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Marion Olité, autrice de "Buffy ou la révolte à coups de pieu" (Playlist Society) // Source : © Jean-Michel Olité
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Marion Olité : « Derrière ses monstres en caoutchouc, le réalisme émotionnel de Buffy n’a pas pris une ride »

Dans un essai dense et puissant, la journaliste Marion Olité analyse tout ce que l’on doit (encore aujourd’hui) à la série « Buffy contre les vampires », véritable carton du petit écran des années 90-2000. Dans « Buffy ou la révolte à coups de pieu », elle revient sur les différents niveaux d’analyse de la série culte, qu’elle voit comme un moyen de retrouver espoir dans une période sombre.

Si on vous dit années 90-2000 et vampires, à quoi pensez-vous immédiatement ? Buffy contre les vampires, bien évidemment. Et comme tout·e bon·ne nostalgique de la Trilogie du samedi, peut-être regardez-vous en secret des épisodes de la série culte…

La journaliste culture Marion Olité, qui écrit notamment pour Madmoizelle (retrouvez ses articles ici), revient, dans un essai puissant et dense, sur tout ce que la culture et la société doivent à la Tueuse, personnage bien plus féministe que vous ne le pensez. Rencontre.

Interview de Marion Olité, autrice de « Buffy ou la révolte à coups de pieu » (Playlist Society)

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Madmoizelle. Quelle est la genèse de ce livre ?

Marion Olité. J’ai eu envie d’écrire ce livre pour deux raisons : je crois que j’avais besoin de me réconcilier avec mon moi adolescente (j’ai connu, comme beaucoup d’autres personnes, une adolescence assez tourmentée), de lui rendre hommage. Et cette adolescente était une grande fan de Buffy. Cette série était mon refuge, ma bouée de sauvetage. Après avoir rencontré mon éditeur, Benjamin Fogel, de Playlist Society, et avoir eu envie de travailler ensemble, on a réfléchi à quelle série mériterait une analyse approfondie. Buffy s’est imposée à moi. J’avais envie de la réhabiliter en France, où elle souffre encore d’une forme de mépris.

Pour toutes les personnes qui ne connaissent pas la série, qu’est-ce qui fait qu’elle est aujourd’hui encore une série culte ? Comment est-elle devenue incontournable ?

Elle a vraiment parlé à toute une génération au moment de sa diffusion, et ne cesse de gagner de nouveaux fans dès qu’elle est disponible sur une plateforme (actuellement, elle est sur Disney + en France). Ce statut « culte » vient de cette ferveur des fans, qui ne faiblit pas, alors qu’on fête cette année les vingt ans de son arrêt. Son succès au long cours tient à son innovation (mélanger les genres, comme le teen drama et le fantastique, la comédie et l’horreur…), à la qualité d’écriture des dialogues, très drôles et référencés, au développement des personnages ou encore à la pertinence des thématiques abordées (le passage à l’âge adulte, l’addiction, la découverte de la sexualité, les violences faites aux femmes…).

Tu es une fan de « Buffy » en tant que spectatrice, quand t’y es-tu intéressée au-delà de la série ?

Ça s’est passé naturellement. Je me suis spécialisée dans la critique de séries il y a une dizaine d’années (ça ne nous rajeunit pas !). À chaque nouveau visionnage de Buffy, je découvrais une nouvelle grille de lecture possible. Le mouvement #MeToo et ses nombreuses répercussions ont aussi changé la façon dont j’analyse les œuvres. Mon regard féministe s’est affiné et j’ai alors eu envie de décortiquer davantage Buffy par ce prisme. Je suis aussi toujours très attirée par l’analyse des mythes et leur portée universelle. 

C’est fou, on parle même de Buffy Studies aux États-Unis, prouvant l’apport bien plus important de la série que nous le pensons à notre société. En quoi cette série est-elle importante culturellement et sociétalement ?

Culturellement, Buffy s’inscrit dans la continuité des héroïnes badass du grand écran, comme Ripley dans Alien, ou Sarah Connor dans Terminator, qui ont émergé dans les années 80. Sur le petit écran, elle est une pionnière, aux côtés de Xena. Et puis, de nos jours, les teen dramas fantastiques sont légion (citons Teen Wolf, Vampire Diaries, Mercredi…), mais en 1997, ce mélange de préoccupations adolescentes et de surnaturel était inédit. Buffy a créé ce sous-genre du teen drama fantastique, et en même temps, aucune série de ce genre ne l’a égalée. Son influence, formelle (certains épisodes, comme le muet ou le musical, sont devenus des références citées par les showrunners qui veulent faire la même chose sur leur série) et narrative, continue d’être observée partout sur le petit écran.

Sociétalement, Buffy a été pensée comme une série féministe, qui utilise la métaphore démoniaque sous différentes formes. Ses thématiques universelles – violences faites aux femmes, passage à l’âge adulte du point de vue féminin – résonnent encore aujourd’hui. 

Dans ton livre, tu t’attaches à décrire les différents niveaux de lecture de la série. Quels sont-ils ?

L’angle féministe, que je développe dans le livre, est d’autant plus passionnant à analyser avec le recul et toutes les connaissances que nous avons maintenant sur les violences faites aux femmes. Et il est inépuisable : on le trouve dans la caractérisation des personnages, dans le monstre de la semaine, dans le Big Bad de chaque saison…

Buffy est aussi une série qui regorge de sous-texte queer : j’analyse comment de nombreux personnages, à commencer par Buffy elle-même, sont métaphoriquement LGBTQ+. Il y a également tout un travail passionnant sur le langage dans Buffy. Les scénaristes ont créé de nouveaux mots pour imaginer un langage adolescent propre à la série. Je m’attarde aussi sur la dimension spirituelle de Buffy, qui mélange différents symboles religieux et croyances, et sur le fait que Buffy fonctionne un peu comme un guide de (sur)vie en des temps troublés. 

Pourquoi « Buffy » est-elle une série qui nous parle encore aujourd’hui ?

La série est sortie à la fin des années 90, qui marquaient un tournant inquiétant. On avait peur du big bang, on marchait vers l’inconnu, un nouveau millénaire ! Internet et toutes ses potentialités débarquaient. C’était la fin d’un monde. Et Buffy ne parle que de ça : comment survivre à la fin du monde. L’épidémie de Covid et la crise écologique nous replacent dans un contexte de peur de la fin du monde.

Regarder Buffy maintenant, c’est se redonner un peu d’espoir et redécouvrir des valeurs fondamentales de notre société que l’on a oubliées, comme la puissance du collectif ou l’éthique du care.

Et puis le passage à l’âge adulte reste une expérience universelle, toujours aussi terrifiante, et qui nous marque à vie. Derrière ses monstres en caoutchouc, le réalisme émotionnel de Buffy n’a pas pris une ride. 

En quoi est-elle une série éminemment féministe ?

Son créateur, Joss Whedon, a été élevé par une maman féministe (Lee Stearns) de la deuxième vague. En école de cinéma, il a étudié le male gaze avec sa mentor, Jeanine Basinger (rappelons que le concept de male gaze théorisé par Laura Mulvey date de 1975 aux États-Unis). Il crée Buffy avec cette idée de retourner les stéréotypes de genre. Buffy est une petite blonde au look hyperféminin, qui se ferait tuer dans tous les films d’horreur. Il la dote d’attributs habituellement accordés aux héros masculins, comme la force physique ou l’intelligence stratégique.

Par la suite, il insuffle à la série des thématiques de la vague des années 70 (comme un fort anti-autoritarisme ou des héroïnes sexuellement libérées), et de celle des années 90 aux États-Unis, où sortent des livres fondateurs, comme celui de Judith Butler, Trouble dans le genre (1990) et où la pluralité des expériences (notamment LGBTQ+ et Afro-Américaine) remplace l’idéal d’universalité de la précédente vague.

Buffy met en scène des Tueuses racisées, et Willow, sa meilleure amie, entretient une relation lesbienne sur le long terme avec Tara. En mettant en avant le concept de sororité, en particulier dans sa saison 7, où Buffy prend soin des Tueuses Potentielles avant de partager son pouvoir avec elles, la série s’est aussi montrée précurseuse du mouvement #MeToo. 

Il y a aussi la figure du vampire, démystifiée et utilisée pour dénoncer l’emprise dans les relations hétérosexuelles. Chaque saison de Buffy s’attaque à un pouvoir patriarcal : le vieux mâle blanc pour Le Maître en saison 1, les relations toxiques pour Angel, l’autorité politique avec Le Maire en saison 3… À la fin de la série, Buffy a triomphé de ce super Mario féministe et elle a gagné son émancipation.  

En quoi « Buffy » a-t-elle créé une toute nouvelle mythologie féminine ?

Joss Whedon et ses scénaristes ont créé une figure d’Élue qui se bat contre les Forces du Mal (un classique des mythologies) mais qui tient aussi son pouvoir du Mal (un groupe d’hommes a placé dans le corps de la toute première Tueuse, sans son consentement, l’essence d’un démon pour lui donner de la force physique) et d’une forme de viol. Cela a créé une lignée matrilinéaire de Tueuses, la mort de la précédente devant activer la nouvelle.

Dans la série, la mort momentanée de Buffy en saison 1 fait dérailler la machine, et on se retrouve dès la saison 2 avec deux Tueuses. À la fin de la série, Buffy a partagé son pouvoir et on fait face à une armée de Tueuses.

Cette mythologie dense, aux potentialités infinies, se fonde véritablement sur l’expérience féminine, tout en brassant des thèmes universels. Elle rappelle que l’universel ne devrait pas être un terme réservé aux hommes.

Les mythologies féminines de cette portée, qui ont empouvoiré des générations de jeunes femmes, tout en parlant aussi aux jeunes hommes, en les obligeant à s’identifier à un personnage féminin pour une fois, sont rarissimes. 

Les critiques adressées à l’égard de Joss Whedon sur son comportement problématique lors du tournage de la série ont-elles entaché le show ?

Je pense que la réponse à cette question appartient à chacun·e. Je me suis personnellement sentie dévastée et trahie quand ces révélations et témoignages se sont accumulés pour ne laisser aucun doute sur l’environnement de travail hostile – en particulier pour les femmes et les minorités – que Joss Whedon a créé.

Comment peut-on d’un côté créer une série sur l’empouvoirement féminin, et en coulisses désempouvoirer et traumatiser ses propres actrices ?

Évidemment, je ne regarde plus Buffy de la même manière qu’à 15 ans ou même 30 ans et je ne mets plus Joss Whedon sur un piédestal. Le mouvement #MeToo et ces révélations ont aiguisé mon regard et je reconnais volontiers les manquements de la série à certains égards (comme le traitement des personnages racisés, très souvent tués, des personnages masculins parfois problématiques…).

Mais voir sur les réseaux sociaux que le cast, à commencer par Sarah Michelle Gellar, Charisma Carpenter ou Amber Benson, est resté fier de sa participation à ce monument de pop culture me rappelle aussi que Buffy n’appartient plus à Joss Whedon. C’est ce que je développe dans la dernière partie de mon livre : le cast, les fans, les féministes se sont réappropriés cette figure d’émancipation.   

Dans le livre, on comprend que Buffy est une série assez actuelle, et que les combats de la chasseuse de vampires pourraient finalement être ceux de notre génération, plus contemporains, comme le combat contre le patriarcat, contre le réchauffement climatique, les luttes sociales, économiques et politiques… 

Complètement, la série aborde des thématiques très actuelles et c’est ce qui fait son succès auprès des jeunes générations. En 2018, un reboot avec une Tueuse noire avait été annoncé puis il a malheureusement rejoint le cimetière des séries avortées, mais j’aimerais beaucoup voir débarquer une nouvelle Tueuse (pas une nouvelle Buffy, je précise !) qui s’attaquerait à nos démons modernes. Le monde a plus que jamais besoin des Tueuses, de leur générosité, de leur esprit combatif et collectif  ! 

Le fait de t’être intéressée avec tant de profondeur à l’analyse de la série a-t-il changé ton regard sur elle ?

Complètement, plus on analyse un objet, plus le regard s’aiguise. Il y a aussi tout simplement le fait de grandir. À 16 ans, ma saison préférée était la deuxième, celle du Roméo et Juliette rejouée par Buffy et Angel. Puis plus tard, alors que je devenais une adulte, c’est la saison 5 que j’adorais. Récemment, je redécouvre la puissance des dernières saisons (6 et 7), plus sombres que les précédentes. La magie de Buffy, c’est aussi ça : chaque rewatching provoque de nouvelles révélations !   

Comment t’a-t-elle aidée, changée ou bouleversée lorsque tu l’as découverte, ado ?

D’abord, Buffy m’a donné de la force, alors que je subissais du harcèlement scolaire. Pouvoir m’évader, voir une adolescente avoir à la fois la bonne répartie au bon moment (un pouvoir que je rêvais de maîtriser !) et le bon coup de tatane, c’était jouissif ! Et puis je pense qu’elle m’a donné de bonnes valeurs : la notion de Bien et de Mal, l’importance des liens amicaux et de l’attention portée à l’autre, le rapport au pouvoir qui corrompt… Buffy a agi sur moi comme une boussole morale. On voit cette femme traverser à peu près toutes les épreuves possibles et imaginables avec son groupe d’ami·es, on la voit déconner parfois, puis retrouver son chemin.   

Tu es aussi une experte des séries… Quelle série pourrait se rapprocher de « Buffy » aujourd’hui, non pas dans le scénario, mais dans les idées qu’elle véhicule et son apport à la société ?

On m’a parlé il y a pas longtemps de Ted Lasso, et j’ai trouvé que c’était assez pertinent. Voilà deux séries qui célèbrent la bienveillance et le collectif et qui donne autant d’importance à ses personnages masculins que féminins. Dans l’esprit de communication, le passage à l’âge adulte et la représentation LGBTQ+, je pense aussi à la merveilleuse Sex Education. Enfin, plus récemment, la série Mercredi possède des thématiques communes avec Buffy : le combat contre les démons, l’adolescence marginale…

Mais en vérité, les œuvres qui résonnent le plus avec Buffy sont à mon sens Harry Potter et Matrix, qui possèdent toutes deux ce concept d’Élu et une recherche d’émancipation collective en des temps troublés. 

Peux-tu me donner trois raisons pour lesquelles on devrait tous·tes l’avoir regardée au moins une fois dans sa vie ? 

Je dirai qu’on a tous·tes besoin de combattre nos démons dans la vie, et voir une série dans laquelle ils se font littéralement casser la gueule par une petite blonde spirituelle, ça fait un bien fou ! Ensuite, pour plonger dans une mythologie féministe et féminine qui nous donne de la force, et enfin je dirai tout simplement pour Sarah Michelle Gellar, qui porte la série à bout de bras, incarnant, non seulement la Tueuse, mais aussi le Buffy Bot et La Force en saison 7. Sa performance, sous-estimée à l’époque, mérite tous les égards. 


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

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