Il y a quelques temps, j’ai rencontré quelqu’un de bien. Pour une fois, tout était doux, simple, relaxant.
J’en avais presque oublié ma poisse légendaire.
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La faute à pas de chance
Un jour, dans l’agenda de ministre qui me sert de quotidien, j’ai eu le malheur d’oublier ma pilule. M’en rendant compte à temps, je choisis d’opter pour la pilule du lendemain.
En avalant le comprimé, j’ai eu comme une petite prise de conscience.
J’ai de la chance de vivre dans un pays où, librement, j’ai accès à cette contraception d’urgence.
Et en même temps, je fronce les sourcils : je n’en serais pas là si ma gynéco m’avait prescrit, comme demandé par 7 fois, un putain de stérilet.
Le stress a-t-il retardé mes règles ?
Trois semaines plus tard, je me réveille un matin, anxieuse. J’ai le sentiment d’avoir oublié quelque chose. Toute la journée, ça me taraude. Je réfléchis longuement avant d’être prise d’une angoisse monstre : j’aurais dû avoir mes règles ce matin.
Je calcule trois fois la date en me disant, peut-être que la pilule du lendemain a déréglé mon cycle.
Mais au fond de moi, je sens que quelque chose ne va pas. Je prends l’initiative d’en avertir mon petit ami, qui tente en vain de me rassurer.
« Attends un peu, c’est normal, avec la pilule du lendemain et le stress, peut-être que ça a retardé tes règles », me répète-t-il.
Je me dis qu’il n’a pas tort, et comme j’ai tendance à atteindre des niveaux de stress phénoménaux pour pas grand-chose, je décide d’attendre deux jours avant de paniquer outre mesure.
Mardi, pas de règles. Mercredi, toujours pas.
Je sais, au fond de moi, que ça n’indique rien de bon. À midi, je fonce à la pharmacie, empoigne deux tests de grossesse, et cours m’enfermer dans mes toilettes.
Le cadran du test ne m’a même pas fait patienter les trois minutes requises. C’était positif. Enfin, « positif »…
Je fonds en larmes. Pas de surprise, non, puisqu’au fond, je m’y attendais, mais plutôt de la panique.
J’ai déjà eu affaire à l’IVG par le passé. Le problème, c’est que c’était à la suite d’un viol, ce qui me valait jusqu’ici une amnésie totale quant à la procédure effectuée.
J’ai peur, vraiment peur. Je décide d’en parler à une personne de confiance, qui m’a soutenue et aiguillée dans la totalité de la démarche.
La prise de sang et les résultats se font attendre
Le jour-même de mon test, je fonce faire une prise de sang, requise pour acter la grossesse.
Je tremble de stress.
En rentrant dans la salle, talonnée par l’infirmière, celle-ci se saisit de l’ordonnance, et m’adresse un grand sourire.
« Oh, un test bêta HCG ? Je suppose que vous voudrez les résultats rapidement ?
Je vais vous faire signer un formulaire de consentement pour que vous puissiez accéder à vos résultats en ligne ! », claironne-t-elle.
J’ai la mine sombre, envie de pleurer.
Elle me prélève l’éprouvette de sang nécessaire, et me demande à quand remontent mes dernières règles. Je réponds :
« Je sais pas trop, j’ai pris la pilule du lendemain il y a deux semaines, donc peut-être que ça joue, mais sinon, elles remontent à début mai. C’était absolument pas voulu, tout ça ».
Son regard devient froid, elle se braque. « Ah, » prononce-t-elle.
Le lendemain, alors que je devais recevoir un sms avec mon code d’accès au site du laboratoire, je ne reçois rien.
À midi, je demande à une amie qui bosse dans le milieu si c’est normal. Elle m’affirme que non, qu’il faut que j’appelle le labo.
Je m’exécute.
« Madame, j’ai bien vos résultats sous les yeux, et je comprends que vous vouliez les connaitre, mais je n’ai pas l’autorisation de vous les communiquer sans formulaire de consentement », m’explique-t-on.
Je fulmine, persuadée que l’infirmière a délibérément omis de remettre ledit formulaire, après avoir compris le sens de ma démarche. En appelant le secrétariat de ma gynécologue, je trouve une solution.
« Vous êtes enceinte ! »
Les résultats sont faxés à ma gynéco, et sa secrétaire aura l’autorisation de me les communiquer.
Lorsque celle-ci me rappelle, elle prend également une voix guillerette pour m’annoncer la nouvelle :
« vous êtes enceinte ! ».
Je pleure en silence, j’essaye de me reprendre.
« Que souhaitez-vous faire ? » me demande-t-elle.
« J’aimerais prendre rendez-vous avec ma gynéco, pour une IVG… », je murmure.
J’ai un peu honte de la casser dans son élan de joie, mais c’est elle qui me reprend :
« Je suis désolée, je pensais que c’était voulu.
Votre gynéco n’est pas là aujourd’hui, mais je l’en informe dès son arrivée demain, et je reviens vers vous ».
Le soir, en allant me coucher, impossible de fermer l’œil. J’ai des flashs bizarres qui me reviennent, j’ai le ventre en vrac, et l’impression de faire un remake d’Alien.
Je ne veux pas de cette chose en moi. Elle réveille des angoisses qui me torturent, des cauchemars qui me font suffoquer, des souvenirs qui se ravivent et me brûlent.
On me dit de ne pas tout mélanger, de ne pas associer cette IVG à celle d’autrefois, celle de mon viol, mais je ne peux pas.
Vendredi soir, je choisis d’enfin écouter les conseils d’une amie, et me renseigne sur le planning familial.
Je décide de m’y rendre lundi.
Écouter la féministe en moi
Mon petit ami me rejoint pour un weekend prolongé. J’essaye de lui faire comprendre mon angoisse, le mal-être que ce petit truc crée en moi. C’est impossible.
Il a son corps, j’ai le mien, et ce dernier est envahi par un amas de cellules non désiré.
J’oscille entre l’angoisse et une joie étrange. Je me surprends à me toucher le ventre trois, quatre fois, et à sourire avant d’angoisser à nouveau.
C’est parfois très dur d’être féministe, dans un monde où tout nous pousse à croire que la normalité va à l’encontre de nos valeurs quand, en réalité, on se bat pour la reconnaissance de droits évidents.
Pendant toute la durée de ce week-end, j’essaie d’écouter la féministe en moi qui me somme de ne pas m’en vouloir, de ne pas culpabiliser, de ne pas dramatiser l’acte que je m’apprête à engager.
Parfois, au-dessus de cette voix, j’entends les innombrables critiques, les « meurtriers », les « égoïstes », et ça me fait mal.
« Lui », ça ne lui fait rien, il ne pense pas, il ne respire pas, il n’est pas viable.
Mais moi, ça me blesse, ça me hante, ça me foudroie.
C’est moi qu’il faudrait protéger, et pourtant, je ne vois pas une once de compassion ou d’empathie dans les propos des « pro-vies ».
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Le jour de « l’IVG de confort »
Lundi, je me rends avec ma moitié au planning familial. À partir de là, tout est allé très vite.
Prise de sang complémentaire, échographie, « vous êtes enceinte de deux semaines », et puis salle blanche.
Là, on m’explique la démarche : IVG médicamenteuse encore possible, trois premiers cachets sont à prendre pour stopper la grossesse, puis, 48h plus tard, deux autres pour déclencher la « fausse couche ».
On me dit encore une fois que ce n’est rien, qu’il n’y a rien de grave, que je ne dois pas culpabiliser. Au fond, j’ai terriblement envie de pleurer.
J’avale les trois comprimés, je fais une blague, puis deux, pour dédramatiser et ne pas montrer qu’en fait je le vis mal. Très mal.
Rien n’est confortable dans cette IVG
Comme pour valider mes angoisses, je lis des commentaires des anti-avortements.
Ça me fait souffrir, j’ai envie de les insulter, de leur dire que rien n’est confortable dans cette soi-disant « IVG de confort ».
Mercredi matin, je prends les deux autres cachets. Et là, l’enfer sur terre. Je me retrouve par terre, prise entre nausées et contractions, entre les larmes et les spasmes, entre la culpabilité et la peur.
Ça aura duré 48h.
48h de cauchemar, 48h à haïr les personnes qui ont tant de fois évoqué « l’IVG de confort », 48h à vouloir leur transmettre ma douleur et ma colère.
Si ma gynéco n’avait pas été psychorigide en matière de contraception, si elle n’avait pas usé de son statut d’experte pour me convaincre qu’elle avait raison, si la pharmacienne m’avait prescrit la pilule du lendemain qui empêche la nidation, et non celle qui retarde l’ovulation, si l’infirmière avait transmis mon formulaire de consentement, si ma gynéco m’avait au moins rappelée pour se soucier de mon état, tout ça n’aurait peut-être pas été si difficile.
Mais là, tout de suite, je haïssais mon utérus, tous ceux et celles qui s’en mêlent sans que je leur ai demandé quoi que ce soit.
Il n’existe pas une, mais deux sortes de pilules du lendemain. La première est composée de lévonorgestrel, un progestatif de synthèse (des hormones), qui retarde l’ovulation.
Elle est utilisée dans les cas où l’ovulation n’a pas encore eu lieu et doit être prise dans les 72 heures maximum après le rapport à risques.
La seconde, qui est l’uliprista, agit sur l’endomètre, la paroi utérine qui permet à l’ovule de s’accrocher et se développer s’il y a un embryon.
On dit qu’elle empêche la nidation. Elle est employée si l’ovulation a eu lieu et peut être prise 5 jours maximum après le rapport à risques.
Plus d’info à consulter ici.
Mon corps n’était plus le mien
Pendant une semaine, je n’ai plus disposé de mon corps. Il appartenait au regard de la société, aux commentaires haineux, aux embûches sur le chemin de l’IVG, à la douleur de cette dernière. C’était insupportable.
Mon seul confort aura été d’être entourée de personnes de confiance, et particulièrement du planning familial.
Le planning familial qui est une structure pourtant fortement menacée aujourd’hui par le peu de soutien étatique qu’elle peut recevoir.
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Si je n’avais qu’une chose à retenir de cette histoire, c’est qu’en tant que femme, je dois me battre sur tous les plans, tout le temps.
Le choix de votre contraception vous appartient, autant que votre corps.
Si en 2018, on doit encore se filer sous la table des adresses de centres à l’écoute et attentifs qui pratiquent l’IVG, c’est que le combat pour le droit des femmes à disposer de leur corps comme bon leur semble est encore loin d’être terminé.
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