Publié initialement le 29 octobre 2010
Je n’ai jamais cru qu’un jour, j’écrirais sur les sacs à main. Non pas que je jugeais les accessoires superficiels et inintéressants – je cherche tout de même l’horoscope dans chaque publication, y compris Le Monde – mais mon désintérêt pour le sujet était total. Je ne regarde pas le sac des filles dans la rue (sauf laideur avérée), je me fous pas mal du mien (qui a toujours été en cuir ou en tissus, sans fioriture, et vierge de tout logo sur le dessus), et je peux éprouver de la nausée rien qu’en explorant l’étage « accessoires » des Galeries Lafayette (trop de sangles, de métal doré, et de fermetures éclairs inutiles).
Alors quand je me suis retrouvée, à une heure du matin, à fureter le moindre site répertoriant les It Bags de 1999 à nos jours, j’ai cru que je devenais folle. Pourquoi m’intéressais-je soudain à ça ? J’avais la désagréable sensation d’être tombée de l’autre côté de la barrière, la tête la première dans la bouse de vache.
Le It Bag, cette saloperie née de la cuisse de Satan, pourrait se définir, en résumé, au « sac de la saison ». En sous-titre : « le sac qu’il faut posséder ».
Un It Bag coûte entre 750 et 1500 euros. Au-delà, vous tombez sur un sac mythique : le 2.55 de Chanel, le Kelly de Hermès, le Bayswater de Mulberry, le Paddington de Chloe… Si je ne juge pas celles qui ont les moyens de s’offrir un tel sac – chacun fait ce qu’il veut de son argent – il faut bien reconnaître que débourser une somme pareille pour un objet ostentatoire, c’est une manière détournée d’affirmer son pouvoir.
« Le It Bag, c’est le symbole de la chatte », m’a dit mon amie Lucie Lavaur quand je lui racontai ma soudaine pulsion consumériste.
De la même façon que l’homme va vider son compte en banque pour s’offrir une voiture de luxe, symbole de virilité, la femme va se dénicher le sac-à-main qui criera au reste du monde sa féminité. Et sa valeur sociale : elle fait partie de celles qui peuvent claquer l’équivalent de deux salaires pour un article aussi dérisoire qu’un fourre-tout et peu importe si elle vit dans un 19 m², elle fait partie de ce monde. Le It Bag créé une hiérarchie, il y a ceux qui aiment la sophistication et les ploucs qui s’en foutent. En achetant le même Vuitton que Kate Moss, on se rapproche un peu plus des Dieux, et on échappe au chaos.
Alors est-ce que cela a un sens, de feuilleter les pages des magazines pour y trouver les dernières tendances ? Quelque part, oui : inconsciemment, cela nous apprend à décrypter le statut socio-professionnel des autres individus dans la rue. Voir une fille bling-bling porter fièrement un sac pliage Longchamp au bout de son bras, et comprendre qu’elle veut être une femme, sans subtilité aucune, quitte à ce que ce soit fait avec agressivité. Observer celle qui tripote la chaîne de son 2.55, et tenter de deviner combien coûte sa tenue entière. Puis sourire intérieurement face à celles qui ont choisi un faux.
Car il faut admettre que les It Bags sont, dans leur immense majorité, clinquants et guindés. Très prout-prout, très dadame, très tout ce que vous voulez à double consonance. Oubliez la veste teddy, oubliez les tee-shirts imprimés, oubliez les Converses : ça ne collera pas. Vous auriez l’air d’une enfant qui sort dans la rue après avoir mis le rouge-à-lèvre fuchsia de sa mère. Quel intérêt de sortir quelques billets de sa poche pour une contrefaçon qui se voit bien souvent à l’œil nu ? Par amour du beau, vraiment ? Ou parce que la jeune femme veut, un instant, donner le change ? Y croire un petit peu ?
Tant que les It Bags existeront, la société sera conforme à ce qu’elle a toujours été. Pour avancer, l’être humain a besoin de croire qu’un jour, il pourra avoir ce que son voisin n’a pas. Par extension, la femme a besoin de croire qu’un jour, elle pourra être plus « femme » que sa voisine. Car qui saurait différencier un sac de luxe d’une poche Tati ? Certainement pas les hommes. Le It Bag permet de se positionner par rapport aux autres femelles du clan. Il sert à se rassurer quant à son sexe, à se sentir invincible en terme de séduction.
Et tout comme les substituts du phallus, on pourrait se demander si plus le sac est gros, plus il ne servirait pas à compenser un manque de confiance en soi.
Peut-être qu’un jour je cèderais, mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, repue de bières, je me suis finalement commandée une pochette à la con sur Etsy. A cinq euros.
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