Lundi matin, je me lève avec un mélange d’appréhension et d’excitation : je m’en vais interviewer l’un de mes réalisateurs fétiches, Xavier Dolan, à l’occasion de la sortie de son tout nouveau film, Matthias et Maxime.
À 30 ans à peine, le cinéaste compte pas moins de 8 films à son actif. César, Prix du jury et Grand Prix du jury à Cannes, il collectionne les récompenses, et pas des moindres.
Je suis son travail depuis des années, et rien qu’à l’idée d’échanger avec lui sur la sortie de son nouveau film me réjouit au plus haut point.
Une interview avec Xavier Dolan
En arrivant à l’hôtel, je sors mon plus beau carnet Harry Potter, et je remarque que je ne suis pas la seule à avoir voulu faire un clin d’œil au cinéaste fan de la saga : les reliques de la mort ornent le carnet d’un autre journaliste.
En effet, Dolan est un grand adepte d’Harry Potter, et il arbore un immense Dumbledore tatoué sur l’avant-bras.
C’est là toute l’ambivalence du jeune cinéaste, qui n’hésite pas à parsemer ses films, souvent classés dans la catégorie auteur, de références très populaires. Céline Dion a donc parfois l’honneur de faire partie de ses bandes-originales.
J’aime ce refus du snobisme qui rend ses films universels.
Dès qu’on nous appelle pour l’interview, nous nous levons comme un seul homme et marchons dans une tension palpable vers l’ascenseur.
Ça me fait d’autant plus peur qu’il va falloir que je réussisse à m’imposer pour poser mes questions, car nous serons cinq autour de la table, nos dix paires d’yeux rivées sur le réalisateur de talent qui m’a déjà offert des films transperçants, comme Mommy, Laurence anyways, ou encore Juste la fin du monde.
Je m’assieds tout à côté de notre star du jour, qui nous accueille avec un sourire qui m’a l’air fatigué. En ce moment, il passe ses journées à promouvoir son film très attendu en France. Rien de très reposant, en effet.
L’amitié à travers l’œuvre de Xavier Dolan
Les thèmes prédominants dans l’œuvre de Dolan sont les relations mère-fils, la quête d’identité de genre, de sexualité.
Pourtant, quand les premières questions fusent, elles se rejoignent toutes sous un même thème : l’amitié.
Peu étonnant, puisque c’est le thème central de son nouveau film, Matthias et Maxime. Et il est si puissant que la relation mère-fils évoquée dans le film entre Dolan et Anne Dorval ne viendra jamais sur le tapis.
Il avait déjà évoqué ce thème de l’amitié dans Les Amours imaginaires, cette histoire de triangle amoureux malsain, avec deux amis entichés du même homme.
Dolan y jouait Francis, tandis que Monia Chokri interprétait Marie, et tous deux se vouaient une lutte impitoyable pour gagner le cœur de Nicolas, le bel apollon incarné par Niels Schneider.
Mais Dolan qualifie cette amitié de malhonnête et construite.
« Elle ne reflétait rien de l’amitié entre moi et Monia Chokri à l’époque. » affirme le cinéaste.
Matthias et Maxime vient à l’encontre de cette conception de l’amitié et crée cette bande de potes mecs, très similaire à celle de Dolan dans la vraie vie.
Après Juste la fin du monde au casting 5 étoiles 100% français et Ma Vie avec John F. Donovan, un film hollywoodien tourné à Londres aux problèmes de production et de tournages innombrables, Dolan avait besoin d’un bol d’air :
« Le film est tourné chez moi, dans ma langue. […] J’avais envie de le faire avec mes amis. […] J’avais envie d’un film sans variable inconnue, sans surprise, sans problème. »
Ainsi, il a pu commencer à travailler avec un certain niveau d’exigence, sans avoir à amadouer qui que ce soit comme c’est souvent le cas au début des tournages.
Il parle d’un film facile, et agréable à tourner, d’un rapport à son équipe aussi amical que professionnel. Ils se poussaient sans cesse à vouloir donner le meilleur d’eux-mêmes, pour s’impressionner et continuer de s’admirer les uns les autres.
« Les grosses scènes de groupe où on s’engueule, où on se met à se battre, au contraire c’est très excitant de jouer ça. »
Pas de difficultés, sinon techniques, à signaler.
Qu’est-ce que l’amitié selon Xavier Dolan ?
Xavier Dolan s’entoure toujours d’amis pour faire ses films, et ça se ressent dans l’émotion qu’il parvient à capturer et à nous transmettre.
« Je suis quelqu’un d’affectueux, quand j’aime une scène je bondis ! »
La différence ici, c’est que le film traite de sa bande.
Je sens le cinéaste ému à l’évocation de son cercle d’amis proches, restés au Québec alors que lui fait la promotion de son film en France.
Il parle d’eux avec beaucoup d’admiration, et nous avoue que la seule chose qui les sépare d’une relation amoureuse, c’est l’absence de sexualité entre eux.
« Pour moi c’est ça l’amour présentement dans ma vie. Je suis presque amoureux de mes amis, ou amoureux de mes amis, sans aucun malaise, toxicité, sans ambigüité. »
Et si la grande pudeur qui existe dans la bande de Matthias et Maxime les empêche de bien communiquer, ce n’est pas le cas de la bande de Dolan.
« Ils [la bande de potes de Matthias et Maxime] ne parlent pas vraiment des choses qui comptent, mais pour moi c’est plus intéressant de montrer les gens qui taisent les choses essentielles jusqu’à ce que ça explose, que de montrer des gens qui se confrontent dès le départ. »
« Dans mon groupe d’amis on est frontaux sur presque tous les aspects de notre vie et de notre relation, c’est ce qui fait que c’est des amis aussi chers, aussi importants. »
Sa référence première pour son film est son propre groupe. Les blagues qui y sont faites sont inspirées des leurs, si ce ne sont pas les leurs.
Mais il avoue rendre hommage à un autre film en particulier, Good Will Hunting, dans lequel la fin de Matthias et Maxime a puisé toute son inspiration.
Dolan dévoile aussi son film de bande préféré, bien qu’il ne soit pas nécessairement une référence pour Matthias et Maxime : Les copains d’abord de Lawrence Kasdan.
Un conseil cinématographique que je vais m’empresser de suivre ce weekend !
Un film plus confidentiel
Matthias et Maxime s’inscrit donc dans un cinéma plus intimiste, fait avec et sur des amis du jeune artiste.
Ses cadrages s’attardent moins sur la construction esthétique des plans, comme ça a pu être le cas dans ses autres réalisations.
Comme en témoigne l’extrait ci-dessus, le cadre épouse les mouvements des personnages. Il est simplifié, les éclairages sont assez neutres.
« On a choisi des décors réalistes, pour ne pas dire naturalistes. […] Le film est pensé de façon personnagière. »
J’aime beaucoup ce néologisme employé par Dolan qui justifie un film qui s’attarde moins sur la forme. Il désirait en effet :
« Un film plus frontal, plus direct, plus droit, plus simple. »
Seule la scène du baiser entre Matthias et Maxime, point culminant à l’origine de tout le film, est formellement plus créative et esthétisante.
Dolan parle à une génération
Encore une fois, Dolan parvient à s’adresser à une génération, sans artifice.
« Pour moi, la peinture d’une génération, elle est dans le verbe, dans le langage, dans la dynamique que les gens ont l’un envers l’autre, et puis dans les propos qu’ils tiennent, plus que dans nos volontés de la dépeindre visuellement. »
Mais dans Matthias et Maxime, Dolan s’avoue aussi avec amusement être dépassé par la nouvelle génération, incarnée par le personnage d’Erica dans le film.
La jeune sœur de Rivette parle un franglais incompréhensible tout droit sorti d’Instagram. Si elle est un ressort comique du film, elle est aussi un portrait d’une génération plus fluide pour laquelle le cinéaste s’enthousiasme.
« Moi à 17 ans, quand j’ai terminé l’école secondaire, y avait des lesbiennes, y avait des homosexuels, des hétérosexuels. C’est tout. Y avait les bisexuels, mais on était pas sûrs de comprendre, de savoir si ça existait vraiment. C’était pour nous un grand mystère ! »
« Et puis cette nouvelle génération est tellement fluide dans sa sexualité et puis dans son genre, c’est quelque chose qui est déconcertant pour les gens de mon âge. »
Dolan soutient trouver cette jeunesse inspirante et magnifique par son engagement et sa prise de liberté.
Quels sont les prochains projets de Xavier Dolan ?
Dans Matthias et Maxime, le réalisateur, qui était avant tout acteur, revient à ses premières amours dans le rôle de Maxime.
Au départ, il ne pensait pas jouer ce personnage, et admet que s’il ne l’avait pas fait, il aurait regretté de ne pas avoir participé à ce tournage entre amis.
Et il avoue vouloir se tourner davantage vers la comédie à l’avenir :
« J’aime jouer, j’avais envie de jouer, j’ai envie de jouer, et c’est ce que je vais faire dans les prochaines années. »
Et pas seulement pour lui, pour d’autres cinéastes aussi, comme il a récemment été à l’affiche de Ça : chapitre 2.
« Jouer pour un autre c’est l’envie de plaire, alors que jouer pour soi c’est chercher à ne pas se déplaire. Le jugement porté sur soi est presque entièrement basé sur les choses qu’on déteste de soi.
Alors qu’on a une plus grande liberté et une plus grande acceptation de soi quand on joue pour les autres. »
Un peu lassé de jouer pour lui-même, Dolan risque donc d’apparaître bientôt derrière la caméra d’autres réalisateurs.
Et ça me met vraiment en joie, pas toi, lectrice ?
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