Aujourd’hui, je vais traiter d’un thème pas très fun, mais nécessaire quand on parle du Venezuela : l’insécurité.
Contrôle parental : papa, maman, ne lisez pas cet article, bisous !
Oui je sais… Ce n’est pas moi qui vais faire grimper les chiffres du tourisme au Venezuela, mais je suis vraiment obligée d’en parler tant l’insécurité conditionne tout le quotidien ici.
Petit retour sur le pourquoi du comment j’ai atterri ici.
Déjà, les voyages, ça a toujours été ma grande passion ; j’avais dans la tête de m’expatrier depuis bien longtemps. Et il se trouve que pendant mes études, les hasards de la vie (et Facebook) m’ont fait rencontrer un charmant Vénézuélien travaillant à Paris ; et de fil en aiguille en café en ciné en soirée… nous voilà en couple, puis habitant ensemble, puis mariés ! On a habité à Paris pendant quelques années, on allait au Venezuela pour les vacances, mais la situation étant bien difficile au niveau économique, politique et justement de la sécurité, on préférait rester en France. On ne vivait donc que le bon côté du pays : les plages magnifiques, le soleil, les fruits à gogo, les expéditions en Amazonie…. Et puis un jour, il est retourné là-bas pour une opportunité professionnelle, et après quelques hésitations, on a fini par décider de s’installer à Caracas.
Donc, on a surtout hésité par rapport à la sécurité et à tout ce que ça implique. Hé oui, le Venezuela, c’est pas relax. Et surtout pas Caracas.
Déjà, quand on lit les chiffres, on a peur. Le Venezuela, c’est 21 692 homicides volontaires par an soit un taux de 73 pour 100 000 habitants en 2012 (pour comparaison, le taux de la France est proche de 1…), selon l’Observatoire de la Violence au Venezuela, une ONG locale (16 030 homicides selon les chiffres officiels), dont plus de 70% sont commis avec des armes à feu. Quand on se balade sur des forums ou sur le site de l’ambassade, on hésite franchement. Et puis en entendant toutes les histoires des Vénézuéliens, on se dit « Jamais ! ». Mais j’y reviendrai.
Bref, avec tout ça, on (en tout cas moi et mon imagination) s’attend à voir un pays au bord de la débâcle, des cadavres et des flaques de sang à tous les coins de rue, des gars qui marchent tranquillement le flingue à la ceinture, les gens qui courent se cacher chez eux. Et puis je me suis dit, bon, restons calme ; il y a bien des gens qui vivent là-bas, qui font leurs courses, qui vont au boulot tous les matins, qui ont des amis et des enfants. Quand j’étais allée à Caracas, je m’étais bien rendue compte que c’était pas Brazil, les rues n’étaient pas désertes, les gens ne rasaient pas les murs et j’en avais même vu rigoler ! Donc j’ai pris mon courage à deux mains et un aller simple pour Caracas.
Quand on arrive en ville…
C’est sûr que la vie n’a rien à voir avec Paris. Toi qui a l’habitude de déambuler tranquillement dans les rues avec tes copines en rigolant, vêtue de tes plus beaux atours, oublie. Ici, dès que tu arrives, tu comprends tout de suite que tu joues dans une autre cour.
Déjà, le paysage se charge bien de te le rappeler. Fils barbelés, électrifiés, morceaux de verre brisés plantés dans le ciment, quadruple doses de grilles, gardiens, les panneaux « interdit de porter une arme »…
Rien que pour entrer chez moi, je dois passer 5 « barrières » (6 si on compte l’ascenseur que l’on déclenche avec un badge) : la grille de la cour de l’immeuble, celle de l’immeuble, l’ascenseur à badge, la grille de l’étage, la grille de ma porte, et ma porte ! Pouvoir s’affaler dans son canapé, ça se mérite ! (Je précise que j’habite dans une zone relativement aisée et tranquille de la ville, pas au détour d’un bidonville.)
Tout est surprotégé, surveillé, menaçant. Au début, j’ai trouvé ça très glauque. Et puis on s’y fait, et maintenant je ne les vois même plus, ça fait partie de mon quotidien. Ça devient même rassurant.
Et évidemment, il y a les faits divers dans les journaux, et les anecdotes ; tout le monde a quelque chose à raconter : surtout des histoires de vol à main armée par des « malandros » (les bad boys locaux, le plus souvent des jeunes hommes entre 15 et 30 ans, pauvres, mais aussi parfois des policiers ou des militaires) dans les embouteillages ou dans la rue, pour voler un téléphone, une bague, la voiture… et des histoires de « kidnapping express » : ils repèrent une personne et la suivent pendant quelque temps, puis la kidnappent et demandent immédiatement une rançon, et la victime est relâchée rapidement. Donc ici, très vite, on adopte certaines habitudes et on suit les règles d’or de la vie à Caracas :
- Tu éviteras voire fuiras certains quartiers.
- Tu ne porteras jamais de bijoux (sauf si tu vas chez quelqu’un ou au restaurant, et en voiture).
- Tu te gareras de préférence dans des parkings surveillés plutôt que dans la rue.
- Dans les rues désertes tu ne marcheras pas ; tu prendras la rue parallèle plus fréquentée.
- Tu essaieras de ne pas prendre tout le temps le même itinéraire.
- Tu ne sortiras pas la nuit, ou alors en voiture, de préférence à plusieurs, et tu éviteras de t’arrêter aux feux rouges.
- Tu te méfieras dans la rue, surtout quand tu entends un « motorizado » (un motard) arriver.
- Tu changeras de trottoir si tu vois des gens ou des voitures louches.
- Si tu te fais braquer, tu ne résisteras pas et donneras tout ce que tu as.
- Même des policiers tu te méfieras.
Et par exemple, très souvent, les gens ont deux téléphones : un tout pourri, et un beau smartphone ; comme ça, s’ils se font braquer, ils peuvent donner le vieux, parce que si on a rien ou qu’on prétend ne rien avoir, le malandro peut s’énerver et ça peut dégénerer.
Sortir, c’est s’exposer au risque
Donc oui, on peut vivre, on s’adapte évidemment, je marche dans certains quartiers et en journée, mais il y a quand même ce climat de tension et on n’est jamais complètement tranquille. Sortir de chez soi est toujours vécu avec une certaine appréhension : quand on sort, on s’expose. Certaines personnes, les plus croyantes, se signent en sortant de chez elles le matin et font une rapide prière « Dieu devant moi, Dieu derrière moi, Dieu avec moi aujourd’hui », pour les protéger jusqu’à ce qu’elles rentrent chez elles.
Et ce qui fait très bizarre, c’est le contraste avec l’environnement naturel de la ville: le soleil, la superbe chaine de l’Avila qui longe la ville, la végétation luxuriante, la chaleur des gens… En voyant tant d’abondance naturelle, ça peut sembler difficile de se dire qu’il existe cette tension.
Il faut quand même préciser que même si la violence s’est aujourd’hui étendue à toutes les zones de la ville, ce sont les zones les plus défavorisées, les gigantesques bidonvilles qui bordent la cité, où l’on recense toujours le nombre de meurtres le plus élevé, dus aux règlements de compte entre bandes, mais aussi à cause de balles perdues touchant des innocent-e-s.
Un problème étouffé par les politiques
Une partie du problème est liée à la violence et aux criminels eux-mêmes, qui ne cessent de se multiplier: la violence est en augmentation depuis des années (+14% en 2012) notamment à cause de la quasi-impunité de ces crimes. Très souvent, il n’y a aucun suivi, aucune enquête, donc forcément les criminels ne se sentent pas menacés et n’hésitent pas à recommencer. En cela la politique n’aide pas ; l’insécurité, principal cheval de bataille de l’opposition, est étouffée par le gouvernement, qui depuis 9 ans a interdit de diffuser régulièrement toute information officielle sur les chiffres de la criminalité et la violence. Les journalistes se rendent eux-mêmes tous les lundis matins à la morgue de Bello Monte, principale morgue de Caracas, pour tenter d’obtenir des informations de première main.
La criminalité est donc devenue un vrai business, notamment pour les kidnappings express ; je me rappelle de cette fille qui me raconte que sa cousine s’est faite kidnapper, et que ses ravisseurs lui ont dit « On s’en fiche de toi, alors si tu me donnes le nom d’un « gros poisson », on te diminue ta rançon de moitié » ; ou encore ce moto taxi qui en passant près d’une femme, lui arrache son Blackberry, puis se retourne vers son passager effrayé et lui dit « Nan mais toi t’inquiète, t’es mon client, je touche pas à mes clients »….
S’adapter, c’est cautionner ?
Et l’autre versant du problème, ce sont les habitants eux-mêmes, qui évidemment se plaignent beaucoup de cette violence mais se sont finalement habitués à la situation et ne réagissent plus. La violence aujourd’hui est ancrée dans les mœurs, tant pour les criminels que pour les victimes. Les gens font attention, mais rien de plus. Alors, quelle attitude adopter ? Malheureusement, la violence est là, il ne faut pas l’ignorer ; j’ai choisi de ne pas tomber dans la psychose, et dès le début je me suis dit que je n’allais pas rester enfermée chez moi, sinon on ne vit pas; je respecte les règles de prudence et je sors en faisant attention, comme tout le monde…
Bon, à côté de ça, le Venezuela a énormément de richesses, la nature à couper le souffle, les gens… Alors ne vous laissez pas impressionner par tout ça et venez vite le découvrir ! Et comme je vous le disais, on vit quand même dans cette ville !
En tout cas, promis, la prochaine fois je vous raconte du plus léger!
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Les Commentaires
Bien entendu, nous ne sortions pas le soir, ou très rarement. De toute manière, les restaurants étaient bien trop chers.
Nous faisions attention avec la voiture, teintée au maximum possible. Assez choquant pour une petite fille comme moi à l’époque ; je dois dire que ça m’a enlevé une partie de mon innocence. Je dirais que le pire évènement a été un presque kidnapping d’un enfant devant mon école. Une camionnette noire s’est garée devant l’entrée, et un homme a saisi l’enfant par le col. Il s’est mis à courir et est finalement rentré dans l’école. Les gardes ont tout vu, mais n’ont rien fait. Parait-il que c’était une histoire de divorce de la garde de l’enfant.
Sinon, je ne parlerais pas des pénuries de lait, de papiers de toilette, de mouchoirs, d’oeufs, de sucre, etc. Bref, on commandait à l’étranger.
Nous étions censés rester quatre ans, mais on est très vite parti au bout de trois ans, la situation devenant impossible. Beaucoup sont partis en même temps que moi. Et moi je partais pour les Philippines.