J’ai plusieurs fois lu des témoignages de femmes ayant eu recours à un don d’ovocytes, mais rarement de personnes nées d’un de ces dons.
Déjà parce que ces procédures ne sont pas si fréquentes, le don d’ovocytes étant plus complexe que celui de sperme, mais aussi parce que le recours au don est souvent un secret dans les familles et les enfants passent parfois leur vie sans le savoir.
À 28 ans, j’ai appris que j’étais un de ces enfants et j’ai eu envie de témoigner.
La honte de l’infertilité de mes parents
Je suis née dans une famille méditerranéenne dans laquelle la vie familiale est centrale. Aucun de mes parents n’est né en France, mais c’est ici qu’ils se sont rencontrés à leur adolescence.
Mes oncles et tantes habitent tous dans le même département, voire la même commune pour la plupart, et les week-ends sont réservés aux visites chez les uns et les autres.
Du côté maternel, la plupart de mes cousins et cousines ont une dizaine d’années de plus que moi, parce que ma mère m’a eue à 37 ans, ce qui était peu habituel à son époque et là où nous vivions.
Encore moins habituel, mes deux petites sœurs jumelles sont arrivées 5 ans après.
Si je raconte tout ça, c’est parce que pour mes parents, qui se sont connus très jeunes, fonder une famille était la chose la plus importante pour eux, mais tout ne s’est pas passé comme prévu.
Alors que ses sœurs avaient leurs premiers enfants, ma mère était la tata chez qui on venait passer les vacances. J’ai entendu ces histoires racontées par mes cousins, mais ce n’est qu’en grandissant que j’ai compris ce que cela pouvait signifier pour elle.
Plus jeune, quand je demandais à ma mère pourquoi ils avaient attendu longtemps avant de faire des enfants, elle me répondait juste qu’ils avaient eu du mal à en faire, puis éludait la question.
Ma mère étant la plus mauvaise des menteuses, je voyais bien que quelque chose la blessait, aussi je n’insistais pas trop.
Au fil des ans, j’ai quand même fini par apprendre qu’ils avaient eu recours à une FIV (fécondation in vitro). Quand je demandais s’ils avaient eu besoin d’un don, j’obtins un :
« C’est nous tes parents, d’accord ! »
Plus blessés qu’énervés.
À partir de ce jour, j’ai arrêté de poser des questions, mais j’ai compris qu’il y avait une zone de flou dans mon histoire. Peut-être ne saurais-je jamais la vérité. J’ai aussi fini par m’habituer à l’idée et à comprendre que cela m’était égal.
Je savais qui j’étais, qui étaient mes parents, peu importe ce qu’on pourrait m’apprendre, cela ne changerait jamais. Mais je n’étais pas seule et mes sœurs ne le vivaient pas aussi bien.
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Enfant d’un don d’ovocyte : la quête d’identité
Pour elles, qui avaient aussi fini par comprendre qu’il existait un secret autour de notre naissance, il était inconcevable de rester dans le flou.
Elles ont interrogé mes tantes, obtenu des bribes d’informations difficiles à interpréter, imaginé des histoires improbables. Nous en parlions rarement entre nous, mais lors d’un week-end entre sœurs, le sujet a été mis sur la table.
De mon côté, j’avais un peu de mal à comprendre leur inquiétude, leur besoin de savoir à tout prix, et surtout le fait que le secret semblait vraiment les blesser.
L’une de mes sœurs s’est même mise à pleurer en disant qu’elle angoissait d’être stérile parce qu’elle s’imaginait que maman avait peut-être un problème héréditaire.
Ne voulant pas d’enfant, c’est quelque chose qui ne m’avait jamais tracassée, mais je comprenais mieux ce besoin de savoir.
Finalement, j’ai retrouvé mon train-train quotidien et oublié cette histoire jusqu’à ce jour où je reçois un message d’une de mes sœurs.
Elle m’annonce qu’elle a envoyé une lettre à notre mère pour lui dire qu’elle avait besoin qu’elle nous dise enfin la vérité sur ce « secret de famille ».
Le côté drama queen m’exaspère d’abord, mais quand elle me dit que notre mère a répondu qu’elle était d’accord pour nous en parler dès que nous serions toutes les trois réunies à la maison, je sens l’excitation monter petit à petit.
Parler à son enfant du don d’ovocytes
Comme je suis la plus grande et que je suis partie tôt de la maison, j’ai petit à petit construit une relation plus adulte avec ma mère que mes sœurs.
La connaissant par cœur, le soir-même j’attends son appel, qui ne tarde pas à arriver. Elle est toute secouée par la lettre mais, surtout, elle a peur.
Peur que mes petites sœurs soient encore trop jeunes, peur que leur regard sur elle ne change
. Elle veut que je la rassure. De fil en aiguille, elle finit par tout me raconter.
Lorsqu’elle avait 17 ans, elle est tombée enceinte de mon père. Tous les deux vivaient encore chez leurs parents, n’étaient pas mariés. Il fait des petits boulots pendant qu’elle finit ses études. La situation n’est pas idéale.
Pour ne rien arranger, peu de temps avant, mon grand-père paternel a mis sa fille à la porte parce qu’elle était tombée enceinte hors mariage. Mon père, ayant peur de sa réaction, a donc voulu que ma mère avorte.
Au début, elle était contre, mais elle a fini par accepter pour qu’il n’ait pas de problème. Après tout, ils pourraient en faire à nouveau un lorsqu’ils seraient installés.
Nous sommes au début des années 70 et l’avortement n’est pas légal en France, aussi elle prend le train avec une de mes tantes, direction la Hollande.
Plus tard, mes parents se marient, mon père monte son entreprise, mais malgré leur envie, l’enfant ne vient pas. Et puis, ma mère tombe en ménopause précoce.
Elle s’en veut d’avoir renoncé à avoir cet enfant sachant ce qui est arrivé ensuite. Elle a reçu ce coup du sort comme une punition.
Mes parents se lancent alors dans les démarches d’adoption, longues, difficiles. Alors qu’ils attendent encore un retour, on leur parle de la fécondation in vitro avec don d’ovocytes. C’est cher, mais ils veulent tenter l’expérience.
C’est à Clamart qu’ils rencontrent le Dr René Frydman, pionnier dans la conception de « bébés éprouvettes » en France. La machine est lancée.
À la deuxième tentative, me voilà. Cinq ans plus tard, parce que je n’arrête pas de les supplier d’avoir une petite sœur ou un petit frère (et que j’obtiens toujours ce que je veux), ils se lancent à nouveau et font un doublé !
Ce que cela signifie, c’est que je n’ai pas les mêmes gènes que ma mère, et que je n’ai que la moitié de mes gènes en commun avec mes sœurs. Ma mère me demande :
« Ça te fait quoi de savoir que ce sont tes demi-sœurs ? »
Je n’y avais même pas pensé.
Ce que je ressens en écoutant toute cette histoire, c’est d’abord du soulagement pour ma mère. Sa voix tremble au téléphone, j’ai l’impression d’écouter la confession d’une toute jeune femme, d’une amie.
Elle m’avoue qu’une seule personne est au courant de l’intégralité de l’histoire : sa sœur. C’est une histoire qu’elle a gardé pour elle toute sa vie, qu’elle a caché aux autres membres de la famille parce qu’elle en avait honte.
Mon père se sent moins concerné parce que ce sont bien ses gènes qu’il nous a transmis, parce qu’il n’était pas infertile. Je sens que m’avoir raconté tout ça lui fait du bien, qu’elle est rassurée par ma réaction.
Si elle a attendu si longtemps avant d’en parler, c’est qu’elle avait peur que l’une d’entre nous lui dise un jour sous le coup de la colère :
« Tu n’es pas ma mère. »
Une semaine plus tard, on se rappelle et elle me dit qu’un poids a quitté ses épaules, un poids dont elle n’avait même pas conscience. Elle est prête pour en parler aussi à mes sœurs.
Savoir la vérité pour construire son identité
Pendant quelques jours, ce récit a tourné en boucle dans ma tête, soulevant des tonnes de questions un peu bizarres :
« – Ça veut dire que je ne suis pas italienne comme ma mère ?
– Pourquoi je pleure quand je ris comme tous les gens de sa famille ?
– Et si la donneuse avait une maladie génétique ?
– Et si par hasard c’est quelqu’un de la famille de mon copain ?
– Est-ce qu’elle a beaucoup de rides ? »
J’ai fait aussi plein de recherches sur la FIV et le don d’ovocytes, et cela m’a donné envie d’en savoir plus sur la construction de l’identité génétique, sur ce qui pouvait être transmis par la grossesse, par les gènes, ou seulement par l’éducation.
Moi qui pensais que je m’en foutais de connaître la vérité, me voilà toute chamboulée. J’ai compris petit à petit que ce qui me perturbait, c’était que je devais réécrire mon histoire.
Chacun a sa petite mythologie personnelle, faite de souvenirs, de symboles, de choses qui sont importantes et qui deviennent l’expression de notre identité.
Cette vérité a fait voler en éclats certains éléments qui me constituaient, comme mes origines italiennes auxquelles j’étais très attachée et que je pensais retrouver dans certains aspects de mon physique ou de ma personnalité.
J’ai eu besoin d’un peu de temps pour intégrer tous ces nouveaux éléments dans mon histoire, mais finalement, la nouvelle version me plaît peut-être même davantage !
Le don d’ovocytes, c’est le récit d’une solidarité féminine. Ma mère ne pouvait pas avoir d’enfant, donc une femme lui a offert le moyen d’en avoir un.
C’est une chaîne de solidarité sans fin, et autant vous dire que faire des dons d’ovocytes n’est pas une partie de plaisir !
Même si je ne saurai jamais qui est cette donneuse anonyme, j’aime à penser que c’est au moins une femme généreuse et je la remercie d’avoir permis à ma mère de vivre son rêve de famille.
Je ne considère pas du tout cette femme comme une « mère » ni même comme une « génitrice », comme cela pourrait être le cas si j’avais été adoptée.
Pour moi, c’est plutôt comme si elle avait fait un don d’organe pour pallier un défaut du corps de ma mère. Après tout, c’est ma maman qui m’a portée et, sans sa volonté et celle de mon père de m’avoir, je n’existerais pas.
Si cet ovocyte avait été donné à un autre couple, ce n’est pas moi qu’il aurait engendré.
C’est pour ça que je n’ai pas un seul instant pensé à ma mère comme autre chose que ma mère. Pareil pour mes sœurs. Même si nous n’avons que la moitié de nos gènes en commun, nous avons les mêmes souvenirs, la même éducation, la même famille.
Cela pourrait juste expliquer pourquoi elles sont beaucoup plus petites que moi et ont hérité d’un sale caractère alors que je suis un ange…
Nous avons parlé de tout ça ensemble, comme moi elles se sont posé des questions, comme moi cela n’a rien changé dans leur rapport avec notre mère.
Si, peut-être que cela les a rapprochées de la voir un peu moins comme une maman sans faille et un peu plus comme une femme.
La recherche de mes gènes après une naissance par don d’ovocyte
Nous avons aussi discuté de la possibilité offerte par les analyses d’ADN de pouvoir en savoir plus sur cette moitié de notre génétique que nous ne connaissons pas.
Personnellement, je trouverais intéressant de savoir si j’ai des origines particulières, mais j’ai un peu peur de voir mon patrimoine génétique intégré dans des bases de données étrangères sans savoir qui pourrait tomber dessus.
Même si je suis curieuse de savoir à quoi ressemble la donneuse, je ne suis pas à la recherche d’un quelconque lien et je ne voudrais pas m’immiscer par erreur dans sa vie, ni l’inverse d’ailleurs.
Pour l’instant nous avons mis cette idée de côté, peut-être éprouverons-nous un jour le besoin d’y revenir, ou pas.
Si j’ai eu envie d’en parler, c’est pour dire merci aux femmes qui ont fait un don d’ovocytes, et surtout courage à celles qui en ont ou vont en bénéficier.
N’ayez pas honte de votre histoire, surtout pas devant vos enfants, car votre histoire est un chapitre de la leur.
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