer. L’idée d’avoir des corps étrangers dans la poitrine ne me plaisait pas, et j’aimais avoir un petit bonnet A. J’ai donc essayé d’accepter mes seins sous leur forme naturelle, en les mettant en valeur notamment par des photos artistiques, par exemple.
Je n’ai jamais voulu de prothèses mammaires
Sans les trouver « beaux », j’avais réussi à me dire que je « ferai avec » mes seins.
Cependant, j’étais toujours très gênée quand il s’agissait de les dévoiler. J’avais le réflexe de pincer mes tétons discrètement en enlevant mon soutien-gorge pour qu’ils aient une « meilleure forme » aux yeux de mes partenaires, ou pour qu’ils aient l’air plus « mignons » sur mes photos artistiques.
À 19 ans, suite à une rupture amoureuse, j’ai fini par changer d’avis sur la chirurgie : je me disais que « réparer » mes seins me rendrais plus désirable. Toutefois, comme j’adorais avoir une petite poitrine, j’avais décidé que je ne voulais pas de prothèses pour en augmenter la taille.
J’ai commencé par rencontrer deux chirurgiens esthétiques. Tous deux m’ont en reçue en consultation très rapide (dix minutes), car ils enchaînaient les rendez-vous. Ils m’ont proposé des solutions différentes, mais toujours avec des prothèses mammaires, alors même que je leur avais expliqué que je n’en voulais pas. Je me suis sentie très peu écoutée, et incomprise, alors j’ai abandonné ce projet.
En 2017, après une autre rupture, difficile, j’ai changé d’avis à nouveau. J’ai rencontré une nouvelle chirurgienne, qui a su me mettre à l’aise pendant une consultation plus longue. Elle avait l’air de savoir ce qu’elle faisait, et a fini par me convaincre qu‘il me fallait absolument des prothèses volumineuses (bonnet C), pour « corriger » ma malformation et rendre la forme de mes seins plus harmonieuse.
La procédure pour me faire « refaire les seins »
Pour accéder à cette opération, j’ai suivi une procédure standard : un rendez-vous avez mon médecin de famille pour lui parler de mon envie de me faire opérer, puis un entretien avec ma chirurgienne. Celle-ci a examiné mes seins, et m’a dit pouvoir les opérer en étant prise en charge par la sécurité sociale.
Nous avons planifié l’opération quelques mois plus tard, ainsi qu’un rendez-vous pré-opératoire avec la chirurgienne, un autre avec l’anesthésiste, et un dernier avec la clinique.
Le jour de l’opération, il est indispensable (comme souvent) d’être à jeun, de s’être rasée et douchée à la bétadine la veille, et de ne porter aucun bijou ou piercing. Dans la journée, j’ai été amenée au bloc, endormie et opérée. Après mon réveil, j’ai passé la nuit à l’hôpital : la sortie a lieu le lendemain après la visite du chirurgien, si tout va bien, avec des consignes pour la cicatrisation. Il reste alors les rendez-vous de contrôle — 15 jours, deux mois, et un an après l’opération.
Ce chemin a été semé d’obstacles pour moi. J’ai rencontré des problèmes avec des proches réticents à l’idée que je me fasse opérer ; j’ai mal vécu la solitude et la peur pendant toute ma journée d’attente à la clinique ; j’ai eu des problèmes administratifs liés à la sécurité sociale… Mais j’ai tenu — avec le recul, j’ai même l’impression d’avoir forcé les choses — et je n’ai pas déplacé ma date de chirurgie.
Dès le début, les conséquences se sont faites sentir : entre le coût de l’opération élevé et les traumatismes liés à l’anesthésie générale, l’opération sur la poitrine et la cicatrisation, je savais qu’il me faudrait du temps pour m’en remettre.
Après mon opération, les conséquences s’alourdissent
Mais quelques temps plus tard, ces conséquences ont commencé à s’alourdir.
J’ai commencé à avoir des migraines violentes plusieurs fois par semaine. Je me suis aussi rendu compte que j’avais définitivement perdu toute sensation sur mon téton gauche, à cause d’un nerf qui avait été coupé pendant l’opération. C’est irrécupérable, et j’en pleure encore de regret !
La cicatrisation et le poids des implants m’a par ailleurs fatiguée quotidiennement. Et surtout, mon implant gauche a créé une « coque », qui me fait vivre une gêne et une inflammation quotidienne depuis maintenant deux ans et demi.
J’ai écrit un mail à ma chirurgienne pour lui dire que j’avais beaucoup de mal à accepter mes prothèses, lui parler de ma perte de sensation, lui dire que je commençais à faire une coque. Compte tenu de ces détails, je lui ai demandé si un retrait de prothèse était envisageable plutôt qu’un changement de prothèse dans les années qui viennent.
Elle m’a répondu que ce ne serait pas du tout esthétique et a insisté pour me dire qu’il ne fallait surtout pas retirer les prothèses, juste les changer.
À ce moment-là, je m’étais installée à l’étranger pour deux ans. Je ne voulais pas rentrer en France pour subir une nouvelle anesthésie générale et qu’on me pose une autre prothèse, qui aurait probablement refait une coque ! J’ai donc pris mon mal en patience.
Je me rappelle de ma difficulté à m’endormir, des douleurs, de la phobie que je me suis mise à avoir à l’idée de toucher ma poitrine ou mes tétons, de peur que la cicatrice ne soit pas assez solide et que je l’arrache. L’ironie, c’est qu’à cause de toutes ces conséquences, je n’ai finalement laissé personne réellement profiter de ces nouveaux seins en trois ans…
Et surtout, j’avais honte d’avoir pris cette décision. De m’être enfermé deux bombes à retardement dans le corps. Est-ce que c’était de ma faute ? Ou est-ce que j’avais été bernée, quelque part, par ceux qui me vendaient du rêve ? Je me posais des questions, et j’étais vraiment déprimée.
Un suivi psychologique nécessaire
Une flopée de problèmes psychologiques ont suivi. Je ne me reconnaissais plus et ne me sentais pas à l’aise dans mon corps, j’avais des difficultés à accepter ma nouvelle silhouette et mes « gros» seins, j’ai vu le regard des autres changer sur moi…
Cette augmentation de mes angoisses et mon stress m’a amenée à une perte importante de libido, et a accentué ma dépression.
Vu le cataclysme, je me suis forcée à aller consulter et à désamorcer tout ce qui m’arrivait, qu’importe le coût, étape par étape, petit pas par petit pas. J’ai suivi une thérapie cognitive basée sur la peine conscience.
Juste après cette thérapie, j’ai pris mes sacs (et mes lolos), et je suis partie de nouveau à l’étranger pour deux ans et demi ! J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir me reconstruire à l’autre bout du monde et d’avoir une proche à moi, ainsi que quelques amies, sur place pour me soutenir.
J’ai aussi été aidée et suivie par un « thérapeute en santé globale » pendant un an et demi. Il m’a beaucoup aidée à me connaître, à débloquer la honte liée à cette pose de prothèse, et m’a permis de remettre en place des bonnes habitudes de vie et de faire des choses qui me font du bien !
J’ai choisi de faire retirer mes prothèses
Après toutes ces péripéties, je suis désormais rentrée chez moi et je vais mieux. Surtout, j’ai finalement trouvé un chirurgien qui a l’air plus humain que ceux que j’ai croisés jusqu’ici, et bien plus lucide sur les problématiques liées aux implants mammaires.
Il a accepté de me retirer les prothèses et de retravailler sur ma « malformation » d’origine en une seule opération, et m’a confirmé ce dont je me doutais déjà : les prothèses n’étaient pas indispensable à ma « réparation » chirurgicale.
Quand je lui ai raconté mon parcours, il n’a pas été étonné et m’a expliqué que l’opération pour modifier directement la forme des seins tubéreux était longue et fastidieuse. À l’inverse, la pose de prothèse comporte très peu de risque de « ratés », et est plus rentable à long terme, ce qui pousse certains chirurgiens peu à l’écoute de leurs patientèle à ne proposer que cette option.
Quand nous avons parlé de mon opération à venir, il a été bien clair sur le fait qu’il y avait toujours des risques, des ratés et que mes seins ne seront jamais « parfaits ». Mais ça me convient très bien.
J’ai été en colère, j’ai eu honte, mais je suis apaisée
Quand on parle d’augmentation mammaire, le poids du jugement des autres et celui du tabou sont difficile à appréhender : avoir envie de se sentir désirable et sexy est largement accepté, mais quand on fait le choix de passer à l’acte, on peut entendre « elle veut de l’attention, elle est en plastique, superficielle. » Ces jugements ont lourdement joué sur ma souffrance et sur la honte que j’ai ressenti.
Je suis aussi en colère : il y a 6 mois, j’ai appris que la marque de mes prothèses (Allergan) a été rappelée en 2019 par L’Agence du médicament (ANSM) en France car il a été « rapporté des risques rare de cancer au-delà de six ans de pose. » Cette information m’a été transmise par une amie, et non par ma chirurgienne !
Aujourd’hui, je réalise que plus que de cette chirurgie, c’est d’une prise en charge en santé mentale et de soutien dont j’avais besoin.
Je termine cependant sur une note positive et d’espoir. Cette épreuve majeure de mes trois dernières années m’a poussée à apprendre à me connaître, à travailler à accepter mon corps inconditionnellement et à me détacher des attentes. J’aime à voir un corps comme un arbre, c’est-à-dire unique, solide, beau, noueux pour certains, changeant au gré des saisons et du temps qui passe : c’est ainsi qu’est sa beauté, au fond, et c’est toute cette expérience qui me l’a confirmé.
« Les chirurgiens ont pu observer cette jeune femme sous l’aspect de “l’anomalie” que son corps présentait et lui ont proposé réponse technique et anatomique, sans entendre que cette jeune femme recherchait une solution émotionnelle. Il aurait été plus prudent de prendre le temps de discuter avec elle, de lui proposer de patienter… »
Il souligne qu’en chirurgie esthétique, les médecins sont formés à l’accompagnement psychologique et qu’il est capital d’y prêter attention. Voir son corps changer n’est pas anodin, et peut avoir des conséquences fortes sur la psyché des personnes qui vivent des opérations de transformation ou de reconstruction.
Concernant les complications locales, il en rappelle la possibilité mais aussi la rareté relative. Les coques, d’après les études, peuvent apparaître assez fréquemment après la pose de prothèses, mais n’imposent pas toutes le même degré d’inconfort ou de souffrance aux personnes qui les vivent. Certaines sont légères, et disparaissent d’elles-mêmes quand les formes qui nécessitent une opération sont beaucoup plus rares.
Crédits photos : Klaus Nielsen / Cottonbro (Pexels)
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