Le 9 avril 2017
À l’hiver 2016, alors que Jingle Bells avait envahi tous les supermarchés et que le vin chaud coulait à flots, Helen Fielding est venue rendre une petite visite aux Parisiennes.
L’occasion de promouvoir le dernier tome de sa série de livres qui venait de sortir après le film éponyme, Bridget Jones Baby!
J’ai passé quarante minutes en tête-à-tête avec elle un samedi matin, tandis qu’elle essayait tant bien que mal de prendre un petitdéjeuner après un réveil raté épique que Bridget n’aurait pas démenti.
Elle m’a parlé, pêle-mêle, de ses raisons d’écrire, sa relation avec Colin Firth (un point important) et son regard sur la vie des jeunes femmes d’aujourd’hui.
La naissance de Bridget Jones et son succès ravageur
À la base, Helen Fielding est journaliste. Elle a commencé par écrire des choses « sérieuses » sur le postmodernisme. Mais voilà, cela ne se vendait pas et il lui fallait gagner des sous.
En 1996, l’idée de transformer sa colonne hebdomadaire dans le quotidien The Independent (oui, un peu comme Carrie Bradshaw) en un roman lui est alors venue.
Elle reconnaît volontiers avoir pris son pitch à Jane Austen (excusez du peu) (elle se dit qu’elle ne lui en aurait pas voulu).
Il faut dire qu’Orgueil et préjugés est l’un de ses romans préférés, tant elle apprécie Jane Austen pour ses histoires qui peuvent sembler anodines, mais en disent pourtant long sur leur société et les rapports hommes/femmes.
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Malgré ce modèle reconnu, Helen a choisi l’anonymat pour ses chroniques car il s’agissait d’un journal sérieux et elle ne voulait pas qu’on sache que c’était elle qui parlait de sexe, d’hommes, de difficultés à se lever et à travailler…
Cela lui permettait d’être honnête, de ne pas censurer les difficultés du célibat, d’aller à l’encontre des pressions sociales. Et, très important, de le faire avec humour et en toute liberté !
À l’image d’Orgueil et préjugés, son héroïne et son Mark Darcy ont dépassé toutes ses attentes et conquis le lectorat britannique, avant de s’attaquer environ au monde entier.
Un succès auquel elle n’arrivait pas à croire, mais qui a ouvert une période formidable pour la journaliste qu’elle était alors. Elle se souvient par exemple qu’elle découpait les listes de best-sellers avec son roman en pole position et les affichait derrière la porte de sa cuisine.
Puis le projet du film est arrivé avec son « vieil ami » Richard Curtis, et elle a travaillé trois ans sur le script.
C’est alors qu’une autre de ses idoles est venue à portée de ses mains, confondant à l’écran son Darcy et celui de Jane Austen : Colin Firth.
Quand Colin Firth devient ami avec Bridget Jones
L’acteur était un choix évident pour elle, qui a bien insisté pour qu’il incarne son personnage.
Il n’y a pas à dire, Helen a décidément beaucoup de points communs avec Bridget — même si elle soutient que le personnage est également inspiré de ses amies.
Toutes deux ont pourtant usé leur cassette VHS d’Orgueil et préjugés, se repassant seules ou accompagnées la scène où Colin Firth sort de l’eau dans sa chemise blanche lui collant aux pectoraux.
Une très grande influence dans leurs vies ! Helen Fielding confie en effet qu’elle était « obsédée ».
À cette époque, Colin n’avait pas encore la célébrité qu’on lui connaît et elle constituait avec ses amies un petit cercle de fanatiques dont elle n’a pu que devenir l’héroïne ultime en rencontrant l’acteur pour un déjeuner à deux à Rome.
Leur échange s’est tellement bien déroulé qu’ils ont enchaîné en reproduisant la scène du roman où Bridget interviewe l’acteur — ou plutôt l’interroge sur sa vie personnelle et la fameuse scène sexy du film.
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À la question de savoir si elle a été déçue de ne pas pouvoir transposer cette scène hilarante dans le film, Helen rétorque qu’elle l’était surtout d’apprendre que Colin sortait avec la femme italienne à laquelle il est maintenant marié (et avec qui elle rit de cette anecdote).
Elle a bien essayé de le convaincre subtilement qu’il lui fallait plutôt une Anglaise, qu’il serait mieux avec quelqu’un parlant sa langue comme elle… rien n’y a fait.
En guise de lot de consolation, elle avait heureusement l’enregistrement sonore de leur rencontre (et oui, encore comme dans son roman)… et en fin de compte ils sont devenus amis, quand même.
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Quand la mort d’un personnage de Bridget Jones devient un drame national
Le Journal de Bridget Jones est sorti au cinéma en 2001, suivi du deuxième opus, et l’héroïne a continué son ascension.
Ce n’est pourtant qu’avec la publication de Folle de lui en 2013 qu’Helen a mesuré l’ampleur de la célébrité de Colin Firth… et de Bridget.
Les journaux britanniques titraient (attention au gros spoil) « Colin Firth a été assassiné », et des gens l’accusaient dans la rue d’avoir « tué Colin Firth ».
Quand on lui pose LA question que tout le monde lui a demandé avec plus ou moins d’agressivité, « MAIS POURQUOIIIII », elle explique qu’il n’y a rien de cynique dans ce décès ; qu’elle veut que ses livres puissent refléter ce qui arrive à tout le monde et qu’il y a là un drame de la vie…
D’autant plus qu’elle ne voyait pas l’intérêt d’un troisième roman avec une Bridget en couple et que Mark Darcy, en vrai gentleman, n’aurait à son sens jamais quitté Bridget alors qu’ils avaient deux jeunes enfants, même s’ils avaient éprouvé des difficultés.
Prévoyant la pression du public, Helen Fielding a cependant écrit ce tome en secret, dans le même fauteuil qui l’avait accueillie pour le premier livre. Complètement seule avec ses personnages et ses idées, dans une grande concentration.
L’auteure étant, selon ses propres mots, « bien plus instinctive qu’organisée », Folle de lui est sorti avant Bridget Jones baby : le journal alors que son histoire se déroule après.
En effet, elle avait d’abord raconté la grossesse de Bridget dans The Independent et s’était directement lancée dans le script de son adaptation au cinéma au lieu du roman.
N’ayant pas envie d’enchaîner avec l’écriture de la même histoire en roman, elle a préféré créer Folle de lui en premier.
Si cela fut un peu perturbant pour les lecteurs et lectrices français•es qui ont lu l’histoire dans le désordre, son instinct ne l’a pour autant pas trompée.
Car la Bridget du troisième roman ne vit plus dans le même monde qu’il y a vingt ans et sa créatrice en a une conscience aiguë.
Chick literature, bienveillance et nouveaux codes
À l’époque de sa naissance, Le Journal de Bridget Jones se voulait bienveillant, lançant une chick literature qui voulait parler à ses lectrices comme leurs amies le faisaient.
Sans les mots durs et le jugement que chacune s’infligeait à soi-même, pour s’aider à s’aimer et s’accepter comme on était — loin du soi-disant poids idéal, du physique parfait, de la norme du couple ou d’une carrière glorifiée.
À l’époque, toute une génération de femmes n’était pas représentée dans la fiction, souffrant de standards inadaptés (couple, enfants, carrière…).
Le journal de Bridget est pour Helen sur le fossé entre qui nous sommes et qui nous avons l’impression que nous devons être.
Le style confessionnel à la première personne s’est dès lors étendu, plus simple et proche que la troisième personne et ses descriptions distancées des paysages et personnes.
Mais les jeunes femmes de 2017, et plus généralement les jeunes tout court, font aux yeux d’Helen Fielding face à des règles bouleversées par l’avènement des réseaux sociaux et de leurs injonctions propres.
Les femmes sont implicitement encouragées à poster des images lissées, « améliorées » d’elles-mêmes.
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Avec la présence parfois multiple sur les réseaux sociaux encouragée par la Fear of missing out (la peur de manquer quelque chose d’important), elles peuvent avoir ce double dont la vie est sublimée sur les réseaux, tandis que les moments de doute et de tristesse sont doublement réfrénés.
Pour contrer cette nouvelle facette des injonctions dont sont victimes les femmes, la chick literature a pour l’auteure été dépassée par les youtubeuses.
Miranda Sings, la nouvelle Bridget Jones ?
Elles font contrepoids à ces nouvelles normes pesant sur les femmes via un média permettant d’autres créations.
Car les vidéastes prennent la parole pour s’adresser aux jeunes femmes et se faire les voix de la bienveillance, d’une autre normalité, et montrent un nouvel humour féminin permis par la vidéo.
Pour Helen, il est décisif de savoir que ce n’est pas un problème d’être qui nous sommes, tout simplement.
Sa référence en la matière ? Miranda Sings, un personnage créé en 2008 par l’humoriste Colleen Ballinger.
Un bijou.
Comme Bridget Jones, il s’agit d’une anti-héroïne décomplexante, au talent et à la morale questionnables, proposant avec aplomb et fierté des tutos beauté ratés, ou encore des démonstrations de ses talents très discutables de chanteuse.
Créée par une jeune femme dans sa chambre, ce personnage hilarant est une nouvelle preuve pour Helen qu’il « y a toujours un moyen d’exprimer sa créativité ».
Mais contrairement à l’auteure qui a commencé à écrire masquée de peur d’être décrédibilisée, Colleen Ballinger et les autres youtubeuses avancent à visage découvert.
C’est sûrement la preuve que, malgré tout, les choses avancent, que les femmes ont moins peur de dire publiquement ce qu’elles pensent et de quoi leur quotidien est réellement fait. Et bien souvent avec un humour salvateur !
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