Edit du 5 avril
Excellente nouvelle pour finir la semaine. Dans un tweet publié ce vendredi après-midi, l’Ordre des Médecins annonce avoir décidé de porter plainte contre les 3 responsables du Syngof (Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France).
En mars dernier, ils avaient enjoint leurs adhérents à cesser de pratiquer des IVG si la ministre de la Santé ne répondait pas à leurs demandes.
« Le Conseil national de l’Ordre estime que le droit à l’
#IVG est un acquis majeur des femmes, et qu’il ne saurait être mis en balance comme moyen de faire aboutir une revendication syndicale. »
Une décision exemplaire qui démontre que la mobilisation citoyenne est toujours aussi pertinente pour défendre les droits humains.
Article initialement publié le 13 mars 2019
« Préparez-vous donc à ce que le syndicat vous donne l’ordre d’arrêter les IVG si la ministre de la Santé refuse de nous recevoir. »
C’est sur cette affirmation hallucinante que le « premier syndicat des gynécos de France », le Syngof conclut un mail envoyé à ses adhérent·es mardi 13 mars.
Mais avant de s’énerver, resituons le contexte.
Un projet de loi santé débattu sous pression
Le projet de loi santé est actuellement examiné par la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et, comme d’habitude, les lobbyistes redoublent d’efforts pour attirer l’attention du grand public et du gouvernement sur les mesures qu’ils souhaitent voir prises en compte.
Le Syngof, comme les autres, vient défendre son bout de gras.
Et son bout de gras, c’est d’augmenter le montant alloué au fonds FAPDS (Fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins dispensés par des professionnels de santé), comme l’explique l’ancien Président du Syngof à Causette :
« Depuis 2002, le fonds FAPDS, qui vient en aide aux praticiens à l’occasion d’un sinistre, est plafonné (à 3 millions d’euros jusqu’en 2012, 8 millions depuis).
Par sinistre, j’entends condamnation lorsque le praticien a été reconnu coupable de manquements ou de négligences dans sa profession à la suite d’un procès.
Par exemple, lorsque par malheur un enfant est né lourdement handicapé et que cela est imputable à la manière dont l’accouchement s’est déroulé.
Actuellement, nous avons connaissance d’une quinzaine de dossiers de praticiens dont les familles risquent d’être ruinées parce qu’ils doivent des sommes de plusieurs millions d’euros aux victimes. »
Visiblement inquiet que sa revendication n’aboutisse pas dans le projet de loi santé, l’ancien Président du syndicat a donc suggéré de donner comme consigne aux adhérent·es de ne plus pratiquer d’IVG si Agnès Buzyn, la ministre de la Santé refuse de les recevoir.
Dans la profession, le Syngof n’est pas connu pour son progressisme et sa défense des droits des femmes à disposer de leur corps comme elles l’entendent. L’actuel Président du syndicat, Bertrand de Rochambeau, est même connu pour ses positions anti-IVG dont nous te parlions déjà en septembre dernier.
Pourtant, avant de commencer cet article, j’ai eu un vrai cas de conscience.
Dans son interview à Causette, Jean Marty affirme, en toute détente :
« La profession, dans son écrasante majorité, trouve normal de pratiquer des IVG, mais c’est un sujet ultra sensible donc nous voulons manipuler la menace d’une grève à l’IVG pour être entendus. »
« Nous voulons manipuler la menace d’une grève à l’IVG »
Du coup, en donnant de la visibilité à une telle connerie, est-ce que je ne suis pas en train de leur rendre service ?
La question est légitime. Pour justifier d’avoir brandi cette menace plutôt qu’une grève générale de la profession par exemple, le syndicat avoue sa stratégie médiatique : créer l’indignation, faire réagir, c’est sortir de l’indifférence.
Alors qu’une femme meurt toutes les 9 minutes d’un avortement clandestin dans le monde, cette tactique ne peut que provoquer de la colère.
Quand je lis de telles aberrations, je me demande pourquoi en 2019, on ne nous lâche toujours pas les ovaires. À quel moment des vieux mecs arrêteront d’instrumentaliser nos corps pour obtenir gain de cause ?
Là-dessus, Jean Marty remet de l’huile sur le feu :
« Pouvoir être secourus par ce fonds est tout aussi légitime que vouloir recourir à une IVG. »
Mais c’est quoi le rapport avec la choucroute ?! Comment une menace que des praticiens arrêtent de pratiquer des IVG peut faire pencher la balance en faveur d’un renflouement d’un fonds d’aide juridique ?
Cette colère, elle est nourrie par une peur inqualifiable. Cette peur fondamentale, qu’un jour, ce droit à choisir notre vie nous soit soustrait.
Au fond, on a peur de perdre, parce que l’Histoire n’a cessé de nous démontrer que les mecs étaient toujours plus écoutés que les meufs, même sur les sujets qui nous concernent directement. Et puis, on a vu ce qui se passe dans The Handmaid’s Tale…
Mais pendant que nos tripes se retournent en voyant un droit aussi fondamental que l’IVG remis en question par des praticiens auxquels on ne demande pas leur avis sur notre corps, notre choix, le syndicat gagne sa bataille médiatique et obtient une réaction de la ministre de la Santé et d’autres représentants du gouvernement, ainsi qu’une salve de retombées presse.
Dans le métier, c’est ce qu’on appellerait une opé de com’ low budget.
Sans doute débordé par les nombreuses réactions, le SYNGOF a publié un communiqué dans lequel il rétropédale, sans toutefois présenter d’excuses :
« Le SYNGOF n’arrêtera pas la pratique des IVG, mais il ne faiblira pas devant le problème de couverture assurantielle des gynécologues, chirurgiens et anesthésistes qui menace la pérennité de la profession. »
Comment tu peux agir
Heureusement, une partie de la profession s’est désolidarisée de cette prise de position et plusieurs mesures ont été suggérées pour éviter à l’avenir la prise d’otages des femmes par des praticiens qui évoqueraient leur « clause de conscience ».
Martin Winckler, le médecin engagé et auteur du Chœur des femmes propose par exemple de former aussi les sage-femmes et infirmier·ières aux IVG par aspiration.
Plusieurs militant·es ont aussi signalé sur Twitter que le mail du Syngof de mardi pouvait sans doute être considéré comme un délit d’entrave à l’IVG, et donc être puni par la loi. Contactée par téléphone, Saskia Lux, qui fait partie de la force juridique de la Fondation des femmes, explique qu’effectivement, le mail peut tomber sous le coup de l’article L2223-2 du Code de la Santé publique.
« Ce mail envoyé aux adhérents du syndicats pourrait constituer un délit d’entrave à l’IVG, car il est interdit d’exercer des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnels médicaux pratiquant l’IVG ».
Les associations de défense des droits des femmes à accéder à la contraception et à l’interruption de grossesse pourraient donc tout à fait se constituer partie civile pour poursuivre le syndicat, si elles le souhaitent.
Le 18 mars, des militantes ont manifesté devant le siège du Conseil de l’Ordre des médecins pour réclamer des sanctions, notamment contre le Président du Syngof. Le Secrétaire général du Conseil de l’Ordre a botté en touche, selon Ouest France :
« Vous vous trompez de cible », leur a dit ce responsable. Le communiqué du Syngof « est scandaleux, je ne peux pas vous dire plus ! Vous voulez des sanctions, mais les sanctions, ça ne se décrète pas comme ça ».
Et pourtant, comme le signale Marie-Hélène Lahaye, l’autrice engagée de Accouchement : les femmes méritent mieux, en plus de pouvoir s’auto-saisir au niveau départemental, l’Ordre des médecins peut également saisir la Chambre disciplinaire de première instance (CDPI).
Dans un document officiel détaillant le fonctionnement du Conseil de l’Ordre des médecins, on peut même lire que la ministre de la Santé, les préfets ou le Procureur de la République sont en mesure d’alerter la CDPI.
Bien que l’Ordre des médecins affirme ne pas pouvoir « s’auto-saisir », tu peux donc quand même continuer à mettre la pression au niveau national.
Anaïs Leleux, une militante du Groupe F te propose une action toute simple. Avec son formulaire, tu peux très rapidement envoyer un mail automatique enjoignant l’Ordre des médecins à prendre des mesures vis-à-vis des Dr Marty, de Rochambeau et de la Secrétaire générale du syndicat, Elisabeth Paganelli.
https://twitter.com/AnaisLeleux/status/1105850465516961792
Au 18 mars, plus de 12.000 mails avaient déjà été envoyés. Plus efficace encore, si un·e praticien·ne refuse de recourir à une IVG et ne te réoriente pas vers un·e de ses collègues, tu peux saisir l’Ordre des médecins au niveau départemental, ce qui donnera lieu à des sanctions.
Dernier rebondissement le 19 mars : le Conseil a annoncé sur Twitter qu’il étudierait début avril « les conséquences déontologiques » du mail du Syngof.
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