Il est temps de rétablir la vérité. Toute la vérité, rien que la vérité, toute nue comme un petit lombric.
Indiana Jones existe en vrai.
Non, ce n’est pas la drogue qui me fait écrire ces mots : je viens du monde des historiens, et je souhaite apporter mon témoignage, rétablir notre réputation et guider celles et ceux qui voudraient entreprendre cette périlleuse aventure pour nous rejoindre !
Eh oui : Indy, avec son petit sourire en coin, ses lunettes de hispter avant l’heure, sa raie sur le côté délicatement ébouriffée par l’action et l’amour, son chapeau, son fouet, ses petites traductions en pleine course-poursuite… existerait bien.
Apogée du rite de séduction façon historien-archéologue : la découverte de momies.
On voulait le garder pour nous (les historien•nes et archéologues), mais on en a marre d’être le bas de la chaîne alimentaire des nerds, les plus pas-cool des pas-cool. Alors voilà : nous, on a des Indiana. Bien cachés, certes, mais on en a.
Parce que si on y réfléchit bien, depuis les progrès de la science, l’avènement de l’Internet et tout le bazar, puis plus récemment le pullulement des hipsters, le « nerd » (intello) au sens propre n’est plus vraiment ce qu’il était. L’ordre du monde s’est inversé, mais nous, les historien•ne•s, sommes tombé•e•s dans les obscures abysses de l’oubli du genre mines de la Moria. Nous sommes les incompris•es, les parias : vous ne pigez pas nos blagues et nous, nous voyons la vie à travers anecdotes impossibles à placer en société.
Le geek a des compétences qui rapportent des sous, et il est devenu cool, à coups de rétro-gaming, de mèmes et de lolcats. Le matheux/physicien a même sa propre sitcom, The Big Bang Theory, qui prouve qu’on peut pécho avec un faux col roulé et une coupe au bol, et faire rire avec des références à Star Trek.
Mais nous, alors ? Les fantômes des facs de lettres et de sciences humaines, les historien•ne•s ? On a pas vraiment d’esprit de corps, ni de cris de guerre qui nous permettent de nous la péter. Il y a divers courants, des dissidents. Les médiévistes ne frayent pas avec les contemporanéistes, les historiens de l’art traînent dans les cafés ou à Beaubourg, mais pas avec nous, et les archéologues jouissent d’une aura de coolitude largement due aux films et séries, et au fait que personne ne sache ce qu’ils font en réalité.
Alors la grande question, qui te fait trembler les lèvres, là maintenant, c’est… où qu’il est, Indy, non d’une petite vérole?
Voici un petit descriptif point par point, qui vise à t’aider à te retrouver dans la jungle des études d’Histoire avec un grand H, et surtout à dénicher INDIANA JONES.
Le pantalon en velours tu chériras
L’ Historien de base a de grande chances de porter des pantalons en velours, c’est un fait indéniable. Ou une polaire en viscose, de préférence bien rouge avec des poches super pratiques partout. C’est un cauchemar stylistique, certes. Mais c’est aussi une nécessité quand on y pense : pour le pantalon en velours, c’est mémé qui l’a acheté. Alors bon, on le met. Et puis la polaire ça tient chaud dans les salles toutes pourries du dernier étage, sans l’hiver, là où nous autres les historien•ne•s sommes refoulé•e•s comme si on avait chopé la peste bubonique.
Et c’est moche, la peste bubonique, vraiment moche (ne va pas sur Google Images pour regarder ce que ça donne, fais-moi confiance : j’ai souffert à ta place).
Au cas où tu aurais quand même cherché sur Google, voici une jolie photo pour te consoler.
Certains dérogent à la règle, comme celui qui ne porte que des chaussures bateau en semelle de crêpe qui font « crouic crouic » quand il marche, ainsi que des pulls tricotés main par sa mamie (obsession de l’historien pour ce qui est vieux), lesquels pendouillent en général d’un côté plus que de l’autre. Pas vraiment du Indiana Jones, mais ça permet de faire un premier test éliminatoire, un peu comme au Cluedo ou au Qui est-ce ?.
Cependant, notons que l’historien•ne n’a pas d’uniforme (informel) comme une promo de STAPS en jogging ou le style fifou d’un artiste. Il/elle aime bien les goodies évoquant une période qu’il/elle affectionne, option accessoire discret ou total look cotte de mailles. Mais en général, la bête se contente d’une tenue passe-partout et discrète dans des couleurs sobres (avant que mes anciens camardes ne commentent furieusement cet article en rappelant mes expérimentations vestimentaires qui leur ont brûlé la rétine, je précise que je fais une généralité : loin de moi l’idée d’englober TOU•TE•S les historien•ne•s ici).
Bernard s’excite toujours un peu trop pour les soirées à thème.
Si tu peines à trouver Indiana Jones question fringues, ne panique pas et cherche encore. Pense au POTENTIEL qui se cache derrière cette horde de scientifiques drôlement attifés, repère celui ou celle qui semble sortir du lot et sera facile à relooker en Indy avec une besace et un chapeau.
La présentation Power Point, ou le charisme contemporain
AAAAH, la présentation orale. Moment béni où l’historien•ne peut s’exercer à passionner les foules, tester son charisme d’intellectuel désinvolte, certain de la sexyness de ses neurones mais juste assez modeste pour faire fondre ton petit coeur.
L’historien•ne en herbe comprend au fil des années qu’un bon Power Point permet de captiver l’attention de son public quand il/elle n’est pas armé•e d’un boule d’enfer ou d’un costume assorti au sujet (oui oui, y en a qui font ça : je ne me moque pas, j’en étais… et ça me manque).
Mais certain•e•s vont trop loin. Si tu as déjà trop souffert avec le pantalon en velours, ferme les yeux parce que ça pique.
Le style selon le hipster l’historien : lunettes cerclés ou en écaille, nœud pap’ et tweed.
Certain•e•s deviennent expert•e•s dans l’art de changer d’arrière-plan à chaque diapo, alternant entre un coucher de soleil dans le désert du genre On a marché sur la Lune ou plaine verdoyante parcourue par les vents — parfait quand la présentation concerne « la cathédrale gothique de [choisis un coin paumé en Europe pour compléter] » ou « la numismatique au proche orient hellénistique ». Tout à fait le genre de truc qui se prête à des titres en rose et aux photos trouvées sur Internet qui arrivent et repartent dans un tourbillon d’étoiles au bon goût de 1997.
Celui/celle qui en fait des tonnes n’est pas un•e Indiana Jones en puissance (ni en herbe), parce qu’Indy n’a même pas besoin de Power Point.
Il fait le boulot avec une craie et un sourire, LUI.
Enseignement et aventures
Indy est avant tout un éminent professeur, donc concentre-toi.
Environ la moitié des profs en études d’Histoire auront une calvitie précoce, alors fais-toi à l’idée d’un Indiana Jones sans mèche dans le vent. Pas de chauve-shaming, seulement un constat : chauffer du cerveau fait perdre sa fibre capillaire. Du coup, tu croiseras pas mal de profs avec… des CHAPEAUX ! COMME INDY.
Sur le terrain, et avec un chapeau : le b.a.-ba de l’aventurier•e passionné•e d’Histoire.
Indy va fouiller des sites archéologiques lui-même, alors que l’historien•ne de base rôde plus souvent dans des archives départementales et autres bibliothèques qui sentent le moisi que dans des tombeaux maudits. Du coup, tu dois chercher l’Indiana Jones dans ceux et celles qui parlent des langues mortes, parce qu’il y a des chances qu’ils/elles aient voyagé. Sinon, va dans les départements d’archéo chercher les gens qui dirigent les fouilles, mais ils sont moins nombreux alors la concurrence sera rude, maintenant que la France entière (au moins) a pris connaissance de mes conseils avisés !
Amitiés et grands vilains pas beaux
Rencontrer Indy, c’est plus qu’une affaire de physique : l’aventurier•e se cache parfois dans les tréfonds de la personnalité des historien•ne•s que tu rencontreras. Professeurs comme étudiant•e•s, il te faudra faire leur connaissance et les apprivoiser (comme le renard dans Le Petit Prince) afin de découvrir s’ils/elles ont la trempe d’un chasseur de méchants/super agent/séducteur-né/sauveur de l’humanité.
Ouf, il était moins une !
L’historien•ne sera sensible à la flatterie qui le/la place en
référent•e intellectuel•le et en voyageu•r•se chevronné•e. Sache que le travail acharné, chez ces gens-là, c’est valorisé, admiré, loué, et c’est sexy. Passionné•e, assidu•e en cours et zélé•e façon Hermione Granger, c’est le combo ultime pour apprivoiser Indiana Jones… ou le devenir TOI-MÊME.
Car évidement, si je te mène pas à pas dans ce guide pour le trouver dans un cursus d’Histoire lambda, c’est aussi pour que tu déniches Indy dans ton cœur. L’aventurier•e, c’est toi ! Celui/celle qui aura besoin d’user son intellect sans bornes, son sens de l’humour spirituel et délicat, son raffinement légendaire — en plus de ses talents de kung-fu — c’est toi ! Te retrouver dans la jungle de l’Histoire et partir à la recherche d’Indiana Jones est un bon plan, mais le devenir toi-même, c’est quand même la meilleure option.
Tu devras pour ce faire te mettre à plusieurs langues anciennes et bien bien mortes, à un sport de combat assez complet comme le krav maga et investir dans un beau chapeau tout-terrain.
Petit guide de survie pendant ta quête
En cherchant ou en devenant Indiana, tu seras peut être confronté•e à la solitude. Tu auras besoin de compagnons de route et pour mieux éviter les pièges des méchants.
Allégorie de ma licence 3 .
Évite donc…
- Celui/celle qui fume trop de salade, qui croit au complot des Illuminati et à la toute-puissance des francs- maçons. En général, on le/la repère à l’odeur ou au bruit : cette personne a tendance à rire toute seul alors qu’on parle de cramer des hérétiques.
- Le/la communiste. Tu peux être communiste, c’est pas un souci, hein ! Mais en général, étant très minoritaire voire tout•e seul•e, le/la communiste de la promo aura une fâcheuse tendance à te prendre en otage, te tenir la jambe, te parler Marx quand tu manges ton sandwich et reculer à peine devant la porte des toilettes quand tu t’y rends.
- Celui/celle qui ne veut pas prêter ses notes. Car pendant que tu seras occupé•e à admirer ton Indiana Jones, à sauver le monde et/ou à traduire des tablettes en Babylonien, tu ne prendras pas forcément bien tes cours. Trop absorbé•e par ces tâches, tu ne t’apercevras peut-être pas que cette personne ne te laissera pas réaliser ton rêve ET réussir tes partiels. Elle inventera un prétexte minable du style « j’en ai besoin pour la litière de mon chat » ou « mon adresse email est bloquée et puis je sais pas envoyer des pièces jointes et de toute façon j’ai rien noté », alors qu’ elle t’a envoyé la veille une vidéo sur les sacrifices rituels des truies en Gaule. Le message est clair.
Ce mec n’est pas vraiment ton ami. Tu aurais dû te méfier.
En revanche, tu peux te fier à…
- Celui/celle qui est partant•e pour un week-end entier à la bibliothèque, de 9h à 20h, et qui a même prévu un en-cas chocolaté, fruité ou bonbonté absolument délicieux.
- Celui/celle qui te file 50 centimes quand tu n’as plus un penny à mettre dans la machine à café. Tant de compassion ne peut pas décemment cacher une personnalité vile.
- Celui/celle qui t’envoie ses notes dactylographiées ET leur version fichée abrégée, à deux jours du partiel, avec un email d’amour et d’encouragements. Cette personne, c’est le compagnon ULTIME (comme Marcus Brody ou Demi-Lune quoi).
Je te bénis, ô bon samaritain qui m’a sauvé la peau des fesses et m’abreuve du liquide vital : le café.
En suivant ce guide, en menant cette quête du saint Graal afin de rencontrer un Indiana Jones (ou celui que tu auras trouvé en toi-même), tu rencontreras ces petits êtres bizarres mais gentils que sont les historien•ne•s. Tapote-leur la tête avec affection, ils en ont besoin ! Ensuite, à toi les courses-poursuites, les statues qui bougent, les insectes géants et le petit popotin musclé de ce cher Indy (je divague) (c’était le premier émoi de la jeune moi et le crush vieux mec des ¾ de ma vie).
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Personnellement, je ne voudrais pas qu’Indiana Jones soit mon père. J’ai une meilleure idée…
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