?Un conte de Noël un peu long en guise d’introduction mais vous pouvez descendre six paragraphes plus bas, vous comprendrez quand même de quoi ça parle.
Il faut que je vous raconte une histoire : il était une fois une jeune fille qui préparait son déménagement en mettant sa vie au fond de dix gros cartons, cette jeune fille avait déjà empaqueté toute sa bibliothèque et lorsque la bise fût venue elle se trouva fort dépourvue en épopées romanesques à lire au coin du feu (ou du radiateur si comme moi vous êtes modernes et privés de cheminée).
C’est en se baladant dans la rue, le coeur ouvert à l’inconnu (je vous escroque en sur- référençant ces paragraphes car j’ai l’inspiration contrariée ce soir, je vous prie de m’en excuser).
La jeune fille se promenait donc, tout à fait innocemment, lorsqu’elle décida d’entrer chez un bouquiniste pour se payer quelques bonnes lignes à peu de frais (ie : je voulais acheter un livre, quoi). À ce moment de l’histoire l’inimaginable se produit, les yeux de biche de la jeune fille se sont posés sur un rayonnage croulant sous les ouvrages en promotion. Ses mains épileptiques ont caressé les tranches poussiéreuses pour faire défiler les noms d’auteurs soldés.
Sachez que Jeanne Bourrin et Sacha Guitry font partie des collections d’arrière-saisons que l’on brade pour cinquante centimes – au milieu de tout cela il y avait un roman de 126 pages qui interpella la jeune fille.
Il s’agissait de Viens là que je te tue ma belle, de Boris Bergmann, jeune auteur parisien consacré par le prix de Flore du Lycéen en l’an 2007, ère moderne. Âgé de quinze piges au moment de la publication de son oeuvre Boris Bergmann a probablement ouvert la voie aux autres semi autistes mi sur-doués qu’on se farcit à chaque rentrée littéraire depuis quelques années (kikou Sacha Sperling, shalom Marien Defalvard).
Intriguée par les prétendues « étincelles de poésies » qui « jaillissaient » de ce roman (d’après Paris Match, source fiable en matière de littérature après Pomme d’api), la jeune fille se saisit du volume (imposant de par ses cent vingt six pages de poésie) et prise d’une honte terrible à l’idée de passer en caisse avec un seul livre d’aussi médiocre qualité, elle fit un autre tour dans les rayons et ressortit quelques minutes plus tard de la librairie chargée de cinq bouquins qu’elle portait entassés dans ses petites et délicates mains.
On va arrêter là avec les prolégomènes.
À ce moment de l’histoire, cessons cette imposture débile et cette conjugaison compliquée : je suis cette jeune fille qui vient d’acheter le livre de Boris Bergmann en le cachant au fond de mon sac et les relents de mon adolescence torturée reviennent à mon bon souvenir avant même que je parcoure la moindre page.
Viens là que je te tue ma belle
est un roman adolescent, plein de haine, de mépris du monde et de ses conventions, un roman qui parle de tous les fantasmes noirs et de toutes les ambitions pailletées de la jeunesse (la gloire, le pouvoir, la défonce et le sexe) et de ce moment charnière où nous pensons enfin savoir ce que nous allons devenir.
Je ne souhaite pas faire le procès de ce pauvre Boris qui n’est qu’un jeune garçon instrumentalisé par une maison d’édition avide de gloire médiatique et je ne ferai pas non plus la critique d’un roman maladroit écrit à l’âge de quatorze ans car ce qui m’interpelle, en réalité, c’est de constater le changement qui s’opère entre l’adolescent que nous avons été et le jeune adulte que nous devenons.
Les illusions adolescentes
Être adulte, quand on a quinze ans et l’imagination atrophiée par la lecture prolongée de Despentes et de Begbeider c’est :
- Faire d’interminables études pour trouver un travail mal payé après de longs mois de galère afin de payer ses factures, avoir une voiture, faire ses courses le samedi avec sa Twingo en banlieue et utiliser ses cartes de fidélité.
- Écouter Miossec dans son salon, se faire des apéros dinatoires dans des verrines entre copains, se pacser pour la paperasse, parler de son boulot aux copines au lieu de parler de soi, se coucher à vingt deux heures la semaine et vingt trois le week-end.
- Être adulte c’est se préparer à glisser lentement sur le terrain fangeux du cimetière en construisant une vie monotone et conforme à celles des autres.
- C’est s’individualiser en choisissant un parcours banal qui s’avérera probablement décevant et commun. À l’adolescence nous avons en général une vision manichéenne et très traditionnelle du monde – on a beau s’engourdir les oreilles en écoutant du rock’n’roll, on n’en est pas moins conservateurs.
- Être adulte, à ce moment-là, c’est perdre nos illusions sur nous-mêmes. Combien de personnes de ma génération refusent encore de se « sentir adulte » à vingt ans passés; tant cette condition semble trop sérieuse pour leurs épaules fragiles et trop ennuyante pour leur tempérament festif et leur immaturité revendiquée ?
- Ils sont nombreux à rester sur ces illusions adolescentes construites dans la peur et l’angoisse du futur : vieillir c’est se ranger et accepter de mourir alors que l’intransigeance adolescente qui dicte nos actes est la plus tenace de toutes les volontés; il faudrait éternellement garder ses seize ans.
Mais moi à seize ans je m’ennuyais, contrairement à la jeunesse qui est décrite dans le roman : je n’étais d’aucunes bandes. Sûrement parce que j’étais trop naze pour intégrer un groupe et probablement parce que je n’ai jamais trouvé ma place entre les hippies à dreadlocks sales et les rockeurs en mocassins qui ressemblaient davantage à des royalistes de quarante ans et demi qu’aux enfants des Stooges.
J’avais peur d’un futur plus ennuyant que ne l’était déjà mon présent; j’avais pourtant une vie imaginée, fantasmée comme celle d’Isidore dans le livre du petit Boris Bergmann : Je voulais devenir un grand écrivain célèbre, vivre à la Bukowski, aller au Monoprix avec Michel Houellebecq le samedi (la première qui me dit que mes rêves d’adolescente sont pourris : je la tabasse, OK ?).
ET MAINTENANT ? (que vais-je faire ?)
?Ce qu’on croyait définitif n’a fait que changer; car depuis mes quinze piges, les années n’ont jamais cessé de déconstruire mes idées toutes faites sur « la personne que je voulais devenir. »
Je suis un peu adulte, il y a des signes qui me mettent sur la voie (je passe mes week-ends chez Leroy Merlin et j’ai payé ma taxe d’habitation, vous y croyez ?) Mais ce qui me fait prendre conscience de mon évolution, c’est le regard tendre et amusé que je porte sur mon passé.
J’ai lu le livre de Boris Bergmann et je n’en dirai pas de mal, c’est déjà une preuve de grandeur; jadis je l’aurai critiqué pour m’affirmer en pensant que c’est seulement en étant radical et violent que l’on est quelqu’un de fort.
Je suis un peu adulte, donc. J’écoute toujours du rock’n’roll et pourtant ma vie est moins chiante à ving- trois ans qu’à seize alors je le dis sans honte : j’ai hâte de vieillir.
Je veux engranger des points d’expérience, de connaissance et de râteaux dans la tronche; je veux Tout connaître, comme à seize ans, mais je ne construis plus de préjugés sombres sur ce Tout.
Arrêtons avec ce barbarisme constitué par le terme « adulescent » et assumons la responsabilité de notre vie, de nos choix, de toutes les possibilités d’existence que nous pouvons adopter à l’avenir, à seize ans comme à trente.
Cessons avec cette ère régressive où il fait bon dire qu’on est éternellement jeune et dans le coup; c’est faux, nous deviendrons tous vieux et dépassés et mon seul avantage est d’avoir grandi avec cette étrange impression de l’avoir toujours été.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Ah ah ça je connais... Et j'ai souvent l'impression d'avoir raté quelque chose quelque part, ça me désespère un peu... Mais on s'y fait.
"je n'ai aucune ambition. Aussi bien sur un plan personnel que professionnel. Je commence à sérieusement angoisser quand je met à y penser"
Je ne pense pas que tu n'aies aucune ambition sinon tu n'angoisserais pas à cause de ça! Simplement tu n'as pas encore trouvé ta voie... Et ça ben y'a que l'expérience comme tu dis qui pourra te l'indiquer. J'ai changé d'orientation plusieurs fois depuis le collège et à 27 piges je ne suis pas encore sure de moi même si je pense avoir trouvé un bon filon, mais c'était déjà arrivé plusieurs fois alors...
Côté cœur, là j'ai envie de te dire qu'à part trouver la bonne personne je vois pas où peut se situer l'ambition... Mais tu as sans doute des rêves, au fur et à mesure ça se précisera dans ta tête et j'ai envie de dire, ça aussi avec l'expérience, et les déconvenues malheureusement !
Je te conseillerais simplement de garder une large place pour ce qui te plaît et de découvrir un max de choses, tu finiras par te trouver.