Le 7 janvier 2015, jour des attentats de Charlie Hebdo, j’étais chez moi. Je me souviens vaguement avoir entendu de très nombreuses sirènes de police dans ma rue. À une cinquantaine de mètres de chez moi, les frères Kouachi avaient abandonné leur première voiture pour braquer celle d’un anonyme.
Mon compagnon de l’époque m’avait alors fait promettre de ne jamais parler de ce détail à ses parents qui vivaient loin. Nous nous savions en sécurité. Nous savions aussi que sa famille serait morte de peur et se ferait mille scénarios si elle découvrait cette information.
Elle m’a avoué être en boucle devant BFM TV : ça l’hypnotisait.
Le soir même, j’avais prévu d’inviter une amie. Elle m’a dit qu’elle avait trop peur : les terroristes étaient encore en cavale. Je lui ai proposé de lui payer le taxi, de se poser au calme chez moi. Elle m’a avoué être en boucle devant BFM TV. Je lui ai dit d’éteindre, de respirer, que la vie continuait. Elle m’a répondu que ça l’hypnotisait.
J’ai compris.
J’ai longtemps eu très peur de ce déferlement d’informations en général. J’ai eu peur de tout : d’être violée, tuée, d’être victime d’une catastrophe, bref, d’être là au mauvais endroit au mauvais moment.
Et puis un jour, j’ai décidé de réfléchir à la provenance de ces peurs…
Mon travail dans l’information en continu… et ses conséquences
J’ai toujours été assez craintive de la vie. C’est devenu pire quand, à 19 ans, j’ai commencé à travailler dans une chaîne d’informations en continu. L’une de mes tâches était de vérifier que l’antenne se portait bien. J’ai donc dû garder un oeil sur la télé huit heures par jour, trois jours par semaines au moins, pendant un an et demi.
En moyenne, un reportage était diffusé entre trois et cinq fois.
En moyenne, un reportage était diffusé entre trois et cinq fois. Une seule grosse information pouvait être déclinée en plusieurs reportages, parfois sur tout un journal. Seule respiration entre ces tartines de mauvaises nouvelles : la publicité. C’était du matraquage.
Au début, quand je finissais mes journées, je balançais à la première personne que je croisais tout ce qu’il y avait dans l’information du jour. J’avais ce besoin de « vomir » tout ça. Faits divers, catastrophes, politique, tout résonnait et se mélangeait dans ma tête. J’avais peur de tout.
Et puis petit à petit, ce surplus d’information a créé un effet plus glauque encore. Je suis devenue des plus en plus curieuses des histoires les plus horribles
. Elles me confortaient dans l’idée de mon droit à avoir peur de tout. Petit à petit, je devenais accro aux détails. Les faits ne me suffisaient plus, je voulais TOUT savoir, TOUT voir, jusqu’aux choses les plus malsaines…
Capter l’attention à tout prix : le problème de l’information en continu
Le principal problème auquel sont confrontées les chaînes d’informations en continu est qu’il n’y a pas 24h d’informations intéressantes par jour. D’ailleurs, les gens ne vont de toute manière pas passer tout ce temps devant l’écran.
Même s’il n’y a pas matière à produire du contenu d’actualité, une chaîne ne peut pas s’arrêter de diffuser.
Cependant, même s’il n’y a pas matière à produire du contenu d’actualité, une chaîne ne peut pas s’arrêter de diffuser. Le direct doit continuer. Plus, le contenu doit rester intéressant. Il doit aussi se différencier de la concurrence qui joue avec les mêmes armes.
Alors de nombreux médias usent d’astuces pour remplir leur temps autrement et capter l’attention des téléspectateurs le plus longtemps possible avec le minimum d’information. Par exemple, on a tou•tes déjà été témoin d’un•e présentateur/présentatrice promettant des informations qui vont tomber « tout de suite ». Ou bien d’un appel en duplex avec un•e journaliste placé•e devant une porte… et n’annonçant, en fait, rien de nouveau.
Tout cela sans parler des informations qui ne seraient habituellement pas traitées ou du moins pas de cette manière. Par exemple, les faits divers qui ont un fort potentiel anxiogène (pour le côté « ça aurait pu nous arriver ») sont monnaie courante.
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Traiter l’information en créant la peur
Mais la vraie force du format information en continu est qu’il est terriblement efficace pour rendre anxieu•x•se et, en conséquence, plus curieu•x•se d’en savoir plus (et de rester sur le média, donc).
Ça se voit dès la présentation : la plupart de ces chaînes utilisent des musiques dramatiques ou des jingles imposants. Il y a le journal diffusé à l’antenne mais aussi un bandeau, diffusant d’autres informations. Le tout crée un sentiment d’urgence, l’impression qu’il y a toujours à en savoir plus…
Quand je bossais pour cette chaîne, plusieurs de mes ami•es m’ont raconté l’avoir un jour regardé des heures d’affilée avant de se rendre compte qu’ils/elles visionnaient les mêmes reportages en boucle. Ils étaient comme hypnotisé•es.
Finalement, le problème n’est pas tant de vouloir se tenir informé•e de ce qui se passe dans le monde. C’est plutôt de choisir comment on s’informe.
Comment suivre les informations sans sombrer dans la peur ?
Pour toutes ces raisons, si vous préférez suivre l’actualité à la télé, le mieux à mes yeux reste de regarder, sur une chaîne sérieuse, un journal d’une vingtaine de minutes qui condense tout ce qui s’est passé durant les 24 dernières heures. Par exemple, celui d’ARTE est très bien.
Renseignez-vous sur l’historique du magazine : quelle est sa portée politique, à qui appartient-il ?
Vous pouvez aussi choisir la presse écrite ou le Web. Dans les deux cas, il est important de bien choisir la plateforme. Pour éviter l’information de mauvaise qualité, vérifiez les sources sur lesquelles le journal se base. Renseignez-vous aussi sur l’historique du magazine : quelle est sa portée politique, à qui appartient-il ?
En cas de catastrophe — comme un attentat — je sais qu’on veut en savoir le plus possible tout de suite. Alors même si le premier réflexe est de suivre l’information en direct, minute par minute, le moins anxiogène reste encore de couper quelques heures et de découvrir ce qu’il s’est passé une fois que tout est plus clair.
Dans l’écrasante majorité des cas, savoir ce qu’il se passe immédiatement ne change malheureusement pas la donne. Pouvoir prendre du recul sur un événement peut au moins permettre de se préserver un peu.
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Les Commentaires
@sinae Je fais exactement pareil que toi, je n'ai plus la télé non plus, (quand je veux regarder une émission je met le direct sur internet et c'est tout) parce que j'avais des crises d'angoisses à force d'entendre tout ce qui allait pas dans le monde sans que je puisse rien y faire, et depuis j'arrive à envisager les choses avec plus de sérénité, et même à agir pour l'écologie et d'autres causes.
Ben oui, quand on est pas noyé(e)s sous des informations glauques et angoissantes, on arrive à réfléchir et à mettre des choses en place