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Grossesse

Impact psychologique de l’IVG : « il n’y a pas de règles, chaque personne réagit différemment »

En France, l’interruption volontaire de grossesse est un droit, mais reste trop souvent taboue. Pourtant, elle concerne de nombreuses personnes avec ou sans enfant, célibataires ou mariées, de tous âges et de toutes catégories socio-professionnelles.

Il faut dire qu’un paquet de fausses croyances collent à l’IVG. Elle ne concernerait que les personnes qui n’utilisent pas de moyens de contraception et provoquerait systématiquement un traumatisme indélébile chez les gens y ayant eu recours, par exemple… Des arguments copieusement récupérés par les militants anti-choix.

Même quand elles réussissent à passer au-delà de ces obstacles, les personnes ayant avorté ou luttant pour le droit à l’IVG se retrouvent face à une nouvelle injonction, quelque peu contradictoire : celle de ne pas pouvoir exprimer les éventuelles difficultés d’une telle décision sur leur vie.

Dans de nombreux États ou pays, l’IVG est fortement menacée voire totalement interdite. Même quand ce n’est pas le cas, la survenue d’une grossesse non désirée ou les remarques de professionnels peuvent être plus traumatisantes que l’acte médical en soi. 

Si certaines personnes vont vivre négativement l’intervention selon les circonstances dans lesquelles elle a eu lieu, d’autres vont « l’intégrer comme un événement courant de la vie : il n’y a pas de règles, chaque personne réagit différemment », explique Caroline Janvre, psychologue et sexologue spécialisée en accompagnements psychothérapeutiques et en santé sexuelle.

« Ce n’est pas forcément l’avortement en soi qui est traumatisant mais bien tout ce qui se passe autour. »

Caroline Janvre, psychologue et sexologue

Interview de Caroline Janvre, psychologue et sexologue

Madmoizelle : Quel peut être l’impact psychologique d’une IVG pour la personne qui y a recours ?

Caroline Janvre : Selon l’environnement dans lequel on vit, la manière dont la grossesse est reçue, la manière dont les professionnels vont accompagner le choix des personnes ou encore l’entourage, une grossesse non-prévue peut être plus ou moins bien vécue. Ce que l’on sait, c’est que ce n’est pas forcément l’avortement en soi qui est traumatisant mais bien tout ce qui se passe autour.

« L’attitude et les comportements des professionnels de santé que l’on va rencontrer dans le cadre d’une IVG sont des éléments déterminants. »

Caroline Janvre, psychologue et sexologue

Dans quels cas cela peut-il être traumatisant ?

Vivre dans un pays où l’avortement est interdit et où l’on risque de mourir, subir une pression de l’entourage à interrompre une grossesse, vivre dans un milieu où la norme est de procréer et où l’on entend sans cesse des propos condamnant l’avortement, appeler un numéro vert pour s’informer et tomber sur une bénévole nous parlant de « bébé qui va être tué », ne pas avoir été suffisamment informée du déroulement d’une IVG médicamenteuse et être surprise de voir à quoi ressemble l’embryon au moment de l’expulsion…

Toutes ces situations peuvent favoriser un impact psychologique négatif.

Et qu’est-ce qui, au contraire, favoriserait une expérience et un impact plus positif ?

Avoir expérimenté le fait que la santé reproductive pouvait être maîtrisée, reprendre du pouvoir à un endroit où un événement inattendu est arrivé, éprouver dans un groupe ou au contact de professionnels son expérience singulière, peuvent être des circonstances qui ont un impact psychologique positif. 

On sait ainsi que l’attitude et les comportements des professionnels de santé que l’on va rencontrer dans le cadre d’une interruption volontaire de grossesse sont des éléments déterminants. 

« En brandissant [l’argument de l’avortement forcément traumatisant] comme propagande pour interdire l’IVG, ces collectifs empêchent les personnes de penser leur choix, leur IVG, leur vécu par elles-mêmes. »

Caroline Janvre, psychologue et sexologue

L’impact de l’IVG peut-il être ressenti à retardement ?

Toute personne peut vivre un événement comme traumatique lorsqu’elle est confrontée à la mort ou à sa menace, à quelque chose qui porte atteinte à son intégrité.

Par exemple, si l’on est obligée d’interrompre une grossesse, si l’on nous répète à tort que l’on tue une personne en pratiquant une IVG, si l’on vit des violences gynécologiques autour de l’intervention, cela peut éventuellement avoir des répercussions. 

Dans le cas d’un psychotraumatisme, les heures ou les jours après un événement peuvent rester nébuleux, paraître à distance. Le corps à travers son système nerveux et l’ensemble de l’anatomie essaie ensuite de digérer.

Si une détresse et des symptômes du psychotraumatisme sont toujours présents un mois après, il est préférable d’en parler avec des professionnels de la santé mentale.

pancarte-manifestation-droit-IVG
Pancarte de manifestation « Fuck your abortion ban » pour le droit à l’IVG à Zurich

Que diriez-vous aux anti-avortement qui utilisent l’impact psychologique négatif de l’IVG pour justifier leurs positions ?

La foule de témoignages sur le site IVG, je vais bien merci est une réponse à elle seule aux anti-IVG qui avancent que l’avortement serait par essence un traumatisme. 

En brandissant cet argument comme propagande pour interdire l’IVG, ces collectifs empêchent les personnes de penser leur choix, leur avortement, leur vécu par elles-mêmes.

Là encore, les personnes assignées femmes se retrouvent avec une injonction contradictoire : « si je dis que je suis pour l’IVG, je ne peux pas dire que ça a été difficile pour moi ». On peut avoir vécu une grossesse non-prévue et que, quelque soit le choix qu’on ait fait, il ait été difficile ou même traumatique.

Poser des normes en santé mentale sur des réactions qui seraient innées, naturelles, normales, c’est ce que font les anti-IVG en diffusant cette fausse croyance et cela est dangereux.

Non seulement cela concourt à des climats où une IVG pourrait être mal vécue car pratiquée en contexte hostile, mais cela peut également entraîner un isolement chez une personne qui ne pourrait pas dire qu’elle a mal vécu son IVG et un accès aux soins en santé mentale ou communautaire retardé.

« L’IVG est un droit en France et l’on doit être bien traitée. »

Caroline Janvre, psychologue et sexologue

Que faire dans le cas où un impact psychologique négatif est avéré ?

Dans le cas où des symptômes de traumatisme psychique sont présents, ou même une difficulté à intégrer la grossesse non-prévue et/ou l’IVG dans son parcours de vie, cela peut être important de rencontrer des professionnels de la santé mentale dont on sait qu’ils et elles pourraient nous écouter sans lunettes anti-IVG.

Partager avec d’autres personnes concernées, en groupe comme ceux que peuvent mettre en place certaines associations départementales du Planning Familial ou auprès de professionnels safe comme en CPEF [centre de planification et d’éducation familiale, ndlr], ou dans des associations féministes, peut également aider.

Dans tous les cas, lorsqu’on a une douleur physique on la soigne, pour une douleur psychique il y a aussi des solutions. Des personnes sont là pour nous aider.

Que conseilleriez-vous aux personnes qui souhaitent avoir recours à une IVG ?

Se renseigner sur les sites Internet fiables, se rapprocher d’associations, de personnes de confiance sur qui l’on sait qu’on peut compter peut-être important au moment où l’on découvre une grossesse qui n’était pas prévue.

Identifier comment rendre la situation la plus confortable pour soi en cas d’IVG est primordial (à la maison si les délais le permettent ou au contraire chez des amies, seule ou accompagnée, dans un endroit médicalisé ou au contraire en ambulatoire, etc).

L’IVG est un droit en France et l’on doit être bien traitée, on n’a donc le droit de ne pas continuer à être accompagnée par des professionnels maltraitants et de les signaler si l’on en ressent le besoin. 

Que peut-on faire, à notre échelle pour lutter pour le droit à l’IVG ?

Ne pas laisser l’IVG être enfermée dans des cases par des collectifs anti-choix est une belle manière de se réapproprier ce droit !

À lire aussi : On a davantage recours à la téléconsultation pour les IVG et c’est plutôt une bonne nouvelle

Crédits photos : Viktoria Slowikowska (Pexels) / Claudio Schwarz (Unsplash)


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