« Malgré des allégations crédibles d’abus sexuels et de violences incestueuses sur des enfants par leur père, la France a fait peu de cas des principes de précaution et de l’intérêt supérieur de l’enfant. »
Après un premier avertissement datant de juillet dernier et resté lettre morte, l’ONU poursuit sa critique implacable du traitement judiciaire des affaires d’inceste en France.
Dans un communiqué daté du vendredi 19 janvier, cinq expertes indépendantes mandatées par le Conseil des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies (ONU) – deux rapporteuses spéciales et les cinq expertes du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles – ont une nouvelle fois demandé aux autorités françaises de « s’attaquer aux traitements discriminatoires et aux violences subies par les mères qui tentent de protéger leurs enfants de la prédation sexuelle ».
Un appel à appliquer « le principe de précaution »
Les expertes font ici référence à l’acharnement judiciaire qui s’abat sur les mères protectrices et auquel Madmoizelle avait consacré en novembre une enquête en deux parties. Dès lors qu’elles portent la parole de leur enfant, qui révèle des faits d’inceste paternel après une séparation, les mères font les frais d’une inversion de culpabilité et sont, dans certains cas, privées de leur(s) enfant(s), confié(s) à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), voire au parent présumé agresseur.
Pour rendre leurs conclusions, les expertes indépendantes s’appuient sur trois cas de mères poursuivies pour avoir tenté de protéger leur enfant en pratiquant la non-représentation d’enfants. Parmi ces trois mères, Priscilla Majani, condamnée en appel à deux ans et neuf mois de prison ferme (aujourd’hui libre après avoir purgé sa peine) et Sophie Abida, à qui l’enquête de Madmoizelle était en partie consacrée, et qui n’a plus de contact avec ses enfants.
Les expertes « ont constaté que, selon les allégations, les enfants sont victimes d’abus sexuels ou courent un risque élevé d’abus sexuels de la part de leurs pères ou d’auteurs présumés, contre lesquels il existe des preuves crédibles et troublantes d’abus sexuels incestueux ».
Mais, « malgré ces allégations, et en l’absence d’enquête adéquate, ces enfants sont placés sous la garde des pères contre lesquels les allégations sont faites, et les mères sont sanctionnées pour enlèvement d’enfant pour avoir essayé de protéger leurs enfants », dénoncent les expertes.
Pour mieux protéger les enfants et leur parent protecteur, elles demandent aux autorités de respecter « le principe de précaution » et le « principe de diligence raisonnable » en matière de protection de l’enfance, en particulier pendant les procédures judiciaires.
« L’opinion de l’enfant doit être recherchée et respectée, et l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la considération première avant que les décisions de garde ne soient prises en faveur de l’un des parents [… ] Des mesures urgentes doivent être prises pour remédier à la situation pénible dans laquelle les enfants et leurs mères sont affectés par l’absence de prise en compte adéquate de leurs besoins », ont insisté les expertes.
Présidée jusqu’en décembre 2023 par le juge Édouard Durand et la responsable associative Nathalie Mathieu, la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE) avait émis 82 recommandations allant en ce sens, avant qu’un changement de cap et de présidence ne soit décidé par le gouvernement.
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La France « prend note » mais ne prend aucune décision
Si les associations de protection de l’enfance ont salué l’alerte donnée par les expertes de l’ONU, le ministère des Affaires étrangères a aussi réagi en affirmant que « la France a pris note » de cet appel.
« Le Président de la République a voulu la création en 2021 de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Le nouveau plan de lutte sur les violences faites aux enfants 2023-2027 traduit l’engagement du gouvernement français », a ajouté le Quai d’Orsay. Pourtant, comme le nouveau président de la CIIVISE Sébastien Boueilh l’a lui-même regretté, la première réunion de travail de l’instance remaniée a été reportée sine die.
« Au titre de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance du pouvoir judiciaire, le gouvernement ne saurait contester l’autorité de la chose jugée par des magistrats indépendants », a encore ajouté le Quai d’Orsay, qui ne souhaite donc pas commenter les trois affaires auxquelles les expertes font référence.
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Les Commentaires
Oui, c'est déguelasse. Encore une fois, c'est la personne pas capable d'exprimer ses besoins/envies haut et fort et qui n'a aucun pouvoir qui trinque, parce qu'on (en tant que société) n'est pas capable de la protéger.