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Quand les informations vont à l’encontre de nos croyances

Croyances en la fin du monde : comment réagissent les croyants après leur non-lieu ? Retour sur les expériences de Léon Festinger, créateur du concept de la dissonance cognitive.

Cette semaine, mes chères férues de psychologie sociale (ou psychosociologie) (paraît même que certains disent sociopsychologie), nous allons revenir sur un classique.

Dans les années 50, Léon Festinger, psychologue américain (qui est à la psychologie sociale ce qu’est, je ne sais pas, Benjamin Castaldi à la télé-réalité), crée le concept de la « la dissonance cognitive » et étudie les mécanismes qui nous permettent de gérer les informations qui vont à l’encontre de nos croyances. Une fois n’est pas coutume, je vous donne la moralité de l’histoire avant l’histoire : si l’on résume, selon lui, nous chercherions absolument à réduire cette dissonance cognitive. Seulement, plus un élément cognitif (c’est-à-dire une idée, une croyance, une notion…) a coûté d’efforts pour être acquis, moins il est abandonné facilement.

Figurez-vous-même, mais je suis sûre que vous en avez déjà fait l’expérience, que l’on lorsqu’on vous présente une information qui contredit vos croyances (le Nutella est bourré d’huile de palme – et huile de palme = 666), nous avons une tendance spontanée à vouloir la discréditer (la vidéo est truquée ! C’est rien que pour faire du buzz ! C’est l’œuvre de terroristes écologiques qui tentent de faire tomber l’industrie du Nutella ! Putain, on va quand même pas bouffer du Noikao…) ! Bref, vous voyez : on tente de préserver la consonance cognitive… Mais que se passe-t-il lorsque notre foi est contredite par des faits évidents ? Si l’on prend l’exemple de croyances en la fin du monde, comment les adeptes réagissent-ils lorsqu’ils survivent à la date fatidique ?

En 1954, Festinger entend parler d’une bande d’allumés persuadés que la fin du monde est proche. L’occasion d’étudier le concept en situation réelle est trop belle : ni une, ni deux (ni douze), le chercheur embarque une troupe de six collaborateurs (« et al. » pour les intimes) et met en place une observation participante. Les chercheurs vont alors infiltrer le groupe d’adeptes et observer les évènements avant, pendant et après la « fin du monde ». L’expérience date, mais ses conclusions restent édifiantes (et probablement applicables à certaines situations actuelles)… Le tout est relaté dans un livre incroyable : Quand la prophétie échoue : l’étude psychologique et sociale d’un groupe qui prédisait la fin du monde.

Messages du troisième type : la prophétesse, ses adeptes et les extraterrestres

Marian Keech, la chef de file – que dis-je, la « prophétesse », braille que la fin du monde aura lieu le 21 décembre (ben tiens) 1954 à minuit, et que le monde sera englouti dans un déluge.

Elle le sait de source sûre : elle a été prévenue par des extra-terrestres qui voyagent dans des soucoupes volantes (tout droit venu de la planète Clarion). En bonne samaritaine, elle retranscrit leurs messages sur le mode de l’écriture automatique, mélangeant allègrement principes chrétiens et science-fiction.

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Son groupe d’adeptes, les « Seekers », compte une trentaine d’individus de la classe moyenne-supérieure, qui ne se cachent pas mais évitent la publicité. Seuls ceux qui parviennent à persuader qu’ils sont de « vrais » croyants ont accès à la maison de Marian Keech. Ils ne tentent pas non plus de convaincre d’autres personnes : pour eux, ils ont été « choisis » pour être sauvés – et les autres petits veinards « choisis » viendront spontanément les retrouver. Ils se réunissent régulièrement, se soumettent à un ensemble de règles de conduites (par exemple manger végétarien) et préparent la fin du monde POUR DE VRAI : mettant leurs affaires en ordre, quittant leurs jobs, dépensant leurs économies.

Peu à peu, le système de croyance se structure et se met à détailler les raisons de la fin du monde, son arrivée et la manière dont les adeptes seront sauvés. La date fatidique approchant, la petite bande commence à voir des signes partout – même un coup de sonnette d’un livreur de paquets devient le fait d’un messager cosmique.

A cause de son engagement dans cette religion, un médecin sera licencié, ce qui entraînera une certaine médiatisation du groupe et l’arrivée de nouveaux adeptes…

Chronologie des évènements

Quelques jours avant la soi-disant fin du monde, Marian Keech affirme à ses disciples que les extra-terrestres et leurs soucoupes volantes viendront les chercher avant le déluge – précisément à 16h.

Au moment X du rencard, les adeptes attendent. SURPRISE, un nouveau message arrive : les extra-terrestres viendront finalement à minuit (comme s’il existait des bouchons dans le cosmos, t’sais). Tout ce joli monde attend patiemment (rappelons-le, dehors en plein mois de décembre)(mais HEY, c’est quoi en comparaison de ce qu’ils vivraient pendant la fin du monde ?).

A trois heures du matin, ces salauds d’extra-terrestres ne se sont toujours pas pointés, les adeptes stoppent leur attente mais gardent la foi… En fait, tout ça n’est qu’une mise à l’épreuve, un test de leur engagement, peut-être même un essai préparatoire pour leur vrai sauvetage.

La veille de la fin du monde, ils reçoivent un nouveau message, qui leur indique qu’un extra-terrestre va débarquer et les mener vers un vaisseau spatial à minuit.

20 décembre 1954, certains adeptes se réunissent chez Marian Keech, d’autres ont reçu l’ordre de rester chez eux pour être sauvés individuellement, en V.I.P ; tous se sont conformés aux instructions (mot de passe, interdiction d’avoir une pièce d’identité, interdiction d’avoir quelque chose de métallique dans ses vêtements – adieu fermetures éclairs et bretelles de sous-tifs).

21 décembre – 00h05 : pas l’ombre d’un alien. Toujours optimiste, le groupe constate qu’une autre horloge indique 23h55 et décide qu’il n’est donc pas encore vraiment minuit.

21 décembre – 00h10 : la seconde horloge est enfin parvenue à minuit, mais toujours aucune trace d’un E.T. Le silence règne, les membres sont en plein désarroi…

21 décembre – 04h00 : les adeptes restent prostrés en silence, Marian Keech pleure (que celles qui ont le réflexe d’ajouter « tu pisseras moins » lèvent la main – bonjour traumatisme, merci Maman-Papa).

21 décembre – 04h45 : TIENS DONC, Marian Keech reçoit un message par « écriture automatique » : face à la foi exemplaire et à la lumière répandue par ses adeptes, Dieu a décidé de renoncer à la destruction de l’humanité (trop sympa, le mec) et souhaite que les disciples répandent cette sacré bonne nouvelle. Tout le monde est carrément content – même les membres ayant présenté quelques doutes se rétractent. Tous les adeptes présents autour de Marian Keech cette nuit-là voient leur foi, leur croyance se renforcer…

A l’exception des adeptes étant restés chez eux, qui ne croient plus et tenteront dans les semaines suivantes de minimiser leur ancienne croyance. Le support social de la croyance ayant été absent au moment crucial, la « foi » n’a pas pu être maintenue.

21 décembre – après-midi : euphoriques et convaincus de détenir la Vérité, le groupe cherche à joindre des journaux pour donner des entretiens et débute une grande campagne afin de diffuser leur message (HEY, notre foi vous a tous sauvés d’une atroce fin du monde !)…

Les analyses de Festinger

Pour l’équipe de Festinger, l’intérêt réside précisément dans ce qu’il se passe à ce moment-là, dès le 22 décembre, lorsque la dissonance cognitive deviendrait intolérable. Selon sa théorie, lorsqu’une croyance a beaucoup coûté pour être acquise ou lorsque son maintien est également très coûteux, plutôt que de l’abandonner nous préfèrerions changer l’élément qui la contredit… Ce qui explique que les adeptes ayant le plus investi (en termes de temps, d’énergie et de foi) dans la croyance aux prédictions de Marian Keech y croient encore plus fort après la non-fin du monde et redoublent même d’énergie pour les diffuser (voyez-vous, Keech et sa team continuent par la suite leurs prédictions de fin du monde – simplement, ils n’identifient plus de date précise). Et qu’à l’inverse, les individus les moins investis réduisent la dissonance dans l’autre sens et n’y croient plus.

Fin de l’histoire ? Comme nous l’avons dit, les moins impliqués ont lâché le groupe de Marian Keech et sont retournés à leurs vies. Keech, de son vrai nom Dorothy Martins, a continué son délire de fin du monde avec les adeptes restants. La secte finit par disparaître – ayant recruté des adolescents, Marian Keech fut menacée d’arrestation et d’enfermement psychiatrique… Mais ce fut pour mieux refonder plus tard une autre association dédiée à ses croyances, continuant ainsi son rôle de prophète sous le nom de « Sœur Thedra » et participant à des groupes de contact avec les extra-terrestres (jusqu’à son décès en 1992).

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez feuilleter le livreUn article de Jacques Van Rillaer sur le sujetUn point sur la théorie de la dissonance cognitive


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Les Commentaires

12
Avatar de poupettasse
26 novembre 2011 à 18h11
poupettasse
"(« et al. » pour les intimes)"
mouahahahahahah. A l'approche des exams, je me rends compte que tous les noms de collaborateurs que les profs nous ont donné se sont transformé dans mes notes en "& al."
Voilà.
0
Voir les 12 commentaires

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