C’est une décision historique dans le sport de haut niveau. La Fédération internationale de natation a dévoilé ce dimanche 19 juin sa nouvelle politique en matière d’inclusion des athlètes trans.
Parmi les mesures qui doivent prendre effet cette semaine, la création d’une catégorie ouverte pour les personnes trans, en plus des catégories hommes et femmes. « La Fina accueillera toujours chaque athlète », insiste la fédération :
« La création d’une catégorie ouverte signifiera que tout le monde a l’opportunité de concourir au niveau élite. Cela n’a jamais été fait auparavant, la Fina va donc ouvrir la voie. Je veux que tous les athlètes se sentent inclus et soient capables de développer leurs idées pendant ce processus. »
Si la Fina semble s’enorgueillir de cette nouvelle politique, il suffit de tendre l’oreille en direction des athlètes trans pour comprendre qu’elle est loin, très loin, d’être si satisfaisante.
En créant une nouvelle catégorie spécialement pour les personnes trans, la Fina vient leur interdire tout bonnement leur participation à des compétitions dans les catégories hommes et femmes.
Si l’on va un peu plus loin que cette catégorie supplémentaire, on découvre aussi que les femmes trans ne pourraient être autorisées à participer dans la catégorie femmes que si elles ont fait leur transition avant 12 ans, soit avant la puberté. La Fina met en place un critère difficilement atteignable, excluant alors quasiment toutes les femmes trans des compétitions sportives de haut niveau.
« Ce n’est pas qu’une question de sport »
Sur Twitter, la plateforme Wikitrans décrypte cette décision et dénonce ses conséquences profondes :
Le coureur professionnel américain Chris Mosier, lui-même trans, a rappelé pourquoi cette décision met en réalité en danger les personnes trans, au-delà même du sport :
« La façon dont les médias couvrent les histoires telles que la nouvelle politique de la Fina qui bannit les athlètes trans et la façon dont les organisations sportives débattent de nous dans leurs politiques influencent directement la manière dont les personnes cisgenres dans le monde voient, pensent, parlent et se comportent avec les personnes trans.
L’histoire perpétuelle des personnes trans comme n’appartenant pas à certains espaces, comme ceux du sport, installe une dynamique dans le monde réel, hors des bassins, hors des terrains, hors des pistes, où nous sommes encore des cibles de nouvelles atteintes.
Ce n’est pas qu’une question de sports ; il s’agit de la capacité des personnes trans à pouvoir être elles-mêmes et à vivre dans un monde qui nous dit de plus en plus que nous n’avons pas notre place. C’est ce qui se joue devant nous en temps réel, dans le sport, dans le milieu médical, dans les programmes scolaires et d’autres domaines où nos droits sont effacés. »
La journaliste et militante canadienne Shireen Ahmed, qui œuvre pour la lutte contre le racisme et le sexisme dans le sport a elle aussi réagi :
« Les attaques contre les femmes continuent d’être terrifiantes. Contrôler les corps des athlètes ne protègent pas les femmes dans le sport. Cela les exclut et vise celles qui sont marginalisées. »
La footballeuse américaine Megan Rapinoe n’a pas hésité à qualifier la nouvelle politique de la Fina de « cruelle », et d’« écœurante » :
« Montrez-moi la preuve que les femmes trans raflent toutes les bourses, dominent toutes les disciplines sportives, gagnent tous les titres. »
Y’a-t-il un lien entre performance et testostérone ?
Megan Rapinoe met en effet le doigt sur un argument souvent entendu pour s’opposer à la présence des femmes trans dans les compétitions sportives : le soi-disant avantage des femmes trans par rapport aux femmes cisgenres.
« Les femmes trans sont toujours renvoyées à des performances jugées masculines et qui sont représentées comme étant de meilleures performances que celles des femmes cisgenres », affirme à Usbek&Rica le sociologue Emmanuel Beaubatie, auteur du livre Transfuges de sexe.
Sont-elles réellement avantagées ? Les différences de performance entre les hommes et les femmes sont-elle dûes au seul fait de la testostérone ? En prenant un traitement hormonal dans le cadre de leur transition, les femmes trans voient de fait leur taux baisser.
Pour Anaïs Bohuon, socio-historienne spécialiste des études sur le corps, le genre et le sport, on aurait tort de faire une fixation sur les hormones, comme elle l’explique, toujours dans Usbek&Rica : « On fait comme si seule la testostérone permettait d’accroître les performances alors que les composantes sociales, culturelles, économiques, environnementales, politiques… et génétiques forment un ensemble complexe, indissociable pour expliquer la performance sportive, l’excellence, pour toutes les sportives et sportifs de haut niveau. »
Et quid des femmes cisgenres qui produisent naturellement de la testostérone ? Les femmes hyperandrogènes, comme la sportive sud-africaine Caster Semenya, à qui la Fédération internationale d’athlétisme a imposé un traitement pour faire baisser son taux hormonal sous peine d’être privée de compétitions.
Dans un long article documenté publié sur XY Media, on apprend d’ailleurs que malgré plusieurs études menées sur le sujet, la corrélation entre performance et testostérone n’est pas toujours avérée.
C’est pourtant ce qui a été entendu à tort et à travers dans les polémiques autour de la nageuse Lia Thomas, première femme trans à avoir remporté un titre universitaire aux États-Unis en mars dernier. Son cas a été particulièrement mis en avant par les réactionnaires pour entretenir l’idée d’une menace qui pèserait sur les femmes dans le sport, et ainsi organiser progressivement des restrictions. Selon le New York Times, 18 États ont voté des lois pour limiter ou interdire la participation des personnes trans aux compétitions sportives, notamment dans les établissements scolaires.
Comme le souligne Chris Mosier, la décision de la Fina sera lourde de conséquences, et pas seulement pour les personnes trans : « Toutes les femmes en pâtissent quand les organisations sportives tentent de contrôler le corps des femmes athlètes. Point. »
Après la natation, d’autres disciplines vont-elles suivre ?
La question de l’accueil et de l’inclusion des athlètes trans n’a pas fini de faire couler de l’encre. D’autant qu’après la Fina, c’est au tour de l’International Rugby League d’émettre de nouvelles directives excluantes pour les compétitions de rugby à XIII : « les joueuses passées de sexe masculin à féminin ne peuvent pas participer aux matchs internationaux de rugby féminin », a-t-elle fait savoir ce mardi 21 juin.
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Crédit photo : Jim de Ramos via Pexels
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Les Commentaires
C'est ça. C'est un gros mythe de paille le mythe de "l'homme cisgenre sui est moyen dans son sport et qui passe dans la catégorie féminine pour gagner"
Parce que pour passer dans la catégorie féminine, faut avoir les bons taux d'hormones. Ca prend du temps. Minimum un an. Pas mal d'entraînement car il y a une fonte musculaire (si un corps ne produit plus de T, fonte musculaire équivalent aux femmes cisgenres).
Et surtout faut accepter le regard des gens d'être en transition, avec le risque de harcèlement, transphobie, etc qui va avec.
C'est vraiment très mal comprendre les parcours de s'imaginer que c'est si facile.
Le seul truc c'est qu'on manque effectivement d'études sur des athlètes pour pouvoir affirmer totalement que les changements donnent des équivalences.
Les seules études sont entre des femmes cis et trans non athlètes et les résultats sont similaires en terme de muscles, forces, etc. Mais ya pas un entraînement physique particulier.
Après pour rejoindre la @lafeemandarine je pense aussi qu'un CO entraîne une forme de motivation supplémentaire. Que ce soit pour montrer ce que l'on vaut ou un soulagement de se montrer tel que l'on est. Dans le sport il y a une composante mentale. C'est pas négligeable.