Vous avez dit « d’apparence musulmane » ?
C’était l’expression utilisée par Nicolas Sarkozy pour décrire les victimes des assassinats commis à Toulouse (la très médiatisée « affaire Merah »). Cette expression totalement absurde est symptomatique des préjugés qui lient certaines apparences à la religion musulmane dans l’esprit de certain-e-s.
Sur le forum, A. s’exprime :
« Comme j’ai des origines marocaines et que ça se voit à mon teint, les gens pensent tous que je suis musulmane, alors que (au secours) non ! La religion et moi ça fait deux ! »
Une simple apparence « étrangère » déclenche les pires stéréotypes, ce qu’a vécu V. :
« Ce qui m’agace vraiment, c’est que la plupart des personnes que je rencontre fantasment complètement sur ma vie. Ça ne se limite pas seulement à un cercle de connaissances […], ça s’étend jusqu’à des milieux professionnels (professeurs, médecins), à mon quotidien tout entier. Je vais essayer de dresser en gros mon portrait sorti de l’imaginaire de beaucoup de personnes :
- Je suis issue d’une famille très nombreuses (comptez environ 5 frères et 3 soeurs).
- Mon père est un homme autoritaire qui me laisse étudier en attendant de me chercher un mari.
- Par ailleurs, mes parents sont analphabètes, évidemment.
- Mes cinq frères imaginaires ont pour rôle de me surveiller, mes fréquentations, mes tenues, mes sorties.
- De toute façon, c’est simple, mes seules sorties autorisées sont maison/école. Et si par malheur, je me comporte mal, j’aurais bien entendu droit à une sanction corporelle.
- Je dois aussi suivre minutieusement ma religion, mes parents guettant avec attention si j’ai bien fait mes 5 prières, si j’ai pas mangé pendant le ramadan. Sinon, re-sanction corporelle.
- Puis aussi, il faut absolument que je reste vierge ; de toute façon, dès que mon père me trouvera un mari déniché je ne sais où, celui-ci exigera de moi un certificat de virginité. […] »
Tout ça, promis, je ne l’ai pas inventé. Ce sont vraiment des choses qu’on m’a déjà dites, je ne compte plus les fois. Par exemple, le coup du certificat de virginité c’est une ancienne gynécologue qui était stupéfaite que j’avais déjà eu des rapports. […] J’imagine que le portrait dressé ci-dessus, cette vie fantasmée, doit réellement exister dans certaines familles mais réduire ça à l’Islam, NON.
Ce qu’on exprime par l’islamophobie, n’est-ce pas un rejet définitif de toutes les religions monothéistes ? Je ne suis pas une experte dans les trois religions, mais dans les grandes lignes, ce qu’exige l’Islam vaut autant pour la religion juive ou chrétienne… Toutes les trois religions véhiculent les mêmes fondamentaux alors pourquoi en rejeter violemment une ? On nous parle de terrorisme, de voile, de porc et de soumission, de mouton égorgé ? Les musulmans se résument à ces seuls aspects…»
Au menu : stéréotypes et préjugés
Alors non, parler cuisine traditionnelle avec une personne d’origine étrangère, ce n’est pas en soi du racisme ou de l’islamophobie. Mais lorsque les questions reposent sur des stéréotypes associés à l’apparence physique et/ou au patronyme, lorsqu’elles sont répétées, elles font ressortir les préjugés de leurs auteurs. Ce que Jack Parker précise sur le forum :
La parole à S., qui décrit le repas comme le moment le plus « What The Fuck » pour les jeunes musulmans :« Le truc relou, c’est partir du principe que si tu as un lien avec la culture arabe/maghrébine/berbère, quel qu’il soit, tu dois FORCÉMENT savoir faire le couscous. Je grossis le trait, mais disons que je ne demande pas à tous les Jean Dupont que je croise s’ils aiment le camembert, et mon premier réflexe quand je rencontre un asiatique n’est pas de lui demander la recette des rouleaux de printemps. […]
Le fait est que quand je réponds que non, ma mère ne sait pas faire le couscous, et moi non plus d’ailleurs, je récolte souvent des regards hyper étonnés, voire choqués et des « Ah mais vous êtes pas des vraies alors ! ». Ah bon. Donc je suis ni une vraie française, ni une vraie kabyle ? »
« On peut appeler ça de l’ignorance, de la naïveté, de la curiosité, mais non désolée, en 2013, avec plus de 5 millions de musulmans en France, avec tout le tsoin tsoin qu’on fait sur cette religion, j’appelle ça de l’islamophobie ordinaire. Parce qu’on a tous les moyens de savoir le minimum sur cette religion. Et parce qu’on devrait être capable d’accepter un végétarien, un végétalien, un musulman qui mange halal, ou un juif qui mange casher. L’intolérance culinaire en France est impressionnante ! »
Ne pas manger certaines viandes déclenche une avalanche de préjugés :
« Si j’ai le malheur de préciser, avant qu’on ne m’invite au Buffalo Grill ou à un barbecue, que je ne mangerai pas de viande alors autant aller ailleurs, alors là, ça y est, j’impose ma religion, je veux interdire le porc dans les cantines en France et islamiser Carrefour. »
« Et dans toutes ces situations, sans le vouloir, alors que tu n’as rien demandé à personne, tu vas déclencher un pseudo débat sur la religion au milieu d’un public férocement athée (et qui déclenche le débat seulement pour te casser ouvertement), où toi, toute seule avec ton verre d’Ice Tea pêche, tu vas devoir défendre ta religion, tous ses principes, et expliquer pour la millième fois que non toi, le terrorisme c’est pas ton truc, que non tu n’es pas extrême, tu devras donner ton opinion sur le voile, les événements dans les pays arabes (WTF?), le conflit israélo-palestinien, etc. »
Le port du voile, un choix individuel qui n’est toujours pas respecté
E. raconte l’hostilité qu’elle a pu attirer en choisissant de porter le voile :
« Entre les « sale race » et autres mots d’amour, c’était la première fois que j’étais confrontée à une telle violence verbale du fait de ma tenue vestimentaire. Pour mon amie (qui vit à Cannes), la situation s’est encore dégradée : mieux vaut éviter de sortir seule quand tu es voilée, sa soeur s’était déjà fait cracher dessus il y a quelques années.
Au lycée, une de mes amies (d’origine marocaine) était convoquée chaque jour dans le bureau de la CPE (elle n’a jamais porté le voile dans l’enceinte de l’établissement, elle avait toujours les cheveux libres. Ce qu’elle faisait dehors ne regardait en rien le lycée) afin d’être rappelée à l’ordre. Sa prof d’anglais, qui haïssait le fait qu’elle porte le voile, a « perdu » la plupart de ses devoirs ; ça n’était pas arrivé quand elle était en première, quand elle ne le mettait pas. Bref, elle appréhendait d’aller en cours, a souvent pleuré, ça virait au harcèlement. »
P. a 16 ans, elle est noire, musulmane, d’origine somalienne. Elle raconte :
« Durant une année, quand j’avais 9 ans, j’ai essayé de mettre le voile. Ça a été brusque et dans mon école primaire, dite « élitiste », remplie de cathos et d’athées étroits d’esprit (mis à part quelques exceptions) : tollé général. Selon certains, mon père m’y a obligée et si je l’enlève, il me battra (?!), pour d’autres, mes parents ont rejoint un groupuscule de musulmans extrémistes …
Pour ce qui est de mes camarades, les garçons ne m’approchaient plus, j’étais un monstre. Pour ce qui est des filles, elles me posaient juste des questions mais s’en allaient tout de même avec les autres garçons. À cette époque, la mise à l’écart m’a rendue très malheureuse.
Une autre fois, alors que je me baladais en ville, un homme en voiture m’a klaxonnée et m’a grassement insultée. « Sale musulmane de me*** retourne dans ton p***** de pays ». Ce n’est pas un fait isolé, cela m’est arrivé plusieurs fois et par diverses manières.
Dans le secondaire, durant ma première et deuxième année, je pouvais encore mettre mon voile. Les profs se comportaient différemment avec moi qu’avec les autres élèves, surtout le prof de sport. Imaginez-vous une fille qui court avec un voile, le whatthefuck que ça doit être. Le pire, oui, le pire c’est bien le regard des gens. Même quand j’allais à la piscine, la prof disait que nous, les musulmans, étions une plaie pour le pays.
La deuxième année, […] je peux dire que j’en ai morflé. J’étais dans une classe composée d’étrangers et de musulmans. L’ambiance était survoltées. Notre prof de français tournait à chaque cours dans un débat anti-musulmans ! Elle disait que sa fille se faisait harceler par des arabes qui la croyait musulmane… Notre prof de géo quant à elle, se disputait à chaque cours avec une élève qui avait son voile en dehors de son col. C’était contre le règlement, oui mais ça ne justifiait pas un discours pro-droite ! »
L’atmosphère de discrimination autour du voile est telle qu’elle finit par devenir… une habitude. B. en a pris conscience :
« J’ai une amie athée qui a fait une expérience avec une copine à elle, qui était de porter le voile pendant une journée pour voir le comportement des gens. Elle m’a dit qu’elle ne s’était jamais sentie aussi mal de toute sa vie. Et qu’elle avait pas pu tenir toute la journée. Je crois que c’est là que j’ai réalisé que ce que je vivais n’étais pas normal. »
M. raconte le poids des préjugés qui entourent le voile, jusque dans les administrations publiques françaises :
« Dans certaines administrations [où] j’accompagne ma mère, on s’adresse à moi en me disant « il faut que vous expliquiez à votre mère »… Mais monsieur, ma mère parle parfaitement le français. Pour vous, une femme avec le voile ne sait pas parler le français ? Ce sont des petites choses certes mais qui ont beaucoup blessé ma mère. Elle a l’impression de ne pas pouvoir être française et musulmane à la fois. »
Le port du voile est une question de liberté individuelle. Certains discours à son encontre se réclament du féminisme mais sont en réalité empreints de condescendance islamophobe. A. l’a vécu :
« Des personnes que je pensais ouvertes d’esprit déclaraient ouvertement que pour « les droits de la femme » il fallait interdire le port du voile sur le territoire français, ou bien que ça les dérangeait de voir des femmes voilée, prétendument car elles se faisaient du mal à elles-mêmes. Est-il nécessaire de rappeler qu’aujourd’hui, l’émancipation d’une femme ne tient pas seulement à son droit d’être découverte, mais à son CHOIX de le faire ou non? Caroline Fourest, ce message s’adresse à toi. »
Une situation qui tend à se dégrader
Pour S., les médias sont en grande partie responsables de la montée de l’islamophobie en France :
« Pourquoi, lorsqu’une personne de confession musulmane commet un quelconque délit (ou crime), il faut absolument préciser que c’est un musulman ? »
C.G ajoute :
« Être musulman, dans l’esprit de certaines personnes, involontairement, reste encore bien souvent reliés à « islamiste ». La faute à une mauvaise image qui est faite de nous, à une ignorance et à un amalgame d’images qu’on voit dans la presse… »
Un climat délétère qui n’est pas cantonné à l’espace médiatique : il s’étend à la sphère familiale, comme en témoigne E.
« Désormais, mon oncle publie chaque jour sur son mur Facebook des montages faits par des militants FN ; certaines de mes tantes et de mes cousines aiment les partager. Les réflexions lors des repas de famille, ça n’arrête pas. Vision manichéenne, j’ai lâché l’affaire, il n’y a rien à en tirer. D’un côté il y a les méchants barbus et compagnie, de l’autre les gentils et c’est tout. Après, ça ne se résume pas non plus qu’à l’Islam et ils sont en droit de ne pas aimer cette religion. C’est leurs raccourcis qui me gavent, ce manque de recul justement. Ils ne tenaient pas le même discours autrefois. »
M. ajoute :
« J’ai peur, vraiment peur du climat qui règne actuellement, même si par chez moi, nous n’avons pas trop de soucis. Ce que je vois, j’entends à la télé, radio, ce que je lis dans les journaux, me rend malade. Il y a des millions de musulmans qui vivent leur foi dans le respect de l’autre, des millions de musulmans qui sont en colère quand un petit con décide d’aller poignarder un militaire et que deux autres décident d’aller tuer un policier en pleine rue. Ils ne cautionnent pas ces acte barbares commis au nom de l’Islam. »
L. souligne la tendance à considérer les musulmans comme une communauté uniforme, collectivement responsable des agissements de chacun :
« Ce qui est le plus chiant en fait, c’est d’avoir l’impression sans cesse de devoir se justifier. Ben oui, à chaque fait divers, à chaque attentat, il faudrait que tous les musulmans du monde s’unissent, se tiennent la main, fassent des manifestations géantes pour dire non au terrorisme ! Voyons, on attend ça de la part des musulmans M-O-D-É-R-É-S […]. Personne n’a cette exigence avec les autres religions. Je n’entend personne demander aux bouddhistes de France de manifester pour se désolidariser de ce qui peut se passer avec les rohingyas. »
Un sentiment qu’avait déjà souligné Jack Parker suite à l’affaire Merah, dans son article Je suis arabe et je ne vous veux aucun mal.
Un préjugé d’intolérance blessant
L’intolérance supposée des musulmans est un préjugé tenace. C.G. en a été blessée :
« Il y a cette mauvaise image qu’on a de nous autres musulmans, celle qui vient de la presse, celle qui vient de l’image du « jeune de la cité » , celle du « terroriste », etc. Celle qui fait de nous des être fermés aux autres. L’exemple qui m’a fait le plus de peine est sûrement celui-ci : un de mes meilleurs amis est homosexuel. […] Moi-même et un ou deux autres amis proches, avions déjà des doutes sur le fait qu’il l’était mais voulions lui laisser le temps de l’annoncer lui même.
Quand il fut enfin prêt, il prit les personnes à part, une par une pour leur annoncer. Les jours passèrent, puis les semaines, et il ne venait toujours pas à moi. J’ai finalement été le trouver et il m’a avoué, honteux : « Je pensais qu’à cause de ta religion tu me rejetterais, tu ne m’accepterais pas et tu me verrais comme une abomination ». Cela m’a vraiment blessée, je ne suis certainement pas la plus « religieuse » de ses ami-e-s. Certains de ses amis de religion catholique sont mille fois plus croyants et pratiquants que moi et pourtant, à eux, il n’a pas hésité à le dire. […] J’espère juste qu’un jour, le mot religion ne sera plus synonyme de différence et de barrières, mais au contraire de richesse et diversité. »
L’islamophobie, un cercle vicieux qui renvoie les communautés dos à dos
Toutes ces manifestations permanentes de préjugés, voire d’hostilité ouverte viennent renforcer le sentiment de différence entre les communautés. Et plus le niveau d’islamophobie et/ou de racisme augmente, plus cette différence semble insurmontable. V. met le doigt dessus :
« À force de subir des injures, de se sentir rejeté et dévalorisé de la part de la société, eh bien c’est le renfermement entre soi, un repli identitaire. Et ça ce n’est pas bon du tout : à force de se replier dans une communauté donnée, forcément on a du mal à accepter que des personnes qui semblent être nos pairs puissent être différentes de nous dans leur façon d’être, dans leurs coutumes etc… C’est vécu comme une sorte de « trahison » : comment peux-tu adopter des codes occidentaux alors qu’ils te rejettent ? Pourquoi tu cherches à leur ressembler alors qu’ils sont nos ennemis ? Tout comme certains occidentaux rejettent l’Islam, des musulmans rejettent le monde occidental.
Il faut faire l’effort de se montrer tolérant et de respecter l’héritage culturel de l’autre sans forcément les approuver. Après tout, on ne peut pas être d’accord sur tout avec tout le monde. Non, on se contente de diaboliser le camp adverse, on se croirait limite au temps des pro-communistes et des pro-USA. C’est l’islamophobie qui l’emporte pour l’instant, elle bénéficie d’un soutien évident des médias. Puis ça profite aussi à certains parti politiques (pour ne pas citer le FN). »
J’aime l’humanité ! Gérons donc ce bordel ensemble !
Ces témoignages mettent en lumière une véritable méconnaissance de la culture de l’autre. L’hostilité qui déteint de certains commentaires et préjugés est souvent une conséquence de l’ignorance des uns et des stéréotypes relayés (renforcés ?) par les médias.
Comme l’ont souligné plusieurs madmoiZelles, tous ces préjugés n’ont pas lieu d’être en France. Il serait grand temps d’abandonner ces clichés aussi absurdes qu’insultants, et pour les médias de cesser les amalgames entre origines et religion, entre Islam et extrémisme.
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Les Commentaires
D'un autre côté, je vis moi-même depuis près d'un an à Belfast en Irlande du Nord et les choses ne sont pas plus glorieuses là-bas. Mis à part le fait qu'une certaine partie de la population (attention, pas tous! ne créont pas d'amalgames) passent litéralement leur temps à manifester et à créer des émeutes en plein centre-ville pour un drapeau.... Ce qui nous pourrit vraiment la vie quand il s'agit de revenir chez nous en fin de journée... La discrimination envers les catholiques est telle que moi-même, d'origine catholique (comme ils disent ici, très importants pour eux) mais athée, ai souvent très peur. Mis à part les alertes à la bombe dans les quartiers catholiques, plutôt récurrentes en été, je crains vraiment pour ma vie le soir quand je rentre (même de marcher du taxi jusqu'au pas de ma porte!). J'ai emménagé dans un quartier à dominante protestante et j'ai peur qu'ils ne le découvrent parce qu'ils m'insulteraient, me cracheraient dessus, lancent des bombes à pétrole (si, si je vous assure! Parfois j'ai l'impression de vivre dans le Tiers-Monde!) etc. Je n'y croyais pas quand on m'en parlait jusqu'à ce que j'arrive ici. Allons bon, c'est le 21e siècle tout de même... Hé bien non! Et toute cette haine provient d'une méconnaissance de l'histoire (j'ai vérifié afin d'être partiale!)... Enfin, comme quoi, on trouve ce genre de comportement partout et dans toutes les religions...