Le livre du Mal
Nous ne pouvons plus faire confiance à personne.
Une nouvelle engeance appelée » influenceurs » fait exploser les codes warholiens : ces successeurs des demi-mondaines du XIXè siècle s’agrippent avec la force des moules sur les rochers à leurs 15 minutes de célébrité. Avec au compteur 2018 amis sur Facebook (mais 1/100e d’entre eux seulement qui leur souhaite un joyeux anniversaire), un LinkedIn mis à jour toutes les semaines et des métatags savamment choisis pour rendre les moteurs de recherche fous (iPad, chatte, france, média, publicité, cucul, blog, communication, sexy, tragédie le groupe), l’influenceur n’est pas forcément un blogueur influent : il s’agit avant tout d’une personne qui a réussi à se faire un pseudo-nom sur Internet.
Et parce qu’il fait la joie des équipes marketing qui frétillent du slip dès qu’elles entendent le mot buzz, l’influenceur peut se voir attribuer un certain nombre de cadeaux. Le dernier en date ? Virgin America offre des billets d’avion A/R entre Toronto et Los Angeles / San Francisco aux twitters influents. Pourquoi Steven Seagall devrait intervenir pour remettre un peu d’ordre dans ce merdier ?
(1) Là où Twitter restait encore vierge de toute publicité, les marques commencent à arriver avec leurs gros sabots boueux. Pour exemple, ce tweet d’Heidi Montag avec la mention (ad) obligatoire. Elle est loin d’être la seule puisque Lindsay Lohan et bien d’autres ont déjà cédé aux tweets sponsorisés. D’ici à ce qu’on se retrouve avec timeline pourrie par des réclames de fromage râpé, il n’y a qu’un pas.
(2) Une agence spécialisée dans le recensement d’influenceurs, Klout, a collaboré avec Virgin America pour déterminer qui avait le plus d’ascendant sur les petits lecteurs. Wow, serious business. Mais bien que mesurée à partir du nombre de retweets, du degré d’interaction avec les autres internautes et de la quantité de followers, l’influence reste une science inexacte, un concept plus abstrait qu’autre chose (lire en ce sens ce papier drôle et consternant sur BBB) . De l’astrologie pour marketeux, en quelque sorte. Car qu’est-ce qui fait le plus parler de l’ouverture de la ligne Toronto-L.A/S.F au final ? Les influenceurs ou le fait qu’on offre des vols gratuits aux influenceurs ?
(3) Offrir des A/R gratuits à des anonymes cet été, cela revient à donner du caviar à un vieux clebs. Car ne nous voilons pas la face : si vous parlez à quelqu’un de votre entourage d’une personne sur Twitter qui a 9000 followers, quelles sont les chances pour qu’il la connaisse ? Les influenceurs n’ont que leur nom pour eux. Ils restent des anonymes, connus par une seule poignée de zigotos, et qui finissent par se masturber intellectuellement sur leur popularité imaginaire (et comment les blâmer pour ça ?). D’autant plus que comme le souligne Klout : « le but n’est pas d’acheter les tweets des influenceurs, ils sont libres d’en parler en bien ou en mal, ou de pas en parler du tout ». Belle intégrité, mais qui n’est pas sans engendrer des effets pervers (développer son réseau est une chose, se transformer en pique-assiette en est une autre).
Voilà pourquoi j’en arrive à me nourrir exclusivement de Nutella : pour oublier.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
Les Commentaires
Et puis on dirait qu'ils aiment tout, finalement. Jamais nous ne verrons de retour négatif de leur part. Eh non voyons, ça serait con de perdre une année sponsorisée en dentifrice et pâté de foie de volaille.