Imaginons ensemble une situation plutôt commune.
Nous sommes en décembre. Vous rentrez chez vos parents pour les fêtes, pleine de joie à l’idée de revoir votre bercail, vos potes du lycée, et de passer quelques jours dans la chaleur du nid familial.
Quand vous atteignez enfin ce chez-vous qui n’en est plus un, vous vous laissez aller aux embrassades (ou aux checks de coude si notre récit se situe en période pandémique), à l’excitation d’avoir plein de choses à se raconter et aux dîners fastueux comparés à ceux que vous préparez dans votre cuisine sans four de 3 m².
Et soudain, après 3 heures ou 3 jours, un constat : vous ne pouvez plus blairer vos parents.
Rentrer chez ses parents et retomber en enfance
Ce n’est pas que vous ne les aimez plus ou que vous n’avez pas envie de les voir, mais vous avez la désagréable sensation d’être retombée en enfance. Pas dans ses côtés fun, mais plutôt au fond d’un gouffre d’infantilisation qui vous rappelle les heures les plus frustrantes de votre adolescence.
Vous regrettez la liberté de laisser traîner son verre d’eau sur la table plus de 30 secondes après l’avoir terminé, le bonheur du silence non interrompu par des commentaires sur votre poids… Bref, bien que vous soyez une femme indépendante, majeure et vaccinée, vous êtes malgré vous retombée dans une dynamique parents-enfants : celle où vos parents se replacent dans une position d’autorité sur vous. Et où vous recommencez peut-être à faire des caprices dont vous ne vous pensiez plus capable.
Si cette situation vous évoque quelque chose, c’est normal : c’est un phénomène extrêmement courant. La période de Noël est d’ailleurs une des plus propices aux « régressions » entre parents et enfants.
La relation parents-enfant, ça s’apprend
Selon Marie Lafond, psychologue clinicienne, la relation entre parents et enfants entrés dans l’âge adulte est un apprentissage : il n’est pas intuitif pour les parents de voir grandir leur progéniture, et ils ont donc tendance à les traiter très différemment des autres adultes.
La première étape, pour sortir d’une dynamique qui dérange, sera donc d‘extérioriser son besoin de changement. L’experte explique à Madmoizelle :
« Quand on dépasse un certain âge ou qu’on vit seule, le monde entier nous perçoit comme une adulte sans que nous ayons besoin de le verbaliser. Voir ses parents nous infantiliser peut alors créer un sentiment de frustration ou d’incompréhension.
Mais si on ne leur dit rien, ils peuvent être enclins à ne pas changer leur comportement, à “faire comme ils ont toujours fait”. Il est important de leur rappeler que les choses ont changé. »
La psychologue met aussi l’accent sur la lenteur d’un tel processus : comme dans toute relation entre individus, il faut du temps pour trouver un fonctionnement qui permette à chacun de s’exprimer librement et de se sentir à l’aise !
Exprimer ses limites, dans la mesure du possible
Évidemment, il n’est pas facile d’aborder le sujet de but en blanc. Pire, s’écrier « Mais je suis UNE ADULTE, MAMAN » après une remarque acerbe sur sa coupe de cheveux peut même relancer un engrenage de colère qui empêchera la communication.
Marie Lafond recommande donc d’exprimer ses limites quand une conversation vous blesse ou vous semble inappropriée.
« C’est utile d’expliquer les choses. Si nos parents se permettent une remarque sur notre tenue, par exemple, on peut leur dire clairement qu’ils n’ont plus leur mot à dire et que c’est blessant. Pour l’enfant, cela permet de ne pas s’écraser et ruminer dans son coin, tout en aidant les parents à s’adapter. »
S’il suffisait d’une phrase, les choses seraient très simples. Mais même posées clairement, il arrive que ces demandes ne soient pas respectées. Dans ces cas-là, avoir des points non négociables est une stratégie de survie qui peut fonctionner.
« Quand le système familial est un peu plus brutal, ou que les parents ne sont pas prêts à considérer leur enfant comme un adulte avec ses particularités, il peut être utile d’avoir des points de refus non négociables.
Les critiques sur l’aspect physique, par exemple, peuvent être très violentes. Quand on essaie de s’accepter, et que sa famille se permet de juger son poids, il est possible de dire : “Je ne veux plus qu’on me fasse des remarques sur mon physique”, sans aucune obligation d’expliquer pourquoi.
Même en famille, on a le droit de dire clairement ce que certains refusent d’entendre. »
Anticiper les sujets sensibles
Dans certains cas, il est très simple d’identifier les comportements qui nous gênent. Dans d’autres, les retrouvailles en famille, particulièrement à Noël, peuvent être un moment tellement intense qu’il est difficile de savoir comment réagir à ce qui nous dérange ou nous rend triste.
Et quand un commentaire peu amène nous tombe dessus l’air de rien, entre le plat et le dessert, on peut se sentir très désarmée… Pour s’y préparer autant que possible, Marie Lafond recommande l’anticipation.
« On connaît bien nos parents, et on se souvient souvent des sujets qui posent problème : les choses qui nous ont déstabilisées, blessées par le passé. En anticipant, on peut choisir ses combats et se demander à l’avance ce qu’on a envie de laisser passer ou non. »
Prendre note de ses impressions et ses blocages
Entre les visites à toute la famille, la pression que tout le monde se met pour passer un bon moment et l’alcool la digestion, il arrive aussi qu’on ne réalise que plus tard, une fois l’excitation retombée, qu’on porte en nous un sentiment de malaise difficile à expliquer. Marie Lafond vous offre un conseil pratique :
« Si on a du mal à prendre du recul, et qu’on peine à faire le tri entre ce qui va et ce qui ne va pas, tenir un petit journal peut être utile : on peut faire le point sur ce qui nous a plu et ne nous a pas plu dans la journée, et savoir où l’on souhaite placer nos limites. »
Communiquer ses émotions est un conseil plus facile à donner qu’à mettre en place. De nombreux facteurs peuvent créer des blocages et empêcher la verbalisation de ces ressentis négatifs, sans qu’on puisse les identifier.
« Parfois, de gros blocages nous empêchent de nous exprimer auprès de nos parents. Dans ce cas-là, il est intéressant de prendre le temps de réfléchir à ce que qu’on redoute, et le noter.
On peut avoir peur de leur réaction, de les vexer, ou de ne pas être écoutée… En prendre conscience est un grand pas pour améliorer la situation, et quelques séances de thérapie peuvent être utile pour comprendre le nœud du problème ! »
S’éviter la régression
Les parents ne sont toutefois pas les seuls responsables de cette dynamique : il arrive aussi qu’en tant qu’enfant, le retour au berceau familial et à des lieux chargés de souvenirs nous fasse redevenir l’adolescente capricieuse ou colérique qu’on a pu être.
Ce phénomène de régression, explique l’experte, peut être un moyen pour d’exprimer ses besoins à ses parents sans les verbaliser.
« Quand on régresse, c’est que cela nous apporte quelque chose.
Parfois, cela veut dire qu’on a pas encore trouvé les moyens matures de demander de l’affection ou de l’attention à notre famille, par exemple. Quand on a du mal à se positionner en tant qu’adulte dans le système familial, on a du mal à admettre verbalement qu’on a encore besoin de nos parents. Pourtant, quel que soit notre âge, on peut avoir besoin d’eux !
Quand on est consciente de ce problème, il peut être intéressant de s’interroger à l’avance, et de se demander : qu’est-ce que me permet ce comportement ? Comment obtenir la même chose sans m’infantiliser ? »
Se protéger avant tout
On l’a compris, on ne rentrera pas cette année en se disant : « Cette fois-ci, tout va changer ». Ajuster ses relations familiales est un processus long et extrêmement complexe.
Communiquer ses besoins peut parfois appuyer sur des choses difficiles dans l’histoire familiale : si les parents n’en ont jamais parlé, c’est peut-être que les choses ne sont pas réglées pour eux non plus. On peut alors se heurter à des incompréhensions ou des refus.
Face à des parents ou à des membres de sa famille qui refusent d’accepter nos limites et de s’adapter à notre personnalité singulière d’adulte, il est capital de se protéger.
On peut avoir tendance à vouloir faire plaisir à ses parents, rendant ainsi difficile d’assumer ses propres besoins sans culpabilité. Mais il n’y a rien de grave à dire : « Cette année, je ne vais pas rester aussi longtemps que prévu chez mes parents ». Et même si on a souvent peur d’apporter de la négativité à Noël, il est possible de dire stop quand on se sent vulnérable !
Marie Lafond l’a affirmé à plusieurs reprises pendant notre conversation : chaque famille est un écosystème complexe où se jouent des choses qui datent parfois de bien avant notre naissance. Il n’y a donc pas de solution qui fonctionne pour tout le monde, seulement des pistes à explorer, et un surtout travail d’écoute de soi.
C’est peut-être ça aussi, se positionner en adulte : accepter que si on ne possède pas le pouvoir de changer une situation, il est possible de s’écouter et de s’en extraire avant qu’elle ne nous blesse.
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Les Commentaires
Je m'explique : j'ai accepté que je ne pouvais pas tout partager avec eux, que je devais éviter les sujets qui les dérangent ou qui peuvent fâcher, que je me dois de prendre sur moi souvent quand ils ont un point de vue sur ma vie désagréable et surtout, que je ne peux pas leur faire confiance.
Ça été dur et ça m'a obligé à faire le deuil d'une relation idéale avec eux mais ça nous a tous soulagés: on en attend beaucoup moins les uns des autres, ce qui décrispe les interactions.
Ah et bonus: depuis qu'on vit a plusieurs milliers de kilomètres eux et moi, ça se passe aussi beaucoup mieux entre nous....