Il y a quelques jours, ma petite soeur a commencé la conduite pour la première fois. Entre deux rappels que les pigeons s’écartent plus vite de la route que les vieux, mais qu’il vaut mieux éviter les vieux quand même, cet évènement me replonge dans les souvenirs et la nostalgie.
Ah, qu’il est loin, ce bon vieux temps où c’était moi qui me jetais corps et âme dans la folle aventure à la recherche du permis perdu ! Pour finalement vivre à Paris à vingt-quatre ans et prendre le métro. Super utile.
J’ai commencé à conduire vers dix-sept ans, une fois le Code arraché non sans peine au Gouvernement et le Code Rousseau, ouvrage du démon, brûlé au fond du jardin. Comme tout me paraissait facile, à l’époque. Nul doute, alors, que le permis n’était pas loin, et la liberté et l’ivresse (métaphorique) de la route à portée de main.
Non, je déconne. Allez, on se fait un petit retour vers le futur ? Je vous accompagne.
La première fois, ou le démarrage difficile
Ah, la première fois ! Toute votre vie, vous avez occupé le siège passager, et puis soudain, votre moniteur d’auto-école (ou une proche connaissance si vous trichez) vous place devant un volant et des pédales. Vous n’avez jamais été de ce côté-là de la voiture, sauf peut-être la fois où vous êtes monté-e dans une voiture en Angleterre mais ça ne compte pas parce que ces gens font tout à l’envers, et vous ne vous y sentez pas à votre place.
Pourtant, vous venez de passer des mois à ne voir que des routes et des voitures sur un écran, en vous faisant mitrailler de questions pièges sur la pression des pneus que vous n’avez pas ou la meilleure attitude à adopter quand une mamie traverse en face de vous (« BANZAÏ » n’étant pas une réponse acceptable). Le Code Rousseau a été votre unique livre de chevet pendant tout ce temps, vous avez mangé voiture, vous avez bu, rêvé, parlé voiture… mais vous n’avez jamais conduit une voiture. Et vous voilà, perplexe, devant votre volant. Vous ne l’imaginiez pas si grand.
Soudain, c’est l’impulsion ! Enfin, votre moniteur commence à trouver le temps long, et vous enjoint cordialement à « tourner la clé dans le contact ». La confiance vous revient : avec toute la théorie que vous avez accumulée, ça ne peut pas être si compliqué ! Alors vous tournez la clé, vous passez la première, et… Vous calez.
Bon. Ce n’est pas grave. Ça arrive à tout le monde. On recommence.
Fais pas cette tête, tu vas y arriver.
Pédale d’embrayage enfoncée à bloc, vous re-tournez la clé, passez la première, lâchez la pédale de frein, commencez à accélérer… Faites trois petits bonds avec la voiture et calez. Vous avez oublié de dé-serrer le frein à main. Vous tapotez de manière agacée sur le volant en regardant le moineau qui continue de se récurer le plumage sur le capot. Vous l’aurez, un jour.
Une heure plus tard, vous avez des crampes aux chevilles et même aux orteils, vous voyez des pédales d’embrayage partout, tout ce calage vous a filé le hoquet et vous avez avancé de deux mètres. Votre moniteur glisse que vous avez bien avancé, et vous le regardez d’un oeil torve. Félicitations, vous venez de passer votre premier cours de conduite et aucun pigeon n’a été blessé pendant celui-ci.
La première fois, niveau 2
Les jours et les heures de conduite s’enchaînent, et vous avez cessé d’en regarder le coût tant votre nouvelle capacité à démarrer vous emplit de fierté. Désormais, vous vous lancez sans crainte, les moineaux et les pigeons s’écartent sur votre passage, et vous passez même le point mort au feu rouge tant vous êtes confiant-e. Ahaha, finis les moments de stress, quand le feu passe au vert et que vous calez en heure de pointe ! Limite vous démarrez en 4ème, t’as vu.
C’est pourquoi il est temps pour vous de passer au niveau 2. Vous allez vite comprendre que ce n’est pas la conduite en ville qui est facile : c’est votre moniteur qui vous fait passer par les coins faciles. Lorsqu’il vous demande de tourner à droite plutôt qu’à gauche ce jour-là, vous sentez qu’il y a anguille sous roche. Saloperie d’anguille qui vous saute à la gorge quand vous vous retrouvez arrêté-e à un feu rouge… en côte.
Oui, iiih, ça recule, iiih, vous allez rentrer dans le bus derrière vous ! Ah ben oui, parce qu’évidemment, pour bien vous mettre dans l’ambiance, c’est un bus qui se pointe. Comme ça, quand l’infâme pourriture à son volant trouve que vous vous rapprochez trop de lui en essayant de redémarrer, il balance un coup de son klaxon 6538 décibels dans votre stress, et vous êtes bien. Posé.
Heureusement, votre moniteur a lui aussi accès aux pédales de la voiture. Il vous met des petits coups de freins de temps en temps, pour bien vous le rappeler — il vous a peut-être sauvé cinquante-quatre fois la vie, mais vous ne pouvez pas empêcher l’irritation de poindre chaque fois qu’il bloque vos manoeuvres. La route est longue, et la pédale dure
.
La conduite accompagnée, ou l’épreuve des 3000 kilomètres
Et dire que vous pensiez que c’était le plus dur. C’était oublier que vos parents ont signé pour la conduite accompagnée. Vous dites « à dans 1000 kilomètres » à votre moniteur, et grimpez dans la voiture de vos parents, au cul de laquelle vous avez collé le nouveau sigle dont vous allez rêver toutes les nuits. Il est rond, il est blanc, il présente deux bonhommes côte à côte et les mots « conduite accompagnée » inscrits avec style. Notez que le plus petit personnage au volant sourit.
Vous jetez un regard dubitatif au petit carnet qui va avec. C’est la première fois que vous vous demandez si la promesse de payer moins cher l’assurance une fois le permis en poche vaut vraiment la peine de conduire pendant 3000 km avec vos géniteurs. Peut-être qu’ils s’interrogent également, alors qu’ils prennent place à leur tour dans le véhicule. Mais vous chassez ces sombres pensées de votre esprit et démarrez : la conduite accompagnée est une excellente méthode d’apprentissage en douceur. EN DOUCEUR.
Sauf qu’on ne réalise jamais vraiment ce que représentent 3000 km. Vous vous dites « wesh, tranquille, je fais trois fois Perpignan-Paris et on est bons » (ou pas, vous n’êtes pas obligé-e de vivre à Perpignan). Dans la réalité, vous allez faire les courses avec maman, et bravo, vous venez de faire 5 km. Plus que 2995.
Enfin, à la limite, si vous n’êtes pas pressé-e, ce n’est pas un problème. Peut-être que vous allez rester conducteur accompagné toute votre vie, on sait pas. Non, le vrai souci, et vous commencez à vous en rendre compte, c’est que la personne qui vous accompagne, que ce soit votre maman, votre papa, ou votre copain/copine, grand frère ou grande soeur… Si elle a le droit de le faire, c’est qu’elle a le permis depuis au moins cinq ans. Au moins cinq ans qu’elle ne conduit plus comme à l’auto-école. Et ça, ça va piquer.
— Bon, tu veux pas accélérer un peu, là ? Tu roules à 35km/h et on a cinquante personnes derrière prêtes à descendre pour nous lyncher sur la place publique ! — Mais je roule déjà trop vite, c’est limité à 30 ! — Mais je… pfff.
Oui, vous, la/le nouvel-le élève appliqué-e, vous faites bien tout ce que le Code Rousseau et votre moniteur vous ont appris, afin de ne pas faire de bavure au moment de passer le permis. Ça veut dire prendre le temps de regarder au Stop, bien faire vos contrôles pour que tout le monde voie que vous les faites, bien marquer sa voie dans un rond-point quitte à filer le mal de mer aux passagers…
Que la prévention routière me tombe dessus, mais il faut le dire : au bout de cinq ans de permis, on ne conduit plus comme ça. Et surtout, on n’est pas habitué à faire le co-pilote de quelqu’un qui ne maîtrise pas tout à fait.
— Mais enfin… Pourquoi t’as tapé avec le pied ? — Je… J’ai voulu freiner… (Mal.)
S’il n’y avait que les tics nerveux, l’anxiété constante et les angoisses palpables de votre accompagnateur, tout irait bien. Sauf que pendant que vous testez ce qu’il lui reste de connaissance du code de la route, vous testez sa connaissance de sa droite et sa gauche. On n’est pas tous égaux à ce niveau-là.
— Prends à droite. — À droite, t’es sûr que… — Mais oui, à droite, rooh… — Mais… — C’EST MOI QUI COMMANDE. — … Bon, bon. — Mais… mais où tu vas ?! — Ben à droite. — Mais c’est un sens interdit, là ! — J’ai bien essayé de te le dire, mais tu m’as dit à droite ! — … mais L’AUTRE droite.
La conduite accompagnée, cet apprentissage en douceur et dans la bonne humeur. Vous voilà tenté-e de rétablir la vérité :
Le A rouge, la lettre écarlate des temps modernes
Victoire ! Vous avez eu votre permis ! Ah, il faut dire que le temps a passé, que de l’eau a coulé sous les ponts et que vous avez triché en vous rajoutant des kilomètres que vous n’avez pas fait (tout le monde le sait). Votre petit papier rose en poche, c’est d’une main tremblante d’émotion que vous approchez la clé du contact : vous êtes seul-e au volant d’une voiture pour la première fois, et ça fait comme un gros vide.
D’abord, le doute. Le même que vous avez connu lorsque vous avez réalisé que votre accompagnateur n’avait pas accès aux pédales comme votre moniteur. Et si jamais vous vous retrouvez coincé-e dans un créneau, qui vous sortira de là ? Et puis, la maturité : vous êtes grand-e maintenant. Vous avez appris et allez continuer à apprendre à vous débrouiller seul-e. Vous gonflez la poitrine.
Désolée.
Ah oui, mais vous oubliez quelque chose. Vous descendez du véhicule qui n’est pas à vous parce que vous n’avez plus de sous après le permis, allez récupérer le sigle « conduite accompagnée » que vous balancez dans le coffre avec une hargne presque jouissive, et le remplacez par le nouveau logo qui va vous coller au uc pendant quelques années : le gros A rouge réglementaire de l’Apprenti sorcier conducteur.
Puis vous remontez, démarrez non sans une petite larmichette d’émotion, et partez, confiant-e, à l’aventure de votre propre vie. C’est tellement beau que j’hésiterais presque à parler de la suite.
MAIS EN FAIT NON. Vous avez désormais un gros A collé sur le uc. Vous êtes fiché-e. Vous êtes foutu-e. Car le conducteur expérimenté a développé un automatisme qu’à ce jour aucun sociologue ne parvient à expliquer, qui va le faire rentrer dans une espèce de folie furieuse à la vue de ce gros A écarlate. Soudain il vous voit, et plus rien n’existe : il FAUT qu’il vous double. Quitte à vous coller pendant 20km sur une route déserte et étroite jusqu’au moment où il pourra ENFIN vous dépasser d’un coup, grâce à une manoeuvre dangereuse, en vous faisant comprendre avec force rugissements de moteur que vous êtes un danger public.
C’est normal, vous êtes un A. Vous êtes le/la pestiféré-e de la route.
Allez, faites bonne figure ! Dans quelques années, ce sera enfin à votre tour de martyriser les petits nouveaux sur la route. Vous pourrez allègrement serrer de trop près la voiture auto-école en côte, la klaxonner sur une route limitée à 30, vous moquer des conducteurs accompagnées quand vous voyez que ça gesticule à l’intérieur, et faire des queues de poisson à des A pour éviter de mourir à cause d’un danger public.
En attendant que vous reveniez dans le présent comme si tout cela n’avait été qu’un mauvais rêve, je vais dédier cet article à ma petite soeur future conductrice. Promis, jamais je ne te servirai d’accompagnatrice.
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Les Commentaires
Je suis tout à fait comme toi (enfin sur ce point ) !
Le code finger in the nose, en potassant un peu, nickel. Par contre la conduite... Catastrophique.
Trop distraite, trop brutale, trop hésitante, incapable de calculer les distances, jamais à la bonne vitesse... J'ai déjà loupé deux fois le permis et je ne compte plus les leçons de conduite avec la monitrice dépitée, qui me gueule à moitié dessus (et moi qui gueule en retour parce-que je sais pas me taire quand on me parle mal), le retour chez moi en larmes, persuadée de jamais y arriver...
A force, mon code s'est périmé (yallah!). Je l'ai repassé. Et l'ai eu, une nouvelle fois finger in the nose.
Là, je ré-attaque la conduite avant un nouveau passage à l'examen du permis... J'espère bien que ça sera la bonne !