J’ai été grosse. Vraiment grosse.
Lorsque j’ai atteint le haut de mon échelle, je pesais 134kg — pour 165cm.
Ça n’est pas arrivé comme ça, du jour au lendemain, le problème remontait à l’enfance. Les infirmières, les maîtresses, mes parents, mes amis, ma famille ont essayé de me tirer la sonnette d’alarme…
Mais c’est seulement à 25 ans, lorsqu’un médecin m’a dit que je ne passerais plus jamais une nuit de sommeil reposante, et que je risquais clairement de mourir si je continuais comme ça, que j’ai décidé de faire quelque chose.
Ma vie avec, et après, l’obésité
Un an d’examens médicaux, de suivi psychologique et de préparation plus tard, j’ai été opérée d’un bypass gastrique. Je vous laisserai googler les détails, mais cette opération a réduit drastiquement la quantité de nourriture que je peux manger.
Je suis descendue au plus bas de mon échelle un peu moins de deux ans plus tard et je suis tombée à 67kg. J’ai donc perdu, au kilo près, la moitié de mon poids.
Et ma vie a radicalement changé.
Pourquoi j’avais peur de ne plus être obèse
Avant de passer sur le billard, une de mes peurs principales, c’était que cette opération ne remette en question mon bien-être en tant que grosse.
Parce que oui, c’est important de le dire : lorsque je faisais 134 kilos, j’étais très bien comme ça. Je faisais partie de ces grosses qui avaient la chance de ne pas avoir de complexes, de ne pas me sentir handicapée par mon poids.
Alors, quand j’ai décidé de me faire opérer, j’avais peur que cela permette aux gens de dire « comme quoi, elle n’était pas si bien que ça… ». Je refusais catégoriquement cette remise en question qui n’avait pas lieu d’être.
Mon opération, c’était mon futur. Pas mon passé.
Cette peur ne s’est pas avérée justifiée dans ma vie quotidienne post-op, mais la controverse autour de la nouvelle série Netflix, Insatiable, lui a donné une nouvelle dimension.
Pourquoi la controverse sur Insatiable m’a blessée
Lorsque la polémique autour d’Insatiable a commencé, bien avant que la série ne soit disponible sur Netflix, je suis allée voir la bande-annonce pour comprendre de quoi il retournait.
J’ai ensuite fait l’erreur de débutante d’aller voir les commentaires… et je me suis sentie terriblement heurtée par certains d’entre eux.
La plupart des gens, à ce stade, demandaient une censure de la série, en se basant uniquement sur son synopsis : une jeune fille obèse perd du poids et décide de prendre sa revanche sur ses harceleurs.
Perdre du poids, ce n’est pas discriminer les obèses
Les détracteurs d’Insatiable revenaient toujours avec le même argument :
« On n’a pas besoin d’être mince pour être belle et désirée. Comment est-ce que Netflix ose glamouriser l’action de perdre du poids pour être belle ? »
Soyons clairs : j’ai toujours prôné l’acceptation de soi, la beauté sous toutes ses formes. Évidemment, qu’il ne faut pas être mince pour être belle — je me trouvais extrêmement canon, même lorsque je portais du 54 !
Mais j’ai été choquée par la rapidité avec laquelle certain·es ont voulu censurer une histoire qui a été considérée comme du fat shaming, simplement parce que l’héroïne perd du poids plutôt que de s’accepter comme elle est.
Comme si moi, en tant qu’opérée de l’estomac, j’étais devenue une « fat shameuse », une personne discriminant les obèses, parce que j’avais refusé de rester en danger et de ne pas me soigner…
J’ai été terriblement blessée par ce parallèle.
Insatiable n’est pas l’horreur qu’on m’avait promis
Insatiable est sortie il y a quelques jours et la controverse s’est faite de plus en plus sévère. J’ai donc voulu jeter un œil à la série, puis aux nouvelles critiques.
Entendons-nous bien, j’ai été plutôt déçue par cette sitcom, car Netflix m’a habituée à des programmes de qualité — même si j’ai trouvé ça moins pire que ce que les critiques m’avaient menée à anticiper.
Oui, l’humour est lourd, parfois très lourd ; oui, certains dialogues sont mal écrits voire carrément maladroits ; oui, certains gags vont à mon sens trop loin…
Mais quand il s’agit des critiques « de fond », je ne peux m’empêcher d’en trouver beaucoup totalement injustifiées.
L’héroïne d’Insatiable est malade, et ce n’est pas un gros mot
Une critique qui revient depuis le début de la polémique, c’est qu’Insatiable dit qu’être gros, c’est être malade ; que l’obésité et le binge eating (hyperphagie boulimique) sont traités de la même façon ; que l’héroïne, Patty, est « hors de contrôle »…
Certains articles dénoncent même l’utilisation du terme emotional eating dans la série.
Évidemment, être gros ne veut pas TOUJOURS dire être malade. Mais il est clair que Patty souffre de binge eating, ce trouble du comportement alimentaire
qui pousse à engloutir des quantités astronomiques de nourriture, jusqu’à s’en rendre malade.
Ce trouble du comportement alimentaire en est bien un, je le sais mieux que quiconque : j’en souffre depuis des années.
Alors même si être gros n’équivaut pas à être malade, dans le cas de Patty, elle souffre de binge eating, elle EST donc malade, c’est important de le souligner !
Lorsque je suis en crise de binge, je SUIS hors de contrôle. Quant à l’emotional eating, c’est un truc qui existe… et que je pratique, malheureusement, toujours.
L’obésité est une maladie, et il est important de le reconnaître
À mon sens, si beaucoup de gros·ses se sentent encore rejeté·es dans la société, c’est en partie parce que trop de gens refusent de reconnaître l’obésité comme une « vraie » maladie.
C’est un peu comme ceux qui blâment les alcooliques ou les toxicomanes : ils estiment que les gros·ses « s’infligent leurs propres problèmes », et donc ne sont pas « vraiment » malades.
Je pense que reconnaître les troubles du comportement alimentaire comme des problèmes de santé, ce qu’ils SONT, et admettre qu’ils peuvent pousser les gens comme moi à être « hors de contrôle », est essentiel.
Car c’est ainsi que des solutions, des aides pourront être développées et mises en place. Pour beaucoup de personnes grosses, le déni est un danger, au niveau de leur santé.
Insatiable est UNE histoire, pas un tour d’horizon de l’obésité
Insatiable n’essaye pas montrer « le vrai visage de l’obésité », du binge eating, de la perte de poids : c’est une série de fiction et non un documentaire.
D’ailleurs, au final, le sujet du surpoids, des troubles du comportement alimentaire, n’est pas tellement abordé. Ce n’est pas le cœur de l’intrigue.
La série ne prétend pas que le harcèlement scolaire dû au poids est normal, mais ne nie pas le fait qu’il est, malheureusement, une réalité pour certaines personnes.
La série ne dit pas que TOUS les gens gros sont tous malheureux, incapables de se contrôler, mal dans leurs corps… elle raconte UNE histoire.
Elle montre UN visage de l’obésité ; UNE obésité, liée au binge eating, UN chemin vers la guérison. Patty est malheureuse quand elle est grosse, mais ne prétend à aucun moment représenter toute une communauté !
Quand je vois certain·es exiger la censure de cette histoire, je trouve ça réducteur, et dangereux. Car les personnes comme Patty existent, et c’est aussi leur droit de se voir à l’écran.
Insatiable n’est pas mon histoire… mais y ressemble un peu
Je ne me suis pas reconnue entièrement dans l’histoire de Patty. Elle a, contrairement à moi, vécu du véritable harcèlement scolaire, et son rapport au corps est bien plus complexe que le mien.
Pour autant, je me suis reconnue dans assez d’aspects pour savoir que si son histoire ne ressemble pas à celle de tou·tes les gros·ses… elle ressemble à la mienne.
Et c’est une histoire que l’Internet tout entier essaye de faire taire.
Je trouve ça terriblement injuste. Parce que cette histoire ne correspond pas aux standards d’une certaine lutte, elle ne devrait pas être contée ?!
Perdre du poids a changé ma vie, et je n’en ai pas honte
Contrairement à ce que d’aucun·es prétendent, je ne pense pas que Netflix, avec cette série, « encourage » des jeunes en surpoids à perdre 30kg pour que la société les accepte.
Cela dit, je ne peux pas nier qu’en perdant 67kg, j’ai vu les regards sur moi évoluer. Probablement aussi parce que j’ai changé de vie, et gagné confiance en moi… mais en tout cas, ce changement est réel. Fait partie de ma vie.
De quel droit certaines personnes estiment-elles que ma vie, mon expérience réelle, n’est pas digne d’être montrée au grand public ?
Perdre du poids, me faire opérer, c’était une décision personnelle. Avec le recul, je me dis que j’aurais aimé la prendre plus tôt. Car je suis plus épanouie à présent, et en meilleure santé.
Est-ce que dire ça fait de moi une personne « problématique » ? Est-ce que ma simple existence nie les bienfaits de l’amour de soi, de l’acceptation de son corps, peu importe le nombre de kilos sur la balance ?
Je ne pense pas.
Montrer n’est pas valoriser, et Insatiable est un miroir, pas un manifeste
Le scénario d’Insatiable aurait-il pu être différent ? Évidemment. Patty aurait-elle pu apprendre à s’aimer et se défendre sans perdre du poids ? Bien sûr.
Il est légitime d’espérer voir des histoires variées dans le paysage médiatique. Et c’est déjà le cas ; par exemple, dans Queer Eye (une autre production Netflix), personne n’est encouragé à maigrir pour avoir une meilleure vie.
Dans l’excellente série britannique My Mad Fat Diary, l’héroïne est en surpoids et a une maladie mentale. Ça ne l’empêche pas de grandir, de s’épanouir, d’être heureuse, de trouver l’amour.
Insatiable, c’est une autre histoire, tout simplement. Qui existe, et mérite, elle aussi, d’être racontée.
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Les Commentaires
Vous avez tout à fait le droit de rectifier le tir si je suis à côté de la plaque, mais j'ai l'impression qu'il y a quand même quelque chose de très décomplexé en ce qui concerne la grossophobie. Attention, je dis pas que les discriminations envers les personnes avec handicap n'existent pas - loin de là ! Juste j'ai l'impression que c'est socialement admis de ce moquer des gros (et extrêmement récurrent) alors que "ça se fait pas" avec le handicap - en bref, si je schématise à mort : le/la gros-se c'est de sa faute, et c'est bien fait il/elle a qu'à maigrir / la personne porteuse de handicap, on l'engage pas mais le/la pauvre c'est pas de sa faute (j'ai pas dis que cette condescendance-là était préférable, juste différente). C'est cette spécificité que je voulais pointer et pas du tout minorer les autres discriminations.
De plus, un-e gros-se-s ayant souvent intériorisé la honte qu'on lui fait ressentir va assez rarement dire qu'il/elle a été discriminé-e pour ça / porter plainte. D'autant que c'est souvent implicite et donc impossible à prouver.