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L’Île Maurice, entre multiculturalité et communalisme — Carte Postale

Morgane est expatriée à l’Île Maurice depuis quelques années. Elle vous raconte la vie particulière dans cette île multiculturelle.

Quand on entend parler de l’Île Maurice, c’est généralement en tant que destination touristique pour couples en lune de miel ou familles fortunées.

Avec ses belles plages de catalogue, ses hôtels étoilés et son climat tropical, ce petit pays de l’Océan Indien voisin de la Réunion et de Madagascar évoque surtout les vacances aux Européen•ne•s… même si les brochures promotionnelles vantent parfois son multiculturalisme.

Pourtant, le tourisme n’est pas le cœur de la vie mauricienne et son histoire vaut la peine d’être connue.

L’Île Maurice, une île réellement multiculturelle

Autrefois, seuls les oiseaux vivaient à Maurice : tous ses habitants d’aujourd’hui sont des descendants d’immigrés dont les ancêtres se sont installés à partir du dix-huitième siècle.

Française puis britannique avant de devenir indépendante en 1968, l’île a accueilli des populations du monde entier qui ont souvent conservé leurs langues, leurs religions et leurs pratiques culturelles.

On trouve ainsi une communauté blanche composée des descendants des anciens colons Français et plus rarement Anglais, une communauté dite « créole » dont les ancêtres étaient généralement des esclaves africains, une chinoise et plusieurs communautés indiennes (principalement hindoues, tamoules et musulmanes).

Les aïeuls de ces derniers sont généralement arrivés comme laboureurs des champs de cannes à sucre après l’abolition de l’esclavage dans le cadre de la pratique de « l’engagisme ».

Ce système avait été mis en place pour remplacer les esclaves et consistait à recruter des sujets d’autres colonies de l’Empire Britannique pour quelques années, contre un salaire… pour souvent se transformer en un contrat abusif devenant une forme d’esclavage déguisé.

Cette pratique n’était pas seulement anglaise puisqu’on l’a retrouvée dans des îles françaises aussi comme à la Réunion et dans une moindre mesure aux Antilles.

Le romancier Bertrand d’Espaignet raconte la genèse tumultueuse de cette population multiculturelle dans deux livres, best-sellers nationaux et autopubliés, la Saga des Bâtards dont le premier opus est intitulé La République des Bâtards.

Aujourd’hui, les communautés indiennes, et surtout la communauté hindoue sont les plus importantes en termes démographiques. Autrefois opprimés, comme le décrit le beau roman de Nathacha Appanah Les Rochers de Poudre d’Or (paru chez Gallimard), les hindous détiennent aujourd’hui le pouvoir politique et culturel.

Les « blancs », qui sont appelés « Franco-Mauriciens » et ne représentent que 2 ou 3% de la population, détiennent une grande part du pouvoir économique grâce aux terres et aux fortunes héritées de leurs ancêtres. En revanche, ils sont quasiment absents de la scène politique à proprement parler même si leur puissance économique leur laisse beaucoup d’outils de pression.

À l’inverse, les « créoles » descendants d’esclaves souffrent toujours de leur difficile héritage. C’est la communauté la plus pauvre du pays même si certains de ses membres s’en sortent bien. Au-delà des poches de pauvreté, il faut réaliser que l’Île Maurice n’est plus considérée comme un pays pauvre.

Dans de nombreux classements africains sur l’économie, la démocratie ou le niveau de développement, elle arrive souvent numéro un ! Le fait que certaines populations soient laissées sur le bord de la route est donc réellement un problème de société voire un problème politique.

plage île maurice

À lire aussi : Le patrimoine naturel créole — Carte postale de la Réunion

Une grande diversité linguistique et culturelle

Les immigrations multiples ont laissé une vraie marque sur la vie sociale et culturelle du pays. Plus que le français ou l’anglais toujours utilisés dans l’administration, la langue créole domine le paysage linguistique.

Née du temps de l’esclavage comme une langue de communication entre esclaves venus de différents pays et entre esclaves et maîtres, elle est nourrie par le français ainsi que plusieurs langues africaines, mais aussi le hindi ou l’anglais.

Aujourd’hui le créole est au cœur d’un débat politique et culturel entre ceux qui le considèrent avec une pointe de mépris et ceux qui y voient le cœur de l’identité mauricienne — presque tous les Mauriciens non-blancs ont le créole pour langue maternelle et tout le monde sait le parler.

Pour la communauté Afro-Mauricienne, c’est aussi une part essentielle de leur héritage culturel, les pratiques africaines ayant été souvent perdues ou s’étant mélangées dans une culture « créole » pendant la période de l’esclavage. Parmi ces éléments de culture créole, on trouve aussi la danse et le style musical emblématique de l’île, le séga.

Contrairement aux Franco, Indo ou Sino-Mauriciens, les Afro-Mauriciens n’ont pas pu conserver la mémoire de leurs ancêtres esclaves ou de leurs terres d’origine : leur identité culturelle est donc née sur l’île.

En-dehors du créole qui commence tout juste à être enseigné à l’école et n’a une forme écrite que depuis très récemment, certaines personnes parlent des langues indiennes à la maison comme le bhojpuri.

D’autres langues comme l’hindi, le marathi, le tamoul ou le mandarin sont enseignées à l’école pour les enfants des différentes communautés. Cela leur permet de comprendre sans sous-titres les nombreux films et séries indiens et les quelques films chinois qui passent sur les chaînes mauriciennes à côté des programmes en créole, en anglais et en français.

Surtout, ce lien culturel toujours vivace avec la France, l’Angleterre, la Chine et l’Inde s’est transformé en atout politique et économique : l’Île Maurice s’appuie aujourd’hui sur toutes ses origines pour se rapprocher de pays influents sur la scène internationale. La communauté musulmane quant à elle tisse de nouvelles relations avec les pays du Moyen-Orient comme Dubaï, ce qui réjouit le gouvernement.

La religion, un élément identitaire entre tolérance et tensions communautaires

La tolérance religieuse est un principe essentiel de la société mauricienne, même si le racisme et les tensions existent et s’expriment dans le cercle privé. Conscient de la diversité de sa société, l’État a mis en place des jours fériés pour chacune des grandes communautés religieuses.

Les hindous disposent de quatre fêtes comme la Fête des lumières Divali ou le Maha Shivaratree en l’honneur du Dieu Shiva, les catholiques ont droit à deux jours par an (Noël et Pâques ou la Toussaint selon les années), les musulmans en ont un avec l’Eid pour la fin du Ramadan, les Tamouls un aussi, et enfin les Chinois ont leur Nouvel An.

le festin chinois film diner

Pour chaque jour férié, la télévision publique s’attache à en expliquer le sens, l’Histoire et à donner la parole à des gens pour qui ce jour compte. C’est un excellent moyen pour les autres communautés de mieux comprendre leurs voisins, même si les Mauriciens des classes aisées ont tendance à snober la télé publique pour lui préférer les chaines étrangères du satellite.

Personnellement, j’aime me sentir concernée par la fin du Ramadan, la Fête des lumières hindoues et Noël tout à la fois, parce que je verrai des célébrations à la télé et que je ne travaillerai pas ce jour-là !

Je trouve que ça apporte un regard plus serein sur la religion, même quand on n’est pas croyant•e. La philosophie idéale des Mauriciens pourrait se résumer par « Respecte mes croyances et en échange je m’intéresserai aux tiennes ».

En conséquence, il n’est pas rare de croiser des Mauriciens qui participent à des fêtes ou des cérémonies qui ne les concernent pas directement : des catholiques feront un pèlerinage avec leurs amis hindous qui les ont invités, des hindous iront prier à la mosquée avec des amis musulmans, etc.

Je me souviens d’une question que j’avais posée à un groupe d’amis : un musulman expliquait qu’il allait sacrifier un bœuf pour le Ramadan, or le bœuf est un animal sacré pour les hindous. Je lui ai demandé si ses voisins hindous n’allaient pas être choqués par la scène. Les Hindous présents dans le groupe ont trouvé la question presque bizarre : « Le bœuf n’est pas sacré pour les musulmans, pourquoi ça nous choquerait qu’il en sacrifie un ? ».

La religion n’est en fait pas simplement une question de croyance, c’est une identité et une pratique culturelle pour beaucoup de Mauriciens. On entendra d’ailleurs parfois certains désigner un Afro-Mauricien comme un « Chrétien » sans lui avoir demandé sa religion ou un Indien comme un « Hindou », comme si c’était plus poli de parler de l’appartenance religieuse que de l’origine ethnique.

Exprimer sa religion en public est donc absolument normal puisque cela fait partie intégrante de l’identité et cette expression est officiellement respectée par tous… mais dans les faits, des crispations peuvent surgir.

Un cas récent avait fait grand bruit dans la presse lorsqu’une jeune fille avait écrit des propos insultants contre les musulmans sur Facebook. Dénoncée par un contact aux autorités, elle avait été arrêtée, condamnée à environ 600€ d’amende, s’était excusée et son histoire avait été au cœur de nombreux débats sur la haine religieuse.

Deux ans plus tard, c’était une sexagénaire qui était arrêtée et mise en détention provisoire pour des propos sur Facebook contre la fête religieuse tamoule après de nombreuses réactions outrées et même une manifestation.

Ces deux cas révélaient des tensions malheureusement bien présentes dans la société mauricienne que beaucoup voudraient pouvoir ignorer. Malgré l’idéal affiché de tolérance et d’harmonie, beaucoup dénoncent l’instrumentalisation des communautés par la politique.

En encourageant les divisions communautaires, certaines personnalités y gagnent en effet des avantages électoraux. Dans ce débat, ce n’est pas le « communautarisme » qui est dénoncé parce qu’il est jugé acceptable de s’identifier à une communauté plutôt qu’une autre, et d’envisager sa vie au rythme de celle-ci.

À l’Île Maurice, ce qu’on déplore c’est le « communalisme » qui est une forme de racisme : quand l’identité de communauté devient excluante voire haineuse et pousse au rejet de l’autre ou à accorder des privilèges abusifs à certains, elle devient un problème.

Ainsi, un hindou peut obtenir plus facilement un travail auprès de certains hindous qu’un créole, et un blanc en difficulté pourra souvent bénéficier du réseau influents des autres blancs de l’île quand des compatriotes plus compétents seront laissés de côté.

À lire aussi : J’ai testé pour vous… fêter la Saint-Patrick à Kilkenny, en Irlande !

L’aspiration à une identité commune

Même si le vivre-ensemble fonctionne remarquablement bien et sans troubles majeurs pour une île si diverse, une grande partie des Mauriciens continuent à s’identifier à leur communauté avant de se sentir Mauriciens. Certains, notamment parmi les jeunes, aspirent au changement pour une Île Maurice plus unie et moins marquée par les origines de chacun.

bénarès girls

C’est notamment l’une des influences du mouvement cherchant à faire reconnaitre le créole comme langue nationale. La langue née sur l’île, parlée par tous et qui a évoluée au fil des migrations deviendrait la langue officielle ? C’est tout un symbole !

Dans le même esprit, de nombreux artistes et militants associatifs se détachent progressivement de leurs identités communautaires pour se définir comme Mauriciens avant tout. À l’indépendance du pays, des écrivains et poètes appelaient déjà à un changement de mentalité.

Aujourd’hui, d’autres ont pris la relève simplement, sans en faire un enjeu politique. C’est le cas de beaucoup des musiciens de la nouvelle génération comme le chanteur Zulu qui est l’une des grandes stars du moment.

Il chante en créole, produit des hits aux parfums modernes mais très mauriciens, sans draguer une communauté plus qu’une autre ni mettre de côté les problématiques sociales et politiques. Ainsi, son grand succès de 2014, le titre La Métisse interprété en duo avec Mario Ramsamy (ancien du groupe Émile et Images à qui on doit la chanson Les Démons de Minuit), évoquait un univers léger dans une Île Maurice mélangée.

Dans un registre totalement différent, son titre Diego racontait un des grands conflits diplomatiques du pays, celui des îles Chagos autrefois gérées par le gouverneur de Maurice puis concédées par les Britanniques aux Américains pour en faire la base militaire de Diego Garcia.

Ce fut un véritable drame humain puisque les habitants avaient été expulsés quasiment par surprise des îles, et s’étaient retrouvés relogés à l’Île Maurice en espérant un retour impossible vers leurs terres natales. La question des Chagos est un des rares sujets pour lequel les Mauriciens expriment clairement un sentiment d’injustice face aux velléités occidentales.

La philosophie officielle prône en effet la « réconciliation » entre communautés, y compris avec la communauté des descendants de colons européens, quitte à détourner pudiquement les yeux de certaines questions sociales non résolues pour ne pas retourner le couteau dans la plaie des héritages du passé.

Dans son livre Le Silence des Chagos paru aux Éditions de l’Olivier, la Mauricienne Shenaz Patel décrit avec mélancolie et poésie l’errance des Chagossiens et le combat d’une de ses figures emblématiques.

Zulu, lui, le chante dans un titre plus directement dénonciateur qui prend aux tripes (les sous-titres en anglais ne correspondent bizarrement pas vraiment aux paroles).

La vie à l’Île Maurice est donc complexe, malgré l’aspiration à une identité commune.

À lire aussi : L’Île Maurice et ses enjeux sociaux : trois habitantes témoignent

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Les Commentaires

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Avatar de MorganeGirly
2 juillet 2015 à 15h07
MorganeGirly
@Pinceau_ Je pense que les couples mixtes sont encore un problème pour une partie de la population.

Plusieurs personnes qui ont dans les 20-40 ans m'ont dit qu'ils laisseront leurs enfants totalement libres d'épouser qui ils souhaitent parce qu'ils ne veulent pas leur imposer la pression qu'ils ont vécu. Ce qui sous-entend que la génération de leurs parents et de leurs grands-parents ne sont pas tous ouverts d'esprit sur le mariage mixte mais qu'eux aimeraient une évolution. Je pense donc qu'on va voir de plus en plus de mariages mixtes dans les années à venir et je pense qu'une certaine catégorie de la population "bourgeoise intello" est déjà ouverte à ça.
Mais ça touche un peu toutes les communautés : chinois, hindous, blancs, musulmans etc. La seule communauté un peu plus "libre" par rapport à cette question je dirais que c'est la communauté créole (afro-mauricienne) parce qu'historiquement le métissage blanc/créole, esclaves indiens/esclaves africains s'est beaucoup pratiqué et est donc moins taboue.
Sinon j'ai l'impression qu'épouser quelqu'un hors de la communauté passe beaucoup mieux si cette personne est carrément étrangère et pas d'une autre communauté mauricienne, d'où le fait que le racisme à la mauricienne soit particulier et qu'on parle de "communalisme" : c'est plus complexe qu'une question de couleur de peau ou de religion.

Après comme le décrit @Sandwichon, l'amour inter-communauté était bien plus compliqué autrefois, j'ai déjà entendu des témoignages de gens qui m'ont dit qu'une des raisons qui fait que leurs parents ont quitté l'Ile Maurice pendant plusieurs années c'était un ras-le-bol par rapport aux ragots et aux pressions sur leur couple mixte, voire carrément à un rejet violent. Je ne pense pas que ça irait jusque là aujourd'hui dans la majorité des familles hostiles à la mixité.

En fait c'est parfaitement ok d'être très ami avec des gens d'autres communautés mais le mariage c'est différent parce que ça touche à la structure familiale, à qui tu introduis dans la communauté etc. et là ça devient plus délicat.

Après, je pense que des Mauriciens seraient mieux placés pour en parler donc ce ne sont que des "impressions" ou des "suppositions" de ma part, je me trompe peut-être!
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