Le 16 août 2020
Je qualifie toujours l’histoire que je m’apprête à raconter de pire mariage de tous les temps.
Alors, mes interlocuteurs intrigués me défient :
« Mais comment ça le pire ? Y a un mort ou presque j’espère ! »
Non, pas presque.
Un décalage qui se ressent
Cette année-là, toute étudiante que j’étais, j’avais besoin d’un peu de beurre dans mes coquillettes-jambon.
J’ai donc sauté sur l’occasion de devenir la photographe officielle du mariage du cousin d’une amie. J’allais profiter d’un week-end ensoleillé dans un manoir sur la Côte d’Azur pour me faire un peu d’argent sur le dos du love. What else ?
Rien ne laissait présager qu’avec le recul, j’aurais préféré rester sous la pluie en Normandie à mater le deuxième opus de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? avec un paquet de chips molles. C’est dire !
Après quelques heures de train, je pose mes valises la veille du jour-J sur une propriété immense, splendide, un cadre rêvé pour le plus beau jour de sa vie.
Pourtant, je me sens en décalage. J’avais été prévenue par mon amie : ce sera un weekend à la sauce ancienne Église catholique. Mais l’athée pure souche que je suis n’était définitivement pas prête pour cette ribambelle de traditions qui me paraissent un tantinet vielle France.
Les futurs mariés vouvoient leurs parents. Le prêtre milite fermement contre les rapports sexuels avant le mariage pendant les deux heures trente de cérémonie et je hoche la tête, hagarde, quand on me parle de « pélénate » (j’ai compris à la fin du week-end qu’il s’agissait d’une contraction de pèlerinage national)…
Le couple à l’honneur est stressé, je ne reçois que peu d’indications sur le travail que je dois fournir. On m’informe seulement qu’ils veulent que je me rende « invisible ». Les portraits seront difficiles à tirer depuis les fourrés, mais je me plie aux règles.
La veille du mariage, l’ambiance est au beau fixe, alors je me réjouis de voir ces gens, certes différents de moi, mais heureux de fêter cette union.
Un mariage… et un enterrement
Le pire reste cependant à venir.
Je passe une nuit agréable dans la propriété familiale où je suis extrêmement bien accueillie. Je pars faire quelques repérages à l’église pour capturer au mieux le moment le plus important de la journée aux yeux des mariés… sans savoir qu’à ce moment-là se déroulait en réalité le moment décisif du week-end.
En rentrant de mon escapade, je vois les pompiers, tous gyrophares dehors, squatter la pelouse du manoir. L’oncle de la mariée vient de passer l’arme à gauche à la table du petit déjeuner où je me nourrissais 1h30 plus tôt.
Les invités accusent le choc avec des chants religieux, tandis que le vieil homme est transporté dans sa chambre, dans la maison même où se dérouleront les festivités du soir. La journée se transforme donc en mariage/veillée mortuaire, et moi je suis censée photographier le tout.
Je ne sais pas où me mettre, je ris nerveusement, je fume, angoissée par cette proximité inhabituelle avec un macchabée.
Si je croyais en un dieu qui communique des messages aux mortels, j’aurais sûrement interprété les événements comme une manière de dire ARRÊTEZ TOUT, TOUT DE SUITE, MAINTENANT, avec des néons jaunes et rouges et éventuellement un émoji tête de mort.
Mais pour des questions probablement budgétaires et logistique de rassemblement difficile des 200 invités ou autres inconnues, le mariage n’est pas annulé.
Et il est temps pour moi d’aller prendre des photos de la préparation des mariés.
Une cérémonie où les invités s’effondrent
La suite de cette cérémonie ressemble vaguement à un film avec Pierre Richard, pleine de cascades d’invités tombant comme des mouches et de moments embarrassants à la limite du burlesque.
Alors que je capture le moment où le marié enfile son veston, je vois à travers mon objectif, à l’arrière-plan, un groupe d’invités en grande pompe se rassembler près de la piscine : la tante de la mariée vient de tomber en syncope. Mais à peine on la relève qu‘il faut partir pour l’église, et que ça saute ! Le mariage maudit n’aura que quarante minutes de retard.
En attendant l’arrivée de l’heureux couple, je me place à gauche de l’autel, à la recherche d’un angle qui me garantira les meilleurs clichés avec un minimum de visibilité.
C’est le moment que choisit le prêtre pour lancer non pas un, non pas deux, non pas trois ni même cinq, mais bien une bonne grosse douzaine de Je vous salue Marie en mémoire de l’oncle décédé. Je regarde avec terreur les yeux de toute l’assemblée se braquer sur moi, ou plutôt sur la statue de la Vierge Marie devant laquelle je me trouvais, pour entamer leur prière.
Bien sûr, je n’en connais pas un traître mot, et au lieu de tout simplement changer de place, je reste là, les bras ballants, les yeux dans le vague, en triturant le livret de messe avec une gêne immense.
À la dixième répétition, je tente un yaourt peu convaincant qui me vaut les œillades amusées de mon amie, assise au premier rang.
Une fois les mariés sur place, la cérémonie religieuse peut enfin débuter. Je décide de faire des photos des invités. Les yeux dans l’objectif, j’initie un travelling le long des bancs de l’église, quand tout à coup, une tête manque à l’appel.
En relevant la tête, je découvre une deuxième tante de la mariée les quatre fers en l’air, entourée d’une armée d’éventails qui m’intiment de me taire, pour que les mariés ne remarquent pas ce nouveau coup du sort.
À ce rythme-là, ce mariage va concurrencer le Red Wedding de Game of Thrones.
Mariage terrible, amour indestructible ?
L’adage dit : mariage pluvieux, mariage heureux.
Alors, si le mariage est vraiment catastrophique, est-il possible qu’il ne soit pas heureux mais extatique ? J’ose espérer pour les mariés, même s’ils m’ont tout de même mené la vie dure toute la journée.
J’ai bossé douze heures d’affilée avant de me coucher le ventre rempli de pizza réchauffée (je ne faisais pas partie de la liste des invités et ils n’avaient rien prévu pour moi, j’ai donc dû manger les restes du frigo dans la cuisine, comme Cendrillon).
Ça m’a presque fait regretter le prix d’amis que je leur avais fait, mais qu’importe, j’y ai gagné une histoire croustillante qui me donne la cote en soirée.
Les photos du mariage ont été très appréciées, sûrement parce qu’elles ressemblaient au conte de fées qu’ils avaient imaginé et non au cauchemar qui s’est vraiment déroulé.
N’empêche qu’à l’heure actuelle, les deux tourtereaux filent toujours le parfait amour, tandis que le fabuleux mariage de ma sœur qui s’est déroulé la même année n’a pas tenu plus de six mois.
À lire aussi : Pourquoi je déteste les EVJF (et ne suis clairement pas le seul, avouez)
Crédit photo : Emma Bauso / Pexels
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Les Commentaires
L'article a effectivement été publié sur Rockie il y a quelques temps, c'est une erreur humaine de ma part de ne pas l'avoir précisé, ce que nous faisons systématiquement. L'erreur est réparée grâce à vous, merci de votre vigilance !
Sur les remontées de témoignages, je prends note de vos remarques et j'aimerais juste préciser la chose suivante : les remontées sont faites en plus de la publication de nouveaux témoignages, et elles ne les remplacent en rien. Ceux qui ont été initialement publiés sur Rockie, par exemple, ont été "absorbés" par le site de Madmoizelle au moment de la transformation de Rockie en Daronne, et les remonter est une manière de les mettre en valeur auprès d'un nouveau public, sans que cela ne m'empêche d'aller chercher de nouveaux récits a publier.