La couverture en question montre un homme à bigoudis, torse nu, yeux fermés, tombant sa chemise. Jusqu’ici tout va bien : des hommes torses nus huilés, photoshoppés, coiffés, vous en avez plein les kiosques à journaux, surtout au rayon fitness. Mais soudain c’est le drame : le modèle est maigre et peu musclé, des traits qu’on retrouve plutôt chez les mannequins femmes, ses hanches sont plus larges que sa poitrine, et surtout une ombre donne l’illusion d’une petite courbe sous le sein droit. Deux des plus gros diffuseurs américains ont donc mis le magazine sous plastique opaque. Comme pour de la pornographie.
C’est quoi, le problème avec nos seins, déjà ? Pourquoi cette différence de traitement ?
- Les hommes aussi ont des seins
- Avec des tétons
- C’est parfois une zone érogène du corps masculin, exactement comme dans le cas du corps féminin
- Les hommes gros, obèses ou déséquilibrés hormonalement sont parfaitement susceptibles d’avoir des seins aussi gros que les miens, et personne ne les empêche de se découvrir
- A contrario, certaines femmes sont plates comme des cintres et on ne leur permet pas pour autant de se trimballer juste en jupe.
On est tellement habituées à l’idée que nos seins soient obscènes, au sens classique du terme (hors-scène), qu’on arrive à trouver naturel d’être les seules à devoir se taper des marques de bronzage (sauf pour les naturistes). On peut argumenter autant qu’on veut sur les corps de femmes et les corps des hommes, mais ça n’explique pas pourquoi la loi affirme que l’un est plus sexuel que l’autre – on n’est jamais très loin de l’idée de femmes sursexuelles, qu’il faudrait par conséquent protéger de leur propre pouvoir de séduction (merci, état-père). L’argumentaire essentiel étant que si on n’est pas d’accord, on se fera violer (mais alors pourquoi ne se fait-on pas systématiquement violer à la plage ?).
Puisqu’on part du principe (et la loi ne nous laisse pas le choix) que seuls les seins féminins sont problématiques, pourquoi cette censure américaine sur le corps d’un homme ? Clairement à cause de l’ambiguïté sexuelle qui se dégage de l’image. Les seins ne sont pas cachés parce que ce sont des seins d’homme (ça passerait comme une lettre à la poste), mais le problème ici c’est que cette photo pourrait
représenter des seins de femme. Sur un malentendu. En gros, dans le doute, on met sous plastique : c’est dire à quel point on est des psychopathes, sur ce sujet.
Autre signe qu’on n’est pas bien logiques : en fait, des seins féminins, on en voit tout le temps. C’est seulement le téton qui est obscène. Or s’il y a bien quelque chose qui ressemble à un téton de femme… c’est un téton d’homme. Qu’on fasse la différence entre les corps, c’est déjà un peu foireux, mais si on devait être rationnels il faudrait cacher uniquement ce qui est différent du corps (mâle) autorisé : le galbe. Or on fait l’inverse. On cache des tétons pourtant universels, et on exhibe des courbes qui – sous réserve des limites expliquées plus haut – sont le propre des femmes (du moins celles qui ont de la poitrine).
En 2008, 2009 et 2011, en France, l’association des TumulTueuses a tenté des actions « seins nus » dans des piscines publiques, générant de la sympathie plus ou moins condescendante, mais aussi pas mal de débats (résumé des opérations ici). On en pense ce qu’on veut. Mais c’est important de reparler de nos propres incohérences de temps en temps, surtout quand ça concerne les implications des stéréotypes liés à notre corps.
Cette histoire de censure nous rappelle que nous avons un corps-sexe et que les hommes ont un corps-neutre, que ça ne joue pas en notre faveur, et que les censeurs ne sont pas prêts à ce que la moindre image sème un peu de troubles dans nos genres.
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