Il y a quelques semaines, le Twitter féministe s’enflammait en (re)découvrant l’article « Comment bien baiser : les 3 secrets du hard SEXE ». Publié sur Seduction by Kamal, un site censé apprendre à séduire, ce texte donne des conseils tels que « Montrez-lui qu’elle n’a pas vraiment le choix » ou « Ne lui demandez pas si vous pouvez la pénétrer comme un animal sauvage, faites-le ! ». Bonne ambiance.
En plus d’entretenir de bon vieux clichés sur la masculinité (qui « passe par les coups de boutoirs infligés avec votre membre »), l’article contribue allègrement à la culture du viol. L’idée est claire : pour être un vrai mâle, il ne faut pas écouter votre partenaire. D’ailleurs, « perdre tout contrôle de la situation est un « turn on » majeur pour les femmes ».
Un autre bon vieux cliché qui peut avoir des conséquences tragiques : « Cette méthode est relativement efficace lorsqu’on rencontre une inconnue qui nous ramène chez elle. Si elle en arrive là c’est sans doute parce qu’au fond, ce qu’elle veut, c’est tirer un coup. » : NON. Et même si c’était son intention de base, tout le monde a le droit de changer d’avis.
Quant à « appliquez-vous à aller en profondeur et à ne stopper la cadence que quand VOUS le décidez ! Elle se plaint ? Pas pour longtemps ! C’est un phénomène naturel de rejet de l’autorité », que dire ? C’est carrément de l’appel au viol.
SlutWalk de New York en 2011, par David Shankbone. Sur le panneau : « Je ne le cherche pas ».
Une tribune et un signalement
Les twittas @DikeJu, @anti_sexism , @l_elfe, @Me_Yael_Mellul et la créatrice du Tumblr Je connais un violeur
ont donc écrit une tribune, parue aujourd’hui sur plusieurs blogs à la fois. Cet « Appel citoyen contre l’incitation au viol sur internet » est accompagné d’un signalement au Procureur de la République. Ses auteures précisent que le lien a déjà été signalé en ligne, sans effet.
Mais l’appel ne vise pas uniquement cet article, et réclame en général une réelle pénalisation de « l’incitation à la violence en raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap » (théoriquement interdite dans la Loi sur la liberté de la presse). Elles demandent également que la partie sur l’incitation à la discrimination et à la haine, qui ne vaut actuellement que pour des raisons ethniques, raciales ou religieuses, soit étendue aux raisons sexistes.
Les auteures appellent enfin « à mettre en place une plateforme dédiée au signalement de sites misogynes, à la sensibilisation des acteurs du web sur le sujet, et à l’accompagnement des victimes de discrimination, de haine ou de violences misogynes sur Internet » et à la collaboration avec les entreprises et la société civile pour lutter contre le sexisme sur internet. Elles évoquent notamment la campagne #FBRape, qui avait poussé Facebook à revoir ses critères de modération.
De votre côté vous pouvez relayer l’appel sur votre blog, sur Twitter avec le hashtag #AppelCitoyenContreLeViol et signer la pétition.
La controverse de la censure
Cette plainte relance inévitablement le débat sur la censure : faut-il interdire les propos sexistes, ou autoriser une totale liberté d’expression ? Si cette dernière a ses adeptes, la loi française considère que tout ne peut être dit en public puisqu’il existe déjà les lois contre l’incitation à la violence/discrimination/haine citées plus haut. Dans la mesure où le racisme est puni, en faire de même pour le sexisme est plutôt cohérent.
En outre, l’article rappelle que « le sexisme en ligne n’a rien de virtuel : le harcèlement subi par des personnalités connues comme par des adolescentes anonymes (ou qui auraient voulu le rester), […] l’humour sexiste qui alimente la tolérance envers le sexisme, les discours vindicatifs, stéréotypés et dégradants à l’égard des femmes, tout ceci est bien réel. » En bref, ce n’est pas parce que c’est sur internet et que ce ne sont « que » des paroles que ça n’a pas d’effet sur la réalité.
La culture du viol, notamment, fait des victimes bien réelles. Comme le rappelle Je connais un violeur, les agresseurs ne sont pas toujours des psychopathes asociaux [insérez ici le cliché de votre choix]. Beaucoup sont des hommes « normaux » ayant « seulement » (sentez la puissance des guillemets) un problème avec le consentement. Alors, véhiculer l’idée que quand une femme dit non ça veut dire « continue », c’est réellement grave.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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