Je ne suis pas exactement le genre de femme qui écrit sur ce site : elles sont en général plutôt jeunes, et j’ai maintenant soixante-quatorze ans.
Néanmoins, ma petite-fille que j’aime de tout mon cœur m’a convaincue de partager mon témoignage qui, je l’espère, poussera d’autres femmes à sauter le pas et à s’assumer pleinement. Voilà : j’ai découvert mon attirance pour les femmes à soixante-douze ans.
J’ai grandi au sein d’une famille conservatrice
Remontons dans le temps. Née en 1946, j’ai été éduquée, au milieu de mes cinq frères et sœurs, dans une famille rigide et conservatrice. Ma mère était femme au foyer tandis que mon père travaillait à l’usine.
Aussi loin que je me souvienne, il ne m’a jamais embrassée ni n’a témoigné d’une preuve d’amour envers moi. C’était un temps où les hommes ne pleuraient pas, ne prenaient pas leurs enfants sur leurs genoux et ne montraient jamais leurs faiblesses. Il était violent. Les larmes me montent aux yeux lorsque je me souviens des soirs où, ivre, il frappait ma mère pour des raisons absurdes.
J’ai grandi dans l’éducation religieuse la plus stricte. Mes parents partageaient une foi ardente et nous allions chaque dimanche à l’église. Bien évidemment, sur la question de l’homosexualité, mes parents suivaient scrupuleusement les Écritures.
Comme il est écrit dans la première épître aux Corinthiens :
« Ne savez-vous pas que les injustes n’hériteront point le royaume de Dieu ? Ne vous y trompez pas : ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni ceux qui couchent avec des hommes, ni les voleurs, ni les cupides, ni les ivrognes, ni les outrageux, ni les ravisseurs, n’hériteront le royaume de Dieu. »
Si j’avais ne fut-ce que suggéré l’idée que je pusse être amoureuse d’une fille, mon père m’aurait sans doute battue jusqu’au sang, et ma mère n’aurait rien trouvé à y redire.
Voilà ce qu’a été mon enfance.
Mon mariage arrangé et ma vie de famille
À l’âge de vingt-deux ans, ma famille m’a mariée avec un homme de mon village, que je connaissais peu, de dix ans mon aîné. Nous ne nous sommes jamais aimés. Pour sûr, il était gentil, et je ne pourrais pas dire que nous n’avons pas vécu des jours heureux ensemble. Simplement, nous n’étions pas faits l’un pour l’autre.
J’eus avec lui trois enfants, une fille et deux fils, qui ont ensuite mis au monde cinq petits-enfants, qui sont ce que j’ai de plus cher au monde. Nous vécûmes une vie calme, sans agitation.
D’une santé fragile, mon époux décéda d’un AVC en juin 2016. Sa mort me plongea, ainsi que mes enfants et mes petits-enfants, dans une infinie tristesse. J’ai encore du mal à évoquer son souvenir, malgré les années qui nous séparent de l’événement.
Pour panser mes plaies après que mon mari nous a quittés, j’ai pu compter sur mon cercle d’amies. Chaque semaine, et ce, pendant vingt ans, je les ai retrouvées au club de patchwork où nous nous amusions comme des folles en nous racontant les derniers potins tout en cousant.
Le jour où j’ai compris mon homosexualité
L’une d’elles en particulier m’a soutenue plus qu’aucune autre. Je la voyais presque tous les jours. Elle m’invitait à prendre le thé chez elle et j’avais enfin l’occasion de dire tout ce que j’avais sur le cœur.
Elle m’apporta une aide précieuse au cours de cette période affreusement dure pour moi. Après que j’eus enfin commencé à guérir, j’ai continué à la voir. Elle était devenue mon amie la plus proche. Nous n’avons depuis lors cessé de nous voir.
Un jour que nous discutions, je la questionnais sur sa vie de couple. En effet, je ne l’avais jamais vu en compagnie d’un homme et elle ne m’avait jamais parlé de son mari. À l’époque, il était pour moi impensable qu’une femme de mon âge pût ne pas avoir de conjoint. Elle m’avoua à demi-mot qu’elle n’aimait que les femmes.
À ce moment-là, mon éducation religieuse, enfouie profondément en moi, mais prête à bondir à tout instant, refit surface comme un geyser. Je fus profondément outrée et je partis. Rentrée chez moi, je n’ai cessé de méditer sur cet incident. Je ne réussis pas à fermer l’œil de la nuit : comment avais-je pu être si cruelle envers celle qui m’avait tant aidée ?
Le lendemain, je me rendis chez elle. Elle m’ouvrit et je lui tombai dans les bras en pleurant et en m’excusant. Elle me releva et me regarda profondément dans les yeux.
Son visage ne semblait pas afficher d’animosité envers moi. Mon regard plongea dans le sien pendant de longues secondes et, sans prononcer un mot, nous nous embrassâmes. En un instant, tout devint clair dans mon esprit : si je l’avais rejetée si fort la veille, c’est parce que je refoulais jusqu’alors les sentiments que j’éprouvais à son égard.
Toute ma vie, j’avais réprimé ces émotions, du fait de mon éducation catholique, et elles ont rejailli d’un coup, sans prévenir. Ça a été, pendant quelques instants, une tornade d’amour qui me submergea.
La pensée que je pusse être attirée par une femme ne m’avait, jusqu’alors, jamais effleurée. Il y avait sans doute en moi des émotions qui remuaient, qui me travaillaient, qui m’ont patiemment transformée comme l’eau détruit la roche par des années et des années d’écoulement, mais je n’en eus jamais véritablement conscience.
La première manifestation de mon attirance pour les femmes est sans doute celle, paradoxale, du rejet total de l’homosexualité de mon amie. C’était en quelque sorte la dernière digue qui me séparait de l’homosexualité.
Il fallait que celle-ci se brisât pour que je pusse enfin vivre telle que je suis. Enfin j’étais moi-même. Libérée du regard des autres, de mon éducation rigide, de l’homophobie de mes parents. Enfin libre.
Construire une relation lesbienne à 72 ans
Depuis, nous avons chacune gardé nos maisons respectives, nous ne vivons donc pas ensemble, mais nous nous voyons presque chaque jour pour manger les repas, passer du temps ensemble, sortir au cinéma, au théâtre… Cette manière de vivre s’est mise en place naturellement, sans concertation. Nul ne sait comment elle évoluera.
Nous n’avons communiqué la dimension de notre relation à personne, mais au bout de quelques temps, tout le monde l’a su. Une de nos amies a dû nous apercevoir, en parler à une autre amie et de fil en aiguille, tout mon entourage a eu vent de notre relation, malgré notre silence.
On ne tarda pas à me questionner, et je dois dire que cette période d’inquisition a été très pénible pour ma compagne et moi. Nous comptions l’annoncer à nos entourages respectifs, mais doucement, à notre rythme. La manière brusquée dont les éléments se sont déroulés s’est révélée très désagréable.
Néanmoins, le résultat est le même : les gens ont appris la « nouvelle ». Nous ne rencontrâmes aucun problème majeur, aucune amitié ne se brisa à l’annonce de cette idylle. Les gens furent surpris, j’ai été un peu en froid avec certains de mes enfants pendant quelques semaines, mais très vite tout est rentré dans l’ordre.
N’attendez pas 72 ans pour être vous-même
J’ai tout dévoilé à l’une de mes petites-filles âgée de dix-neuf ans. D’une autre génération que moi, beaucoup plus ouverte et tolérante, elle n’eut aucun problème avec ce que je venais de lui dire. C’est elle qui me suggéra me vous écrire ce témoignage, qui servira, je l’espère, à d’autres femmes de tout âge à s’assumer pleinement.
Ne faites pas les erreurs que j’ai faites, n’attendez pas si longtemps pour vous accepter telle que vous êtes, vivez votre vie comme vous l’entendez.
Ne laissez jamais ni la religion, ni l’avis étriqué de vos parents, ni le regard des autres s’immiscer entre vous et l’amour. N’attendez pas d’avoir soixante-douze ans pour vivre pleinement !
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