Pratiquée à l’origine dans les cirques forains itinérants où des artistes dansaient langoureusement autour des poteaux soutenant le chapiteau, puis par des strip-teaseuses dans des clubs spécialisés, la pole dance est devenue une discipline sportive et artistique à part entière depuis une poignée de décennies. Dans mon parcours personnel, cette pratique est venue trouver sa place à un moment où j’étais en déconnexion (voire en conflit) avec mon corps, et m’a permis de l’habiter à nouveau.
La pole dance, révolution de la Terre autour du Soleil
J’empoigne fermement la barre de mes deux mains, le contact du métal froid sur mes paumes tièdes provoque un léger frisson qui me traverse du bas de ma colonne au haut de mon crâne. Je me hisse et fait basculer mon corps vers l’arrière en tendant mes bras. Ma jambe droite se referme sur la barre, comme une pince que l’on clippe à une mèche de cheveux. Maintenue par ce point de contact unique juste derrière mon genou, je laisse mon buste retomber, ma nuque, mes bras. Je ferme les yeux et profite de ces rotations, révolution de la Terre autour du Soleil.
« Tu fais quoi le jeudi ? De la pole dance ? Le truc de striptease là ? »
Cela fait maintenant 5 mois que j’ai commencé à suivre des cours de pole dance. Deux fois par semaine, je me rends au studio, et dans un ballet bien rodé, je retire une partie de mes vêtements, m’enduit les mains de magnésie liquide avant de jeter mon dévolu sur l’une des barres et de l’étreindre comme un être cher. Il n’a pas fallu plus de temps que le cours d’essai pour que s’anime quelque chose en moi, une petite épiphanie, un défi physique et esthétique qui me donnait tout à coup une image très positive de mon corps et de ses potentialités.
« Tu fais quoi le jeudi ? De la pole dance ? Le truc de striptease là ? » me demande Aurélie, une amie, dubitative et un chouia dans le jugement de valeur. Sa réflexion fait écho à la trajectoire du gain en respectabilité de la discipline à travers le temps. La pole dance sous sa forme actuelle née dans le monde forain canadien dans les années 1920. Des danseuses se servaient du poteau central soutenant le chapiteau pour performer, en petite tenue et pour un public adulte, ce qu’elles appelaient alors le « hoochie coochie ». Des fêtes foraines, la pratique se déplacera vers les boites de nuit dans les années 50 avec l’essor que l’on connait. Puis ce n’est qu’au début des années 1990 que la pole dance sort des seuls clubs de strip-tease et commence à être enseignée comme une véritable discipline sportive. « Mais tu sais Aurélie, dans un club de strip, chez moi, ou dans une compétition européenne, la pole dance et celles et ceux qui la pratiquent sont respectables ».
« Par cette pratique, j’ai trouvé une porte entrebâillée sur ma force et ma beauté »
On peut légitimement se questionner sur les codes de la pole dance et du fait qu’il s’agisse de mouvements, de postures et d’attitudes dont le but initial était de séduire, d’exciter le regard masculin. Pourtant, la puissance que je ressens quand je danse autour de la pole, est complétement déconnectée de ce dernier. Il est absent ce regard. Au studio, ou chez moi (car oui, je suis l’heureuse propriétaire d’une barre dans mon salon), il n’y a mon regard qui compte. Celui que je pose sur moi. Il prend toute la place. C’est moi qui me « sexualise » et c’est à moi que je plais. Cela faisait plusieurs années que je ne me vivais plus véritablement comme désirable ou désirante du fait de la maternité, du temps, des années qui s’amoncellent. Par cette pratique, j’ai trouvé une porte entrebâillée sur ma force et ma beauté. Sur la pole, je me sens invulnérable, sortie de moi et ancrée en moi dans le même temps. Ça explose et c’est en-dedans, furieux et paisible.
Alors oui, les codes restent ceux du male gaze, cette perspective réifiante d’homme hétérosexuel sur le corps et le vécu des femmes et sans doute qu’in fine, la véritable révolution passera par une refonte globale de toutes ces normes. En attendant, se les réapproprier, les utiliser en évacuant le regard qui les a forgés en premier lieu et en se concentrant sur sa propre perspective, permet de s’émanciper de l’objectification.
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