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Santé mentale

J’ai 29 ans, je m’automutile, mais je me soigne

Depuis qu’elle a 12 ans, cette Rockie de 29 ans s’automutile. Loin du schéma souvent représenté dans la culture pop de l’automutilation par scarifications, elle a mis du temps à comprendre qu’elle se faisait réellement du mal.

J’ai 29 ans et je me fais physiquement du mal depuis que j’ai 12 ans. Je n’aime pas le terme « automutilation », que je trouve un peu extrême et dans lequel je ne me suis jamais vraiment retrouvée.

J’aime mieux celui de « self-harm » en anglais, que je trouve moins agressif et culpabilisant et qui signifie vraiment « se faire du mal ». Mais comme « automutilation » est le seul terme qui existe en français, c’est celui que j’utiliserai ici.

J’ai décidé d’écrire ce témoignage parce que j’en trouve pour l’instant très peu en français sur le sujet. S’il peut aider quelqu’un, ou le/la faire se sentir moins seule, tant mieux.

Les différentes formes de l’automutilation

Je ne me suis jamais sentie légitime pour parler d’automutilation, parce que la « forme » sous laquelle la mienne se présente est un peu particulière.

Je n’ai jamais utilisé de lames pour me couper ou de métal pour me griffer, par exemple. La peau de mes bras présente la particularité d’être un peu granuleuse (forcément, je suis la seule à le remarquer de près).

C’est de la kératose, ce que j’ai compris un beau jour de 2017 en regardant la vidéo Cher corps où apparaissait Sophie Riche, qui en parlait. Je ne remercierai jamais assez Internet.

Quand je me fais physiquement du mal, c’est en voulant « éclater » avec mes ongles les petits grains de mes bras, comme du papier-bulle (désolée pour la vision).

Si je ne le fais pas trop fort, ça va simplement laisser des petites traces roses ou rouges qui partiront vite. Mais quand mon automutilation est agressive, les griffures vont jusqu’au sang et laissent des traces qui mettent plusieurs jours à disparaître.

Quand on pense à l’automutilation, on a souvent en tête cette image d’adolescents et adolescentes ou de personnes encore jeunes en souffrance, qui vont utiliser des lames pour se couper les bras, souvent de façon bien plus violente et sanglante que ce que j’ai pu faire.

Ce sont en tout cas les images que la fiction, la musique et la pop culture nous renvoient, j’ai l’impression. C’était donc compliqué, voire impossible pour moi de m’identifier à ça.

Je me disais que ces personnes, elles, souffraient vraiment en se coupant, qu’elles avaient des marques plus visibles et permanentes que les miennes.

Moi, avec mes griffures, je n’avais pas le droit de m’identifier à cette souffrance-là, qui me semblait dix crans au-dessus. C’est pour ça qu’il y a des tabous à faire tomber autour de l’automutilation, je pense, et qu’il faut en parler.

Les façons de se faire souffrir sont malheureusement très nombreuses.

Ce midi, une amie me parlait de la série My Mad Fat Diary, ou un personnage s’automutile en se brûlant avec l’eau de la douche. Je n’avais jamais entendu parler de ça, par exemple.

La psychologue Marie Lafond définit l’automutilation et ses différentes formes :

« L’automutilation porte atteinte à l’intégrité corporelle de l’individu sans intention de se donner la mort. Elle a commencé à être étudiée par la psychiatrie du XIXe siècle et concernait surtout des blessures graves.

Aujourd’hui elle est de plus en plus présente chez les adolescents et adolescentes et peut prendre des formes très différentes.

Ces comportements sont généralement stéréotypiques, ils se déroulent toujours de la même manière et selon le même mode opératoire. Une distinction est faite entre les lésions auto-infligées suicidaires et les lésions auto-infligées non-suicidaires.

Ces troubles sont souvent liés à des angoisses, une forme de dépression et parfois des pensées suicidaires. On peut parler d’automutilation dès que l’on porte atteinte à sa propre intégrité physique, ce qui est souvent associé à de la douleur.

Certains troubles regroupent plusieurs classifications, comme la dermatillomanie (l’obsession de se « gratter » la peau) que semble décrire la personne qui témoigne.

Cela peut être considéré comme un trouble obsessionnel compulsif (TOC) car la personne ne peut s’en empêcher et la pratique revient régulièrement.

Mais cela peut aussi être considéré comme de l’automutilation car il s’agit de se faire du mal à soi-même régulièrement.

Pour le DSM V, le manuel qui définit les critères diagnostiques des troubles répertoriés, plusieurs points doivent être présents pour parler d’automutilation. Il faut notamment que les lésions auto-infligées puissent provoquer un saignement, des contusions ou de la douleur.

Le comportement provoque une souffrance mais a aussi pour vocation de résoudre des difficultés personnelles.

Pour résumer, l’automutilation peut prendre des formes diverses mais elle se résume avec la contradiction suivante : je souffre donc je me fais du mal physiquement pour trouver une solution à ma souffrance.

Se faire du mal physiquement peut prendre des formes très diverses, la plus connue est la scarification mais il en existe une multitude, qui sont toutes aussi légitimes et importantes. »

Mon automutilation, moi et le regard des autres

J’ai commencé à me faire du mal à douze ans, je ne sais plus quand ni pourquoi.

J’étais ado, probablement très angoissée et mal dans ma peau. En 4ème, j’ai été harcelée au collège et mon automutilation a commencé à prendre une forme très visible.

Surtout en été, où je n’avais d’autre choix que de porter des manches courtes… parce qu’il faisait chaud ! Du coup, je trouvais des excuses pour expliquer mes bras couverts de griffures, comme :

« Je suis tombée dans mon jardin. »

Personne n’était dupe.

J’en avais honte, c’était gênant pour les élèves — même si ça ne les regardait pas — c’était gênant pour ma famille qui ne savait pas comment m’aider ou tentait très maladroitement de le faire.

Je pense que j’ai réellement pris conscience que je m’automutilais quand ça a commencé à laisser des traces visibles, surtout à 13 ans, où ça a été particulièrement violent.

Un élève de ma classe de 4ème m’avait demandé si j’allais bien, j’avais répondu oui. Il m’a regardée et a dit :

« Pourtant, tu t’automutiles. »

C’était un mot que je refusais de donner à ce que je faisais. Il y a aussi eu les regards étranges d’une surveillante qui voulait savoir ce qui m’était arrivée.

Ou une fille de ma classe qui pensait que je me brûlais les bras avec des bouts de cigarettes.

Je ne me souviens plus comment j’ai vécu la prise de conscience que ce que je faisais était de l’automutilation, parce que je ne l’assumais pas, ni ne me sentais légitime.

Se griffer les bras était un problème, oui, et de taille. Mais de l’automutilation, vraiment ? Je n’en étais pas sûre. Il m’a fallu longtemps avant de qualifier ce que je faisais ainsi.

En fait, c’est probablement depuis un an que je l’assume vraiment, en visionnant des vidéos qui en parlent et en regardant mon addiction en face.

Avant ça, il y a toujours eu un déni plus ou moins présent.

Marie Lafond explique pourquoi il peut être difficile de mettre des mots sur un comportement d’automutilation :

« La personne qui témoigne explique très bien le processus qui l’a conduit à prendre conscience de la manière dont elle fonctionne.

Elle parle de la culpabilité et du jugement des autres, qui semblent l’avoir longtemps empêchée de prendre conscience que ces gestes étaient de l’automutilation.

De plus l’automutilation est un comportement auquel ont souvent recours les adolescents parce qu’ils sont envahis par leurs émotions. Face à ce tourbillon il est très difficile, sans aide, de poser des mots sur ce qui nous arrive.

Se faire du mal est donc un moyen pour extérioriser cette souffrance quand parler ou même penser est impossible tant on est pris dans un tourbillon.

C’est comme une barque qui prend l’eau que l’on vide avec un seau : au début cela permet de ne pas être submergée, donc on continue sans s’arrêter, mais petit à petit, quoi que l’on fasse, cela ne suffit plus et on est sous l’eau.

L’automutilation permet de continuer à faire abstraction de ces émotions qui nous dépassent, jusqu’à ce qu’elles prennent le dessus.

Au bout d’un moment ce comportement devient « automatique », il évite de passer par la réflexion qui est source d’angoisses. Il devient donc normal, et on a tendance à le banaliser. »

Mon addiction à l’automutilation

J’aurais donné n’importe quoi pour arrêter de me faire du mal. Mais je n’avais pas de suivi psychologique, et pas d’autre moyen de déstresser à part… traiter mon corps comme du papier-bulle géant.

En grandissant, mon automutilation est devenue moins agressive. J’ai même réussi à arrêter pendant un an… avant de replonger.

Car l’automutilation est une addiction, une vraie.

Ça devient un réflexe spontané quand je suis seule chez moi, angoissée, par exemple. En ce qui me concerne, ça peut aussi arriver dans n’importe quel moment de vide ou d’entre-deux.

Il est très difficile de mettre fin à une « session » d’automutilation : c’est un peu comme une transe, un état second, qui va se terminer à un moment donné, mais sur lequel j’ai l’impression de n’avoir aucun contrôle.

Ça peut durer trois minutes ou une heure, et ce malgré la petite voix dans ma tête qui me crie que je me fais du mal et qu’il faut arrêter !

Je pensais que ma tendance à faire du mal à mon corps allait s’arrêter naturellement en devenant adulte. Ça n’a pas été le cas, bien sûr.

Ma thérapie et comment j’ai commencé à me sortir de l’automutilation

Il y a un peu plus d’un an, j’ai commencé une thérapie. J’avais plusieurs raisons de la faire que je n’expliquerai pas ici.

On pourrait les résumer par : j’en étais à un stade où j’ai compris que je ne m’en sortirais pas seule. J’ai donc mis ma fierté de côté et contacté la psychologue formidable qui me suit toujours à l’heure actuelle.

Si son accompagnement m’a permis d’avancer, j’ai mis longtemps avant de me décider à lui parler de l’automutilation. Comme toujours, elle m’a écoutée sans jugement et avec bienveillance.

C’est en échangeant avec elle que j’ai commencé à aller mieux et à mettre en place des petites habitudes quotidiennes qui m’ont aidée, petit à petit, à sortir de mon addiction.

J’ai aussi visionné beaucoup de vidéos YouTube sur la santé mentale et le self-harm, parce que j’avais désormais le courage de regarder mon problème en face.

De nombreux youtubeurs et youtubeuses anglo-saxones abordent le sujet, sans jamais dramatiser, en racontant leur vécu et les solutions qu’ils et elles ont trouvé.

Sortir d’une addiction qui dure depuis dix-sept ans n’est pas simple. Le risque de rechute est toujours là — j’en parle plus bas. Au fil des mois, j’ai donc mis en place des petites astuces pour lutter contre l’automutilation et globalement pour aller mieux.

Je les appelle « les règles militaires ». Voici les principales :

  • avoir toujours un scoubidou à proximité, pour m’occuper les mains quand l’envie de me faire du mal arrive, ou quand je suis dans un moment où je n’ai rien à faire
  • écrire chaque jour un micro bilan de ma journée dans mon bullet journal, en mettant l’accent sur ce qui m’a plu
  • utiliser un chronomètre pendant ma douche à la salle de bain : pas moyen de m’y attarder et de me faire du mal, le temps est compté – et ça limite le gaspillage d’eau !
  • porter une tenue différente chaque jour pour éviter l’idée de répétition, donc de monotonie et de vide
  • lire au moins un livre par semaine
  • faire du yoga un jour sur deux

J’ai toujours un scoubidou dans mon sac, j’en ai semé plusieurs dans mon appartement, j’en ai aussi posé un sur mon bureau au travail. Comme je suis également autrice, j’essaie d’avoir toujours un projet en cours et de garder l’esprit occupé.

Je mets aussi un point d’honneur à voir régulièrement des amis ! Je commençais donc à aller mieux, mais le confinement a été l’épreuve inattendue.

Marie Lafond explique l’importance des stratégies comme les « règles militaires » de cette Rockie, et leurs limites :

« Pour trouver d’autres stratégies pour écouter ses ressentis, on peut mettre en place certaines habitudes. L’écriture, la méditation, le repérage des situations à éviter sont des bonnes stratégies.

Les émotions peuvent s’exprimer librement donc l’automutilation n’a plus d’utilité et disparaît d’elle-même. On voit que la personne qui témoigne a fait beaucoup de travail sur elle pour trouver ses propres stratégies.

Cependant il faut être vigilant car la mésestime de soi et la volonté de se faire du mal ne sont pas loin quand on parle de « règles militaires ».

Le but est de pouvoir s’écouter sans culpabilité et dans la bienveillance, mais si les nouvelles habitudes deviennent des contraintes qui nous culpabilisent si on ne les suit pas à la lettre, c’est aussi une forme de maltraitance envers soi-même.

C’est une nuance ténue mais importante, qui fait partie de la reconstruction.

Il s’agit d’apprendre à être bienveillant envers soi-même et à accepter la personne que l’on est. Et non de remplacer l’automutilation par des contraintes et de la culpabilisation.

Nous n’avons pas besoin de nous maltraiter nous-même pour être accepté des autres. Vous êtes des personnes précieuses telles que vous êtes, vous ne méritez pas de vous maltraiter pour exister. »

Le confinement, la rechute dans l’automutilation

Si vous vivez sur la planète Terre, vous avez été confinées pendant plusieurs mois en raison de l’épidémie de coronavirus.

Pour ma part, j’ai fait le choix de rester chez moi (où je vis seule) pendant cette période, dans un appartement que j’aime, avec mes livres, mes disques et mes projets. Si je ne regrette pas cette décision, le confinement a eu pour conséquence de faire revenir de vieux démons.

C’est admis : ce n’est pas parce que je suis une thérapie et que je suis « clean » depuis plusieurs mois que je ne risquais pas de faire une rechute dans l’automutilation. Ça arrive, ça arrivera probablement plusieurs fois, et ça n’est pas grave.

Je crois que le plus important, c’est de me souvenir que j’ai pu y faire face auparavant, et de retrouver ce qui m’a permis de le surmonter.

Le confinement, ça signifiait ne pas sortir, ne pas voir d’amis, et donc, parfois, me retrouver à tourner en rond chez moi. Le manque d’interactions avec l’extérieur m’a remise face à d’anciennes peurs et de vieilles habitudes… dont l’automutilation.

J’ai sévèrement rechuté.

Et ce malgré mes lectures, mes contacts quotidiens avec mes proches en visio ou au téléphone, le yoga, où le fait que je m’habillais chaque jour comme pour aller au travail, même si je bossais de chez moi.

Ma psy m’a expliqué que c’était normal, étant donné la situation difficile et inédite que le confinement représentait. J’étais amenée à revenir à une pratique que j’avais utilisée pendant des années pendant mes moments d’angoisse…

Il fallait juste le reconnaître et l’accepter avec bienveillance, ce qui allait me permettre de reprendre soin de moi.

Marie Lafond parle de la reconstruction :

« La reconstruction est rarement un processus linéaire, il y a parfois des retours en arrière. Mais progressivement on peut arrêter de s’automutiler en apprenant à s’écouter.

Au début c’est un travail constant car il faut aller à l’encontre de l’automatisme qui s’est mis en place. Mais petit à petit d’autres habitudes prennent le dessus, le but est d’instaurer des rituels bienveillants qui prennent la place de ces automatismes délétères.

Il s’agit aussi d’apprivoiser la partie de nous qui a besoin de nous faire du mal, de la comprendre et de l’écouter. Cette partie sombre fait partie de chacun de nous donc elle sera toujours présente, mais chacun peut choisir quelle place elle doit prendre. »

Surmonter l’automutilation grâce à la bienveillance

Je me suis rendu compte que je n’avais plus touché à un scoubidou depuis des semaines, que mon bullet journal était parfois laissé à l’abandon…

Mon premier réflexe a été de me dire que ça n’était pas bien, que j’avais perdu du temps sur mes projets, relâché la garde de ma santé mentale, et que je devais me ressaisir. Résultat : ça m’a angoissée davantage.

En ce moment, je vois le bout du tunnel. Je revois des vidéos sur le self-harm pour trouver des astuces, j’ai ressorti des scoubidous… La bienveillance envers soi n’est jamais évidente, mais j’essaie de me dire que ma rechute n’est pas définitive.

Que, cette fois, j’ai les armes pour la surmonter. J’apprends à vivre avec mon addiction, à l’accepter, et peut-être qu’un jour je la maîtriserai totalement.

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