Esther est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.
Elle a déjà rendu compte de ses rencontres avec des Sénégalaises, puis avec des libanaises, et sa troisième étape l’a menée en Irlande du Nord (Royaume Uni) et en Irlande ! Elle y réalise interviews, portraits, reportages, publiés sur madmoiZelle au fur et à mesure.
Tu peux aussi suivre au jour le jour ses pérégrinations sur les comptes Instagram @madmoizelledotcom et @meunieresther, avant de les retrouver ici bientôt !
- Précédemment : Une journée avec des militantes pour le droit à l’IVG en Irlande, avant le référendum crucial
Sur la plage de Sandymount, à l’est de Dublin, de nombreux gilets fluorescents s’activent. Je n’ai pas le temps de faire deux mètres que déjà on m’alpague :
« Vous venez collecter votre dossard ? »
Ce 16 mai, en effet, la plage de Sandymount est le théâtre d’une course à pied. Ou plutôt d’une « marche/jogging/course » de 5 km, en soutien au mouvement Together for Yes.
Ce 25 mai 2018, un référendum se tiendra en Irlande, pour abroger le 8ème amendement de la Constitution.
En effet, celui-ci consacre « le droit à la vie des enfants à naître », considéré égal à celui de la mère. Dans les faits, ça veut dire que l’avortement ne peut être légal que s’il y a un « risque sérieux et réel » pour la vie de la mère.
Voter pour le « Oui » viserait à remplacer cette disposition par la suivante :
« La loi peut prévoir les conditions de régulation des interruptions de grossesses. »
En VO dans le texte : « Provision may be made by law for the regulation of termination of pregnancy. »)
Cela permettrait de faire évoluer la loi concernant l’avortement en Irlande, sans définir immédiatement en quels termes. L’enjeu de ce référendum est donc d’obtenir la possibilité de légiférer différemment sur la question de l’avortement, ce qui n’est pas permis aujourd’hui par la Constitution.
Courir pour avoir le choix : financer la campagne pour le droit à l’avortement en Irlande
Avec plus de 800 participants, la course est sold out.
« On a réussi à réunir avec cette course 30 000 euros, entre les inscriptions et les personnes ayant lancé leur propre cagnotte de financement, » m’explique Denise Charlton, qui dirige la levée de fonds.
À moins de dix jours du référendum, l’équipe de la campagne doit encore récolter des fonds.
« On approche de la date butoir, mais on aura des factures à payer.
Tout cela sert à soutenir les groupes qui font du porte à porte, pour leur fournir gilets de sécurité, badges, tracts, transport…
Mais c’est aussi pour la campagne publicitaire, les panneaux dans la rue ou sur les réseaux sociaux. »
L’Irlande est en effet recouverte de panneaux, tant pour le « Oui » que pour le « Non ». La plage ce soir est couverte de tee-shirts verts, arborant le nom de la campagne : « Together for yes ». L’argent récoltée sert aussi à se procurer ceux-ci.
Avorter en Irlande, un calvaire
Sur la plage je rencontre Alice*. Elle est venue ici ce soir parce qu’elle avait le sentiment que cette course lui donnait la possibilité de faire quelque chose, enfin.
« Je suis très clairement pro-choix, mais je n’ai pas vraiment fait entendre ma voix jusqu’ici, je n’en parle pas trop.
Alors cette course c’était l’occasion de soutenir la campagne, je veux dire : une course, c’est juste un rassemblement, ça pourrait être pour n’importe quoi d’autre. »
Comme beaucoup, si elle n’a pas été confrontée directement et personnellement aux dégâts que fait la loi, elle l’a été par le biais d’une proche.
« Lorsque j’étais jeune, je n’avais jamais vraiment réfléchi à la question. Et puis une très bonne amie à moi a été violée, et malgré le fait qu’elle ait pris une pilule du lendemain, des semaines plus tard nous avons découvert qu’elle était enceinte.
Je n’ai pas hésité une seconde lorsque ça s’est produit : je l’ai aidée à faire les réservations et à trouver des fonds pour se rendre en Angleterre.
Finalement, c’est vers notre syndicat étudiant qu’on s’est tournées. Leur département bien-être & santé a payé pour le trajet et l’hôtel. »
En effet, l’avortement étant autorisé uniquement dans le cas où la vie de la mère est en danger, un viol n’est pas un argument suffisant aux yeux de la loi pour pouvoir interrompre une grossesse.
Leah* aussi a dû soutenir sa meilleure amie dans ce moment douloureux et quand elle en parle, les larmes montent à ses yeux.
« C’était horrible. Je l’ai accompagnée jusqu’à Londres, c’était vraiment un cauchemar.
On devrait pouvoir recevoir ce type de soins chez soi et être avec ses proches dans ce genre de moment, pas perdu dans une autre ville. »
La course « Together for Yes », l’occasion de se charger de bonne énergie dans une période tendue
Un peu après 19h, l’heure de départ annoncée, l’échauffement commence au rythme de « Eye of the tiger ». Malgré le sujet, grave, l’ambiance est réellement bon enfant.
Il y a des femmes, en majorité, mais aussi de très nombreux hommes, et des gens de tous âges.
Alors qu’on prend le départ de la course, je suis entourée d’une femme âgée, d’une mère et de son enfant qui a clairement moins de 10 ans.
Il y a des gens qui marchent, des gens qui courent, des poussettes ça et là sur le parcours.
Et je dois dire que toute cette foule réunie derrière la ligne d’arrivée, heureuse, ça me met presque la larme à l’oeil.
« C’est une occasion de faire le plein de bonne énergie, enfin, après des semaines de campagne fatigantes et agressives » se réjouit Juliette.
Et c’est vrai que ça permet de respirer, après avoir zigzagué entre les images de foetus et ceux de corps arborant fièrement le slogan « My body my choice », ou même entre les militants des deux camps qui tractaient l’après-midi même sur les trottoirs dans Dublin.
L’heure est donc à la fête, et personne ne se risque à faire des pronostics.
« Des sondages devraient sortir cette semaine, ça nous donnera une meilleure idée de la situation » m’explique Denise Charlton.
Rendez-vous le 26 mai, au lendemain du vote, pour le verdict.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires