160 000. C’est le nombre d’enfants victimes de violences sexuelles chaque année, selon la CIIVISE. À l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant, la Première ministre Élisabeth Borne a réuni onze ministres lors d’un comité interministériel dédié à l’enfance, qui s’est soldé par la présentation d’un nouveau plan gouvernemental de lutte contre les violences faites aux enfants.
Recrutements pour renforcer les effectifs du 119, moyens alloués à la prévention des violences, amélioration de la prise en charge des enfants victimes, nouveaux programmes d’éducation à la vie sexuelle… Au total, ce sont 22 actions qui constituent ce nouveau plan. Écran de fumée ou avancée réelle ? Madmoizelle a posé la question à Protéger l’Enfant, Association de défense des droits de l’enfant.
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Trois questions à Céline M., fondatrice et présidente de l’association Protéger l’Enfant
Madmoizelle. Que penser des mesures présentées par Élisabeth Borne ?
Céline M. Sur le fond, nous ne remettons pas en cause les propositions du gouvernement qui ont toute leur place dans la lutte contre les violences faites aux enfants. Nous saluons les mesures relatives à l’amélioration de la prise en charge des enfants victimes comme le déploiement des UAPED (Unité d’Accueil Pédiatrique Enfants en Danger), qui est quelque chose que nous réclamons depuis longtemps. Mais, pour nous, ce plan reste largement insuffisant. Il y a d’énormes lacunes en termes de traitement judiciaire : on fait face, avec les mères protectrices que nous accompagnons, à des dysfonctionnements, des manquements législatifs. Pour nous, le plan gouvernemental aurait dû inclure plusieurs préconisations visant à protéger les parents protecteurs.
Que faudrait-il mettre en place selon vous ?
Nous préconisons plusieurs choses. La première est une mesure portée par le Collectif pour l’enfance, qui représente 44 associations. Cette mesure a également été reprise par la CIIVISE sous le nom « ordonnance de sûreté de l’enfant ». Dès qu’il y a une plainte ou un signalement à l’encontre d’un parent suspecté d’être auteur de violence sur son enfant ou sur l’autre parent, nous demandons une saisine immédiate du Juge aux Affaires Familiales dans les six jours pour que ce dernier puisse prendre des mesures d’urgence au regard des éléments du dossier.
La proposition de la loi Santiago, en navette parlementaire, porte sur l’après (une fois qu’il y a instruction). Mais, entre le dépôt de plainte et le démarrage d’une instruction, il peut s’écouler trois ans, voire plus. Aujourd’hui, il existe une ordonnance de protection civile pour les femmes qui s’appuie sur un faisceau d’indice quand les violences conjugales sont plausibles, sans attaquer la présomption d’innocence. Pourquoi ne peut-on pas faire pareil pour les enfants ?
Autre axe essentiel : il faut réformer le délit de non-représentation d’enfant. Nous demandons une immunité pénale pour les parents protecteurs. Cela ne veut pas dire supprimer le délit de non-représentation d’enfant, car il existe des cas avérés. Mais nous souhaitons qu’il ne s’applique pas lorsqu’il y a un faisceau d’indices suffisamment probants pour penser que des violences sont constituées. On demande en parallèle que les professionnels protecteurs, lorsqu’ils signalent, soient aussi protégés. Que cela n’ait pas de répercussion sur leur activité professionnelle.
Au niveau législatif, il faut que la suspension de l’exercice de l’autorité parentale s’accompagne automatiquement du retrait ou de la suspension du droit de visite et d’hébergement, toutes modalités comprises. Cela comprend donc aussi les droits de visite médiatisée. Nous réclamons également qu’il ne soit plus possible de recourir aux centres médiatisés dans le cadre de violences intrafamiliales. On a des cas de mères protectrices où le père a été condamné pour violence. Pourtant, les enfants doivent légalement le voir en centre médiatisé et ça crée un bouleversement total. On observe des décrochages scolaires, des envies suicidaires… de nombreux psycho-traumatismes sont ainsi réactivés.
Par ailleurs, aujourd’hui, le suivi psychologique de l’enfant doit faire l’objet d’une validation auprès des deux parents. Et souvent, le parent potentiellement agresseur refuse et bloque le suivi. Nous demandons donc que si un parent protecteur donne son accord, le suivi soit possible. Ou qu’une décision judiciaire puisse l’ordonner quand il y a clairement un traumatisme à soigner. Enfin, nous souhaitons que la notion de contrôle coercitif soit introduite dans la loi, et pénalisée.
Quel signal ce nouveau plan gouvernemental envoie-t-il ?
Pour nous, il s’agit d’un double signal. D’une part, les politiques se saisissent du sujet, ce qui est très positif. On a besoin de ce coup de projecteur pour faire avancer les choses. Mais c’est aussi un signal très brouillé. Cette annonce a eu lieu en fin de journée, au même moment que la restitution publique de la CIIVISE, qui livrait le même jour ses préconisations à la Maison de la Radio. Nous sommes très étonnés qu’il n’y ait pas eu de coordination, qu’Elisabeth Borne n’ait pas fait mention des travaux de la CIIVISE.
Pour moi, c’était clairement une action à mener main dans la main avec la CIIVISE. Par ailleurs, Protéger l’Enfant est très inquiet quant au sort du juge Durand, actuellement coprésident de la CIIVISE. C’est une personne qui a énormément respecté et écouté les victimes, qui a fait un travail remarquable de précision, d’analyse, de justesse. Édouard Durand est un atout pour la protection des droits de l’enfant. Et ce serait pour nous un très mauvais signal si son mandat n’était pas renouvelé. Il est essentiel d’avoir une continuité de la réflexion et des actions sur un sujet aussi délicat.
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