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Santé

J’ai été en couple pendant 5 ans avec un pédocriminel

En couple avec un homme qu’elle croyait doux et empathique, Flavia a découvert qu’il consultait des images pédopornographiques sur internet. Après l’avoir dénoncé aux autorités, elle a malgré tout choisi de rester à ses côtés pour le « soigner ». Aujourd’hui, libérée de son emprise, elle raconte son histoire.

Je sors d’une relation commencée à mes 15 ans 3/4, qui dure environ 4 ans et demi, avec un homme âgé de 7 ans de plus que moi qui m’a déjà mise à genoux psychologiquement. Mon enfance a été marquée par la pédocriminalité et les violences diverses, malgré le milieu assez petit bourgeois dans lequel j’ai grandi. 

« À notre rencontre, Martin coche toutes les cases »

J’ai presque 21 ans et je recherche alors un homme mature, mais de mon âge, qui ne me plaira pas forcément physiquement mais qui me plaira mentalement et sentimentalement. J’ai un cahier des charges à remplir : il faut qu’il ait environ mon âge, qu’il soit simple, mais ait connu la difficulté lui aussi – j’ai peur de ne pas être comprise sans cela -, qu’il travaille, qu’il n’ait pas d’addiction, qu’il soit ouvert à une vraie relation exclusive avec engagement fort, bref pas un « homme à problèmes ». Un homme normal me satisfera, du moment qu’il m’offre son cœur et une stabilité amoureuse, qu’il me sécurise.

Je rencontre Martin et tout va très vite puisqu’il coche toutes les cases. Il me dit avoir eu un passé judiciaire plus jeune en déclarant qu’il a défendu une fille qui allait se faire violer et qu’il a failli tuer son agresseur. Son grand frère est décédé dans un accident de moto il y a longtemps.

Martin aime le métal, il est basque, il a pile mon âge, pile ma taille, il ne me plaît pas beaucoup physiquement mais je ne veux pas cracher sur ce qu’il me semble offrir : une relation simple et sécurisante de part et d’autre.

Moi qui ai toujours tendance à donner beaucoup, de façon disproportionnée, je trouve en lui un retour affectif qui me donne envie de continuer. Je lui parle d’une agression pédocriminelle que j’ai subie : il réagit en me disant à quel point c’est grave et montre de la compassion. C’est le premier à faire preuve d’un tel comportement. Il m’attend après que j’ai trouvé le courage d’aller porter plainte. Plus tard, mon psychiatre m’expliquera qu’il a fait cela pour me manipuler, cas d’enfumage malheureusement très classique.

Au lit, c’est plat. Je le crois timide, peut être inhibé, je le questionne ou tente de lancer des conversations à ce sujet, sans succès. Je pense que le temps fera son œuvre et qu’avec plus d’intimité et de confiance, ça ira mieux entre nous.

Après quelques mois de relation, nous emménageons ensemble au Pays Basque et il change petit à petit, imperceptiblement : plus distant, plus froid, énormément sur son ordinateur. Il lâche son travail. Je me retrouve à tout payer. Le métalleux débonnaire au passé dark maîtrisé disparaît lentement.

Je finis par croire qu’il me trompe et je fouille son ordinateur.

« Il n’y a jamais eu de fille agressée, il avait tout simplement accumulé des vidéos identiques »

C’est là que l’enfer commence. Je me heurte à l’incompréhensible. Dans ses dossiers, des vidéos pédopornographiques s’accumulent. Des bébés, des enfants. Un abîme s’ouvre en moi.

Il est pédophile. Quand je dormais, quand je travaillais, il regardait tout ça. Un pédophile m’a pénétrée, j’ai embrassé un pédocriminel, je l’ai protégé, aimé de mon mieux. J’appelle la police immédiatement.

Il arrive avant eux, je suis folle de rage et morte de peur. Je lui dis que j’ai tout découvert.

J’ai peur de lui, peur des policiers qui vont arriver, je n’ose demander d’aide à personne, qui comprendrait ?

À l’arrivée des policiers, ils me font asseoir sur le canapé, saisissent son ordinateur et l’interpellent en lui parlant de récidive. Récidive ? L’abîme que je croyais sans fond se creuse quand même un peu plus dans ma tête. Il n’y avait jamais eu de « fille agressée défendue à coups de poing ». Il avait tout simplement, à 16 ans, accumulé des vidéos identiques.

Ils m’emmènent avec lui pour témoigner. Je rentre dans leur voiture, non banalisée, heureusement pas avec lui. Éducatrice spécialisée auprès d’adolescents, j’ai peur qu’on me voit à l’arrière de leur voiture, qu’on pense que j’ai fait quelque chose de mal, et la culpabilité croît de plus en plus, pendant l’audition où le policier me regarde de façon si sérieuse que je me sens coupable.

« Je me dis que je dois le soigner »

Il m’explique qu’il sera en garde à vue 48 heures, et me demande de lui faire un sac. Et c’est ce sac qui a tout précipité. Rentrée chez moi, chez « nous », coupable de je ne sais quoi, je me surprends à penser à lui avec compassion, comme s’il avait agi ainsi parce que je n’avais pas été assez là. En choisissant ses affaires, tee-shirt, jean, brosse à dents, dentifrice, je me dis que je dois le soigner.

Que personne ne comprendra. Que tout le monde pensera que j’ai menti, que je le diffame, ou bien que je l’ai cherché, que moi, victime de pédos, j’ai désiré ce pédophile.

En revenant du commissariat où je lui ai déposé ses affaires, je me dis que plus aucun homme ne voudra de moi, jamais. Trop salie, trop tordue, aimant à déchets. Que Martin et moi sommes assortis, finalement, et que c’est peut-être ma mission de rester avec lui, le soigner. Ça me rend folle, j’ai physiquement mal de penser tout ça mais je ne parviens pas à penser autre chose.

J’en parle à une amie qui ne répond pas grand-chose et ne m’en reparlera jamais plus. J’ai honte, l’impression de l’avoir entraînée dans ma crasse, je me tairai et n’en parlerai plus à personne. Des années plus tard, j’apprendrai que cette amie s’est dépêchée d’informer toutes nos connaissances, ce qui n’a empêché personne, malgré les ragots, de l’accueillir, lui, avec moi, dans les apéros, sans jamais se demander ce qui se passait derrière les masques.

Lire aussi : Comment la France et le monde luttent contre le fléau de la pédocriminalité ?

« Je l’attends à la sortie de son procès en espérant secrètement qu’il aille en prison »

Parce que oui, je reste avec lui.

À son retour de garde à vue, il m’attend en bas de l’immeuble et me demande s’il peut monter. Je m’étais préparée à lui dire de dégager à jamais, et devant lui, minable, la mine déconfite, je craque et le laisse réintégrer notre vie à deux. Je sais ce que ça fait, d’être minable, triste, et je projette sur lui tout ce que j’ai eu de mal-être et de solitude par le passé. Mon psychiatre m’expliquera bien plus tard qu’il était, là encore, en pleine manipulation, et que ce genre de personne n’éprouve pas vraiment les sentiments que les gens « classiques » éprouvent.

Il récidivera plusieurs fois, en 5 ans de relation. Je le surveillerai constamment, coucherai avec lui, tenterai de le réhabiliter professionnellement. Il me dégoûtera constamment mais je me sentirai liée à lui, gâchée, gardienne.

Il a bien un procès pour détention d’images pédopornographiques, je l’attends à la sortie en espérant secrètement qu’il aille en prison : il n’a qu’un suivi psychologique obligatoire et une somme à payer.

Je ne le dénoncerai plus jamais à la police : je me souviens de ce qui s’est passé quand je l’ai fait, et ça a été trop dur, trop infructueux. Je me limite à le fliquer en fouillant son ordinateur, et en empêchant toute rencontre même lointaine avec des enfants.

Je ne me vois évidemment pas en faire avec lui.

Il cherchera à me tromper, sans succès, mais cela me rassure presque : s’il a une sexualité avec des adultes, non seulement avec moi mais aussi avec d’autres, alors il est « sauvable » ? Il cherchait en fait une compagne « page blanche », mais ça, je ne le comprends pas immédiatement.

Mon procès à moi a lieu, et grâce à des preuves et des aveux je « gagne » contre l’un de mes pédophiles, celui contre lequel Martin m’avait encouragée à agir à nos tout débuts. Martin y assiste, j’espère que cela scellera sa guérison puisqu’il voit totalement ce qui peut se passer pour une victime de pédophilie. Or, les pédocriminels ont très peu, voire pas d’empathie, même s’ils savent bien faire semblant.

J’ai pris 20 kilos, je suis constamment dans la haine, la peur, la douleur, et je garde le masque en public.

Finalement, après un an de mariage, la haine a trop grandi. Je commence à chasser les pédophiles en ligne et je me rends compte que je suis douée pour ça. Après le dépôt d’un premier dossier, qui aboutit à l’arrestation et à la condamnation d’un pédophile, je me sens plus forte. J’annonce à Martin que je le quitte quelque temps après, et je me sens euphorique, libre, déterminée.

Sa mère, au téléphone, lorsque je lui ai appris mon départ et ses récidives, me supplie de ne pas le dénoncer. Je le dénoncerai par courrier au Procureur en expliquant que maintenant ça n’est plus ma charge, mais celle de la société.

Je perds le surpoids, je me considère toujours comme indésirable, j’imagine que personne ne voudra jamais de moi et moi de personne… et je me trompe puisque je rencontre mon futur mari en quelques semaines, après avoir eu un court plan cul. Nous avons trois enfants ensemble.

Je n’ai plus jamais revu Martin depuis que notre divorce a été prononcé. Je sais que le revoir ne m’apporterait aucun apaisement, simplement une montée de ce mélange toxique de haine, de dégoût profond et de peur.

Lire aussi : Cette mère de famille alerte sur les pédocriminels qui gangrènent TikTok

« Je me sens donc encore parfois angoissée : s’il vivait avec des enfants ? »

Quoi qu’il en soit, j’ai demandé à Martin de ne plus jamais s’approcher d’enfants, de ne jamais se mettre en couple avec une femme ayant des enfants, de ne jamais faire d’enfants lui-même. Je lui ai dit que si jamais j’avais connaissance d’une telle situation, je laisserai éclater la vérité.

Je me sens donc encore parfois angoissée : s’il vivait avec des enfants ? S’il était passé à l’étape supérieure (et laquelle) ?

J’ai énormément de mal à gérer les souvenirs de tout cela. Ça tourne encore très souvent dans ma tête, d’autant qu’ayant continué longtemps la chasse aux pédophiles, les images découvertes m’ont encore plus traumatisée. J’ai arrêté depuis. Je ne sais pas vraiment quoi conclure de tout cela, à part :

Si vous êtes dans une situation comparable à la mienne, parlez et partez. Deux mots clefs faciles à comprendre. Coûte que coûte, parlez. Au maximum de personnes possible. Cherchez des ressources, de l’aide. Et puis aussi partez, ou faites le partir. Peu importe si vous avez des enfants ensemble, s’il paie le loyer. Trouvez une solution et partez. Un pédocriminel ne veut pas être soigné, il désire seulement assouvir ses pulsions avec le maximum d’impunité possible. Il saura utiliser tous les masques nécessaires pour cela, et tirer toutes les ficelles. Il est froid à l’intérieur.

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Les Commentaires

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Avatar de kazai
11 août 2024 à 23h08
kazai
Le témoignage fait froid dans le dos. Quelle horreur et la Madz témoigne très bien du processus de l'emprise. A ce titre le passage sur les Gossip et soit disant amis / entourage, je crois que malheureusement ça se passe très souvent ainsi dans toute relation d'emprise. Entouré.es de gens "biens" qui parfois vous invitent à vous confier, voient les agissements et finalement alimentent juste des ragots supplémentaires et déclenchent un isolement encore plus fort. Je suis pas sûre que leur fond soit mauvais, juste l'effet de groupe et une bonne dose de déni collectif : "si ça leur arrive à eux, alors ça peut nous arriver à nous, on préfère nier totalement plutot que faire face à cette réalité" et malheureusement ça c'est un frein supplémentaire pour sortir de l'emprise (puisque du coup elle est niée, elle n'est donc pas réelle c'est dans notre tête).
Donc je rejoins totalement l'appel de fin : il faut parler parler parler, oui mais pas à n'importe qui et parfois il vaut mieux en parler à des cercles éloignés (même collègues de travail, associations, ou proches en qui on a vraiment confiance et un peu éloigné du partenaire en question).
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