Il y a près de trois ans, j’ai posté sur mon compte Instagram un appel à témoignages. Je demandais à mes abonnées de partager, si elles le souhaitaient, leurs expériences d’auto-contrainte à avoir un rapport sexuel. Pluie d’occurrences dans mes messages privés : « J’étais déjà montée chez lui, je ne savais plus comment faire marche arrière », « On avait déjà commencé à se chauffer, si je lui disais non, j’allais passer pour une allumeuse », « Je n’avais pas la force de me justifier sur le pourquoi je ne voulais plus. Alors j’ai pris sur moi », « On était en couple, j’avais l’impression de lui devoir du sexe, que c’était dans ma liste de tâches à accomplir », « J’ai eu peur de sa violence potentielle si je refusais ».
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« Tu es venue jusqu’ici, tu as bu ce verre, tu es chez lui, tu ne peux pas te dérober, tu vas passer pour une aguicheuse »
Cette rafale de vécus est venue triturer un point sensible chez moi. L’addition de ces lectures projetait une lumière froide sur certains moments de ma vie que j’avais soigneusement compartimenté. Un souvenir particulier me revint. J’échange avec C. rencontré sur un site pendant plusieurs semaines. Nous nous parlons tous les jours, cent fois par jour, nous nous séduisons. Puis, très naturellement, nous décidons de nous rencontrer. Le weekend qui suit, je prends ma Twingo et fonce vers le nord (il est lillois, je vis en banlieue parisienne). Arrivée au bar où nous nous étions donnés rendez-vous, je suis un peu déçue, car il ne me plait pas vraiment physiquement. La marge entre les photos et le réel étant le lot de nombreuses personnes faisant des rencontres par le biais d’applications. Soit, je me dis qu’au vu de nos échanges, je vais tout de même donner une chance à cette histoire. Mais l’envie ne viendra pas, et va commencer à se jouer un dialogue interne, « Illana, tu es venue jusqu’ici, cela fait des semaines que vous discutez, il s’attend à ce que vous couchiez ensemble ».
Ainsi, étape par étape, je cède, je bois ce verre, je monte chez lui, et nous finirons par coucher ensemble. Tout au long de cette scène, il y a cette petite voix qui m’accompagne. Je pense alors que c’est la mienne, je sais aujourd’hui que c’est celle des injonctions ingérées, « tu es venue jusqu’ici, tu as bu ce verre, tu es chez lui, tu ne peux pas te dérober, tu vas passer pour une aguicheuse ». Lorsque l’on se déshabille, je me souviens de la déconnexion entre mon esprit et mon corps, comme si je quittais celui-ci et attendais que ça se termine, quelque chose qui, j’imagine, se rapproche de la dissociation. Ce n’est pas la seule fois où cela m’arrivera, et dans la foulée, le sentiment gluant de me trahir.
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La toute puissance du désir de l’autre
Je questionne désormais ces faits à l’aune du féminisme, de mes découvertes et mes engagements. Qu’est-ce qui m’a poussé, et incite tant de femmes encore à se saborder de la sorte, à ignorer leur désir et en l’occurrence l’absence de celui-ci ? Pourquoi accorder cette toute puissance au désir de l’autre ? Si je n’ai pas envie de regarder tel film, de manger tel plat, d’aller à tel évènement, il me sera tout à fait évident de l’identifier et de faire des choix pour moi. Pourquoi lorsqu’il s’agit de sexe et de rapports aux hommes, une myriade de facteurs noient mon libre-arbitre et ma subjectivité ?
« La domination masculine, c’est l’effacement des femmes au profit de la satisfaction des hommes »
Nous en revenons irrémédiablement aux schémas patriarcaux qui glorifient et naturalisent le don de soi des femmes et relèguent leurs envies profondes au second plan. La domination masculine, c’est l’effacement des femmes au profit de la satisfaction des hommes. Nous l’avons malheureusement bien intégré, ce qui peut nous pousser à ignorer notre absence d’envie sur le moment, à s’oublier, à faire de son corps une coquille vide tournée vers la réponse à l’injonction de satisfaire un homme.
Une femme sur quatre se force à avoir un rapport sexuel après l’accouchement
Et cette pression frappe à toutes les périodes de nos vies. Adolescentes, jeunes femmes, mères à la même enseigne. Une étude IFOP de ce mois-ci révèle que près d’une femme sur quatre se force à avoir un premier rapport sexuel dans les semaines ou les mois qui suivent un accouchement.
Je suis lasse du sacrifice constant exigé des femmes, lasse de savoir combien d’entre nous sont dépouillées de leurs désirs véritables dans le domaine de la sexualité et ailleurs. Alors, j’aimerais que vous quittiez cette lecture avec une affirmation à l’esprit : vous ne devez rien à personne, si ce n’est le respect à vous-mêmes.
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