Article publié initialement le 3 juin 2020
Ce n’est pas le genre de lignes que j’aurais aimé vous écrire ici, chez Rockie, mais la vie a fait que.
Quand j’étais petite, on m’a diagnostiqué un cancer osseux de type sarcome. Les sarcomes sont des cancers rares et complexes qui représentent environs 2% de l’ensemble des cancers.
Un premier cancer diagnostiqué jeune, et ses conséquences
Il était localisé dans un de mes tibias. Je vous avouerai que du haut de mes 13 ans, je n’avais pas vraiment compris la gravité de la situation.
Le spécialiste l’avait annoncé à ma mère, avec ces mots : « la mauvaise nouvelle, c’est que c’est un cancer rare, la bonne nouvelle c’est qu’on sait le soigner. » Mon inquiétude sur l’échelle de Richter ne s’était pas trop emballée. Je ne savais pas ce qu’était un cancer exactement.
Après une lourde opération, des mois de rééducation, deux ans sans activités sportives, 15 kilos de plus et une belle jambe pleine de cicatrices, voilà que je reprenais une vie « normale ».
Le même spécialiste nous (r)assura que cette pathologie, étant tellement rare, ne reviendrait pas.
C’est fin novembre 2019, dans un hôpital en Angleterre, que j’ai eu la sensation qu’on m’arrachait l’âme par le torse.
J’avais littéralement perdu le contrôle de mon corps pendant qu’une oncologue eut la lourde tâche de m’annoncer que « les tâches qu’on voit sur les clichés de vos poumons sont des métastases cancéreuses. »
Alors, oui, vous l’aviez vu venir.
Eh bien pas moi.
Faire le deuil, et continuer à avancer
Durant ces 15 dernières années, j’avais fait le deuil de ce qu’avait été une très longue et très dure période de ma vie.
J’avais eu une adolescence relativement normale et un début de vie d’adulte à ma façon. Depuis quelques années je suis expatriée, j’ai repris mes études en Angleterre, j’ai des projets plein la tête et je voyage souvent – bref, je suis à l’aise avec moi-même.
Je crois que l’ironie dans tout ça, c’est que je fais du sport : je cours (du moins… courrais) souvent, ça fait même deux années consécutives que je fais des semi-marathons !
J’étais donc à mille lieues de penser que cette petite « gêne » que j’avais depuis quelques mois, était en réalité quelque chose qui me tuait à petit feu sous forme de 5 grosses métastases à travers les deux poumons.
Mon monde s’est écroulé.
En fait, non. Je souhaite corriger cette phrase très clichée et un peu égocentrique :
Mon être entier s’est effondré.
Annonce du deuxième cancer, et mes espoirs brisés
La première manifestation physique a été cette sensation « d’arrachage » d’âme. Puis juste après, c’est mon avenir, mes espoirs, mes envies et mes rêves que j’ai sentis s’évaporer aussi vite qu’un claquement de doigt de Thanos dans Avengers.
L’oncologue m’a fait comprendre calmement qu’il y avait premièrement une biopsie à effectuer pour savoir à quel type de cancer on avait affaire, puis que les décisions quant à un traitement seraient prises à partir de ces résultats.
Comme j’étais sonnée, c’est l’amie qui m’accompagnait qui posa les questions à ma place : « Est-ce que ça sera un traitement par radiothérapie, ou bien par chimiothérapie ? »
Malgré la voix douce du Professeur, la violence de la réalité de ses mots me frappa d’une douleur sourde et invisible :
Il y a trop de métastases pour faire une radiothérapie, ça risque de vous rendre plus malade que ce que vous ne l’êtes actuellement. Pour la chimiothérapie, ça va dépendre de si ce cancer est lié à celui que vous aviez quand vous étiez petite, ou pas. Si c’est le cas, il n’existe malheureusement aucun traitement et donc la chimiothérapie sera mise en place pour essayer de le « gérer ».
Et là, mes espoirs se sont dissous.
Se retrouver avec ses proches pour affronter la suite
Pendant les jours qui ont suivi, j’étais vivante et vide à la fois.
Une de mes meilleures amies est venue dès qu’elle a pu et est restée avec moi pour le week-end. Je me souviens qu’on est sortie en ville, pour s’aérer et essayer de penser à autre chose.
Mais tout résonnait faux. J’avais l’impression d’observer les personnes autour de moi à la troisième personne, je me rappelle avoir été envieuse de leurs airs insouciants.
Nous étions maintenant au début du mois de décembre et l’atmosphère environnante tout entière n’était pas compatible avec la brutalité que je vivais intérieurement.
J’ai quitté l’Angleterre quelques semaines après ça. Quitte à faire une chimiothérapie, je souhaitais l’effectuer entourée de mes proches.
Mais aussi, je souhaitais un deuxième avis. Je vous passe évidement les détails sur le bordel que ça a été de transférer mon dossier médical d’un pays à l’autre.
Imaginez contacter des secrétaires médicales en leur disant « Bonjour, j’ai un cancer, je souhaiterais voir tel ou tel médecin s’il vous plait » sans un seul dossier à présenter.
Je parie que certains ont dû penser très fort que je m’étais autodiagnostiqué un cancer sur Doctissimo avant de les appeler.
Un essai clinique, et un premier espoir
Puis une jeune pneumologue m’a prise sous son aile, elle a compris mon désarroi et m’a mis en relation avec une spécialiste des sarcomes basée sur Toulouse, dès que la biopsie révéla que le cancer était bien lié à celui que j’avais eu quand j’étais enfant.
Début janvier, lors de ma première consultation à Toulouse, la spécialiste m’a fait comprendre qu’on partait sur un cas « très compliqué », mais qu’il y avait éventuellement une alternative à la chimiothérapie et qu’elle m’en dirait plus une fois qu’elle se serait concertée avec d’autres spécialistes de France.
Elle m’assura que « chaque décision prise concernant ton cas devront être approuvées nationalement ».
Il aura fallu deux mois d’attente avant de savoir si cette alternative était possible.
Deux mois au cours desquels j’ai dû faire face à un nombre incalculable d’intenses états émotionnels.
Mon cerveau réfléchissait sans cesse à tous les scénarios potentiels de ma vie : allais-je faire partie d’un court ou d’un long métrage ? À quel prix ? L’attente est féroce ; la capacité à réfléchir, sa plus grande source d’énergie.
Passé ce délai, on a mis fin à mon agonie en m’annonçant que j’étais ‘recevable’ pour un traitement dit en « essai clinique » : un traitement d’immunothérapie.
L’immunothérapie, un traitement à tenter
L’immunothérapie, simplement expliquée, c’est un traitement qui vise à booster le système immunitaire à reconnaitre que certaines cellules ne se développent pas comme elles devraient le faire, et donc à inciter celui-ci à les éliminer.
C’est des cachets à prendre une fois par jour, la durée varie selon la pathologie et le corps de chacun. Il y a aussi des effets secondaires, mais cela reste une approche beaucoup moins agressive qu’une chimiothérapie, et qui plus est, a fait ses preuves sur bon nombre de sarcomes.
Dans le métro Toulousain du retour, j’ai repris mon calepin, laissé de côté depuis quelque temps, et j’ai déversé ces quelques lignes :
« Aujourd’hui, il fait gris et il pleut. Autour de moi les mots sont enveloppés de prudence et ça fait des semaines que j’ai oublié la sensation d’une nuit de sommeil complète. Mais j’entrevois ces couleurs – tu sais, celles qui persistent lorsque le temps est assombri ? Ça me donne envie de danser avec élan, d’entendre le rire de tes yeux, puis d’embrasser tes paroles. Aujourd’hui, j’arrive à sentir le soleil malgré son absence. Parce qu’aujourd’hui, j’ai espoir. »
Et de l’espoir, c’est tout ce que je demandais.
Du choc à l’acceptation
Cette situation m’a énormément changée depuis ce mois de novembre 2019. J’ai fait un énorme travail personnel, en tous points. Il a fallu que je transitionne du choc à l’acceptation. J’ai appris, de la manière forte, que la vie est surprenante.
Mais attention, je ne parle pas que des connotations négatives de ces côtés surprenants. J’ai vécu des choses intensément douloureuses mais aussi parfois profondément belles.
C’est comme s’il n’y avait plus de place pour le paraitre et que tout était partagé à l’état brut.
J’ai créé des liens incroyables avec mes proches, même avec des personnes qui ne l’étaient pas auparavant, et puis aussi avec de complets inconnus.
J’ai ouvert mon esprit à des pratiques qui piquaient ma curiosité par le passé, mais que je n’avais jamais vraiment considéré essayer, comme des médecines non-conventionnelles. Et surtout, j’ai appris à m’écouter.
Tout cela m’a forcé à sérieusement considérer la question suivante : « Si je mourrais bientôt, qu’est-ce que je ferais du temps qui me reste ? »
L’attente de la fin de la tempête
Je vous écris ce témoignage après 2 mois et demi de traitement d’immunothérapie.
Ironiquement, mon début de traitement a coïncidé avec le début du confinement en France, alors je me suis dit que c’était un signe que l’univers ralentissait sa course pour que je puisse suivre la cadence.
Je ne sais pas encore si ce traitement fait effet, j’ai rendez-vous bientôt pour le savoir. Cependant j’ai un bon ressenti personnel quant à son efficacité, même si les effets secondaires peuvent me briser physiquement et mentalement par moments.
Je sais que je suis une personne optimiste, déterminée et robuste, mais je ne serais pas où je serais à l’heure actuelle sans les personnes qui m’entourent, puis celles croisées au hasard en chemin. Elles m’apportent la force qui me manque lors de mes jours difficiles.
Les choses banales de la vie me manquent : bougonner quand j’entends mon réveil qui sonne bien trop tôt le lundi matin, avoir mes neveux qui me sautent dessus pour me réveiller quand je dors chez eux, m’affoler pour cet entretien d’embauche tant attendu, ou bien entendre l’écho des rires de mes amis.
Mais je crois que la chose qui me manque le plus c’est de pouvoir aller me coucher sans m’inquiéter.
Si vous saviez comme j’ai hâte. Hâte de manger n’importe quels aliments sans avoir mal, d’être insouciante à nouveau, de retrouver mon physique d’avant. Enfin, hâte que cette tempête passe. Alors je m’adapte, je patiente.
Et cette tempête passera.
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