Le harcèlement de rue n’épargne vraiment personne. C’est ce que je me suis dit le week-end dernier, lors d’une balade toute simple dans le bois de Vincennes, seule avec ma fille de quatre ans.
Un dimanche après-midi banal, au milieu des badauds venus nourrir les canards du lac, des joggeurs du dimanche et des familles qui faisaient exactement la même chose que nous, à savoir prendre un peu l’air pépouze loin du bitume parisien.
Naïvement, je ne pensais pas qu’on pouvait être en danger, ma fille et moi. Quand on se promène dans un parc public avec son enfant, on pense que le pire qui puisse arriver peut être de se casser la margoulette en escaladant des troncs d’arbres ou des rochers, de tomber tête la première dans le lac en voulant toucher un cygne (non, ce n’est pas un chat, ça ne se caresse pas), ou de marcher dans la crotte d’un chien que son maître n’aura pas pris la peine d’enlever.
Je ne pensais pas qu’un autre type de danger pouvait nous toucher, un danger qui ne concerne que moi habituellement, quand je marche seule dans la rue. Et pourtant, avoir un enfant ne confère pas un totem d’immunité face au harcèlement de rue, et ça le rend encore plus gerbant.
Le harcèlement de rue : je connais bien les bails
Le harcèlement de rue, je connais. J’ai été sexualisée par des hommes dès mes huit ans, je sais ce que c’est que d’avoir peur en marchant tard le soir, de choisir ma tenue en fonction du transport que j’utilise pour rentrer chez moi après une soirée, de mettre mes écouteurs dans le métro même si je n’écoute pas de musique pour qu’on me foute la paix, tout en restant alerte.
Je sais ce que c’est que de marcher avec mes clés entre les doigts, j’ai toujours une bombe au poivre dans mon sac, je sais comment prendre à parti les gens autour de moi pour me dépatouiller d’une situation où je me sens en danger. Je sais aussi ouvrir ma gueule et ne pas me laisser faire, parce que la rue est tout autant à moi qu’aux hommes.
Je lis Madmoizelle depuis plus de dix ans, j’ai lu et me suis reconnue dans tous les articles qui pouvaient parler de cette plaie. Je sais.
Mais ce que je ne savais pas, avant d’être mère et d’avoir une petite fille, c’est que ça pouvait prendre une autre dimension, que j’ai personnellement jugée encore plus gerbante et scandaleuse.
Ma fille de quatre et moi avons été harcelées sexuellement
Comme je vous le disais plus haut, nous étions toutes les deux au Bois de Vincennes, pas isolées au milieu des arbres pour autant, et on jouait à « chat ». J’avais déjà le souffle court parce que le sport et moi ça fait 24, mais je courais volontiers après ma fille surexcitée qui avait besoin de se défouler et de jouer, comme toute gamine de son âge.
Je ne pensais pas aux autres, je n’étais pas sur mes gardes, je ne me sentais pas « en danger », tous les signaux étaient au vert. Je profitais du moment, focalisée sur le jeu, sur mon cœur qui battait déjà bien vite, sur le sourire et les joues rouges de ma fille qui était bien trop contente qu’on puisse s’amuser ensemble un dimanche après-midi.
Et là, à quelques mètres de moi, je l’ai entendu : il m’a sifflée, trois fois de suite. Enfin non, il NOUS a sifflées, ma fille et moi. Je me suis retournée pour voir d’où ça venait, vérifier si ça m’était bien adressé, et je l’ai vu, le regard salace, un sourire immonde sur les lèvres de sa tête dégueulasse. Je dis « dégueulasse », mais je serais aujourd’hui bien incapable de le reconnaitre si je devais le recroiser. Je me souviens juste de son expression qui ne disait rien de bon pour moi.
Quand on a été harcelée un nombre incalculable de fois, on sait reconnaître les regards mauvais. On sait très rapidement quand il y a un danger, on sent notre cœur s’emballer et notre sang se glacer, parfois même sans que des paroles ne s’échangent.
Là, j’ai su, j’ai compris, j’ai vu. Tout de suite. J’ai voulu l’ignorer, pensant qu’il partirait de lui-même, voyant mon indifférence. Ce ne fut pas le cas. Il a recommencé, une fois, deux fois, trois fois, jusqu’à ce que je me retourne encore face à lui. Et là, il m’a montré un petit bosquet un peu isolé d’un mouvement de tête, en continuant de sourire.
Sans rien dire, il me faisait comprendre qu’il voulait que je le suive derrière ce putain de buisson. Je suppose que ce n’était pas pour entamer une partie de Uno endiablée, mais bien pour me ken, dans le plus grand des calmes. Avait-il déjà un plan dans sa tête ?
Est-ce qu’il pensait que j’allais lui dire « oh oui, très bonne idée, allons nous mélanger sexuellement derrière ce bosquet tout en tenant la main de ma fille pendant les sept prochaines minutes, c’est vraiment ce dont je rêvais, merci cher inconnu du bois » ?
Quelle ordure.
Un seul réflexe : la protéger
Seule, j’aurais probablement gueulé bien fort comme j’ai l’habitude de faire dans ce genre de situation. Dans ces cas-là, j’insulte, je crie, j’humilie publiquement, je prends les gens autour de moi à partie. Généralement, ça fait fuir les mecs qui me harcèlent, de voir que je ne me laisse pas faire et que je n’ai pas (plus) peur d’eux.
Je les poursuis même parfois en continuant de les insulter en hurlant. C’est ma technique. Je ne dis pas qu’elle marche à tous les coups et qu’elle est applicable par toutes, chacune réagit à sa manière, et il n’y a pas de bonne manière de faire.
Mais dans ces moments-là, c’est mes tripes et ma rage qui prennent le dessus, quitte à passer pour une folle furieuse. En même temps, c’est ce que je suis : furieuse.
Mais cette fois-ci, ma fille était là. Ma toute petite fille, innocente, pure, qui ne connait encore rien de cette facette-là du monde. Et si je me mettais à hurler sur le mec et qu’il se défendait en m’attaquant physiquement ? Et s’il avait un couteau ? Et s’il me mettait une pêche ? Et si je n’étais pas capable de me défendre ? Et, le pire pour moi, s’il s’en prenait à elle ?
Je ne savais pas de quoi il pouvait être capable, et je ne pouvais pas risquer de la mettre en danger. Je voulais qu’elle soit épargnée de toute violence, et je voulais la protéger.
J’ai regardé le type, il m’a encore remontré le bosquet d’un mouvement de tête, il a continué à sourire, et il a commencé à s’approcher de nous.
J’ai attrapé la main de ma fille et je l’ai serrée fort, et nous avons marché dans la direction opposée, vite, très vite. Le mec nous a suivies, continuant de nous siffler, m’interpellant de quelques surnoms tous plus délicats et charmants les uns que les autres, et j’étais bien contente que ma petite n’ait pas encore un bon panel de gros mots dans son vocabulaire et qu’elle ne comprenne pas ce qu’il nous disait.
Ça a duré de longues minutes, jusqu’à ce qu’on sorte du bois, qu’on retrouve le trottoir et une foule plus conséquente, des gens nous permettant de nous mêler à eux et de nous éloigner de lui.
Une fois au milieu des autres, j’ai pu relâcher un peu la pression sur la main de ma fille. Nous étions hors de danger, le type nous avait perdues de vue, et on pouvait rentrer à la maison, toujours au pas de course.
Mais bien entendu, les questions de ma fille ont commencé à fuser : pourquoi on a dû partir vite ? Parce qu’un monsieur bizarre voulait nous embêter. Pourquoi il était bizarre ? Parce qu’il y a des gens qui ne sont pas très gentils, et qui veulent faire du mal aux autres. Comment on sait qu’un monsieur est bizarre ?
J’ai eu du mal à répondre à cette dernière question.
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Le temps des questions est arrivé
Comment lui expliquer l’instinct ? L’expérience ? Le danger ? Comment lui apprendre à faire confiance aux autres tout en restant sur ses gardes ? Comment lui expliquer que les garçons peuvent parfois être dangereux, surtout quand on est une fille ? Le tout sans lui faire peur et sans faire de généralités ?
Elle a quatre ans. Je pensais qu’elle était trop petite pour ça, je voulais l’épargner encore quelques années, je n’avais pas envie qu’elle soit confrontée à ça à son âge.
Quand on est parent, on sait qu’on doit préparer nos enfants, les informer au mieux des dangers, leur donner des armes et des pistes pour savoir ce qui est bon pour eux, ou non.
On sait qu’on doit leur parler de l’intimité, du consentement, du respect de l’autre, de sexualité aussi, avec des bons mots, adaptés à leur âge.
Mais là, je n’étais pas prête, et j’ai fait ce que j’ai pu pour lui expliquer, avec des mots qu’elle pouvait comprendre. Je lui ai dit qu’elle devait se fier à ce qu’elle ressentait, et qu’elle devait toujours, comme elle venait de le faire avec brio pendant cet épisode nul, écouter ce que je lui disais et me suivre.
Qu’elle était peut-être trop petite pour comprendre qu’une situation pouvait être dangereuse, mais que moi je savais, et que j’étais là pour la protéger. Que c’était mon boulot, en tant que parent, de faire en sorte que personne ne lui fasse de mal.
Nous avons eu de la chance pendant cette balade, puisqu’à la fin rien de « grave » n’est arrivé. Nous n’avons pas été attouchées, nous avons pu rentrer chez nous saines et sauves, et même si elle a continué pendant quelques jours à me parler de ce « monsieur bizarre », il ne restera rien d’autre dans sa tête qu’un souvenir un peu flou d’un moment où elle a senti ma peur.
Mais comment la préparer sans l’effrayer à vivre ça de nouveau pendant les prochaines années ? Comment lui expliquer ?
Le pire ? Ça recommencera sûrement
Je suis en colère. J’ai envie de retrouver ce type et de lui faire mal physiquement, j’ai envie de lui cracher dessus et de l’humilier publiquement. Je veux lui faire du mal parce qu’il m’a empêché de me défendre en s’attaquant à moi alors que ma fille était là. J’ai envie de lui hurler dessus, de lui dire qu’il n’est qu’un moins que rien, qu’une ordure qui ne mérite pas d’exister.
Il a gâché mon moment avec ma fille où on ne se souciait de rien sauf de nous, où on ne pensait pas au danger, où on jouait à s’attraper en se marrant. Il a gâché ce moment parfait pour y imposer une vision sexuelle, imposée, déplacée, rabaissante et dégradante, en y mêlant l’innocence de mon enfant.
Il est entré dans notre sphère pour y déverser sa crasse, et je crois que je pourrais lui péter la gueule pour ça. Sa violence sexuelle réveille ma violence physique, c’est un mécanisme de défense comme un autre.
Mais le pire dans tout ça, c’est que si cette situation doit se reproduire et que je suis accompagnée de celle que j’ai mis au monde, j’aurais certainement la même réaction, à savoir fuir le plus loin possible pour qu’elle soit épargnée. À chaque fois, il gagnera, lui ou un autre. Et ça me met tellement en colère, si vous saviez.
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