« J’ai décidé qu’on ne pourrait plus porter l’abaya à l’école », avait annoncé Gabriel Attal lors du 20 heures de TF1 le dimanche 27 août. Brandissant le principe de laïcité, il ajoutait : “Lorsque vous rentrez dans une salle de classe, vous ne devez pas être capable d’identifier la religion des élèves en les regardant.” Deux jours plus tard, Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’État chargée de la ville, déclarait être favorable à l’expérimentation d’un uniforme dans les écoles des quartiers populaires, arguant que l’habillement était marqueur d’inégalité sociale.
Ces annonces précèdent une rentrée compliquée, marquée par un grand manque de personnel éducatif, occupé à ramasser les morceaux de la réforme du bac Blanquer et à mettre en place les réformes des spécialités au sein de leurs établissements. Une “communication d’idéologie politique”, pour participer à un agenda politique destiné aux électeurs et électrices d’extrême droite, et détourner l’attention des véritables problèmes de l’éducation nationale, affirme Mathilde Blanchard, militante syndicale.
Des questionnements d’adolescents
Pour les acteurs et les actrices de terrain, le port de l’abaya, une robe longue couvrant bras et jambes, reste un enjeu minoritaire. Il n’est d’ailleurs pas considéré comme un signe religieux par le Conseil français du Culte musulman, qui l’a annoncé dans un communiqué début juin. Fanny Gallot, chercheuse en éducation, explique ainsi que le port de signes religieux, dont l’abaya constitue une partie seulement, ne représentait que la moitié des 3500 signalements annuels pour atteinte à la laïcité. En comparaison, les fractures dans l’enceinte de l’école représentent… 4400 signalements. “C’est un épiphénomène qui est monté en épingle pour créer une réalité médiatique”, affirme la chercheuse. “Les abayas ont été construits en problème par les politiques” afin de servir un projet islamophobe.
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Par ailleurs, le port de vêtements religieux en soi n’est pas un problème qui doit mener à une punition ou à une exclusion selon la loi de 2004 sur la laïcité. “Sur le terrain, quand il y a une suspicion d’atteinte à la laïcité, nous devons avant tout identifier si on est sur un questionnement identitaire d’adolescent ou sur du prosélytisme”, explique Mathilde Blanchard, qui travaille en ZEP dans les Pyrénées Atlantique. “Dans ces cas-là, on discute avec l’enfant et sa famille du concept de laïcité et de son importance au sein de l’établissement, et dans 95% du temps cela se passe bien.” Elle s’inquiète de voir des interrogations d’adolescent.e.s criminalisées et vues comme des remises en question des valeurs républicaines :
“On ne fait plus d’éducation, mais de la moralisation.”
Des mesures stigmatisantes et marginalisantes
Selon Fanny Gallot, la mise en place d’uniformes dans les quartiers défavorisés tout comme l’interdiction du port de l’abaya ont un objectif : reprendre l’autorité sur les jeunes des quartiers populaires. “L’uniforme en soi est porté dans plein de pays, mais le problème c’est la façon dont il est mis en avant et dans quel contexte”, affirme-t-elle. “Cette discussion arrive après les révoltes populaires des jeunes au début de l’été. C’est une manière d’imposer une politique autoritariste sur une certaine catégorie de population, de sanctionner les jeunes. Là où on affirme effacer les inégalités, on stigmatise.” L’uniforme en lui-même peut selon elle également révéler des inégalités, par son état, sa couleur, l’école à laquelle elle appartient.
“Ces polémiques viennent porter atteinte à la dignité de certains élèves”, affirme Romy Dematons Lakrouz, anciennement cheffe de projet égalité des chances dans des collèges et lycées en IDF, et autrice de Décoloniser les progressismes en Islam (Ed. CALEM, 2022). “Il y a vraiment des vies en jeu : des vies de filles, celles de leurs familles, leurs parcours scolaires aussi, qui sont affectés par leur marginalisation du fait de leur appartenance religieuse et de leurs origines.” Elle raconte les expériences d’humiliation vécues par des jeunes filles ces dernières années à cause de leur appartenance religieuse :
Beaucoup sont scrutées à l’entrée des établissements en fonction de la tenue qu’elles portent. Devoir retirer son foulard ou changer de tenue à l’extérieur même de l’établissement scolaire, suite à des insultes ou harcèlements de professeurs, peut être très violent et humiliant. Elles sont souvent convoquées dans le bureau des proviseurs ou menacées de conseils disciplinaires, des punitions qui relèvent de faits bien plus graves que ceux associés au port de l’abaya ou du foulard.
Elle imagine devoir mesurer la longueur des jupes des filles à l’entrée des écoles. Le corps enseignant se retrouverait alors chargé de faire du profilage sexiste et racial : “Les jeunes filles racisées seront automatiquement soupçonnées d’être musulmanes comme si c’était un crime en soi. Comme le dit Fatima Ouassak : ce sont des enfants. Et parce que ce sont des enfants et parce qu’ils et elles viennent des quartiers populaires, on fait d’elles et eux un danger. C’est une violence qui ne devrait pas avoir lieu dans le système scolaire de notre pays qui se proclame comme modèle de liberté.”
L’école, terrain des inégalités
“Ces polémiques ne sont que ça : des polémiques dont on a l’impression qu’elles ont été créées pour faire diversion”, affirme Benoît Teste, secrétaire général de la FSU. “Ce n’est pas à notre avis le débat qui devrait être celui de la rentrée.” Selon lui, l’école ne parvient plus à répondre à ses objectifs : la réforme Blanquer du bac, en ne le concentrant plus par filière, mais par matières de spécialités, a mené à une dévalorisation de celui-ci.
“Il faut redonner du sens au bac, débattre de ce qu’on fait de la précédente réforme et tout remettre à plat.” Et même avant le bac, tout le long du parcours scolaire, le secrétaire général s’inquiète du développement des discours autour des fondamentaux, qui risque d’influencer toute la façon des profs de faire de la pédagogie : “On essaie de nous faire enseigner de manière mécaniste, avec presque une forme de formatage des élèves, et en laissant de côté notamment les filières professionnalisantes. Pour nous, une éducation ambitieuse doit avoir l’objectif d’augmenter le niveau de l’éducation de l’ensemble de la population.”
Face à la dévalorisation de l’enseignement, on voit également une désaffection par rapport au métier d’enseignant. Selon Benoît Teste, les postes sont de plus en plus difficiles à pourvoir, et l’absence d’une partie du corps enseignant va se faire sentir très vite. “En quelques années, les taux de démission ont sextuplé. Lorsqu’on a demandé à faire pourvoir plus de postes, le ministre nous a répondu, sur le second degré, que l’on pouvait se débrouiller en interne, c’est-à-dire en ajoutant une charge de travail à des professeurs déjà surchargés.” Les écoles des quartiers populaires seront les premières victimes de ce manque de fond et de personnel :
“L’école, qui devait être un lieu de lien social, devient un terrain où se mettent en place des inégalités très fortes.”
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Les Commentaires
Pendant ce temps là, on fait oublier les vrais sujets qui fâchent : l'inflation et la GROSSE augmentation des prix depuis début septembre, à croire que tout est fabriqué en Ukraine, le truc de ouf, les soucis liés à parcours sup où un élève avec une mention TB et un parcours parfait n'est même pas assuré d'obtenir une école parmi ses 5 choix , et l'appauvrissement inquiétant du niveau scolaire fragilisé par des années de réformes au doigt mouillé ? Non, il vaut mieux encore une fois taper sur les femmes et déclencher une bataille rangée et surtout tellement attendue entre les extrêmes, les défenseurs de la laïcité, les féministes, les religieux, etc.
Foutez la paix aux femmes, bordel.