De Jodie Turner-Smith en Anne Boleyn à Gugu Mbatha Raw et Wunmi Mosaku dans Loki en passant par le reboot de Gossip Girl, les femmes noires prennent de plus en plus de place dans les fictions grand public.
Mais entre omniprésence des actrices à la peau claire, stéréotypes et décisions de casting qui mettent les comédiennes dans des positions vulnérables, le parcours des femmes noires dans les séries télévisées reste compliqué…
Dans le passé, des séries noires et des séries blanches
Vous avez grandi en regardant Moesha, La Vie de famille, Sister Sister, Girlfriends ou Ma Famille d’abord et donc les premières lignes de cet article vous ont fait tiquer ? Vous n’avez pas tort : oui, il y a toujours eu des femmes noires dans les séries télévisées… Mais leur présence était surtout cantonnée aux sitcoms avec des casting majoritairement noirs.
On peut même dire que le monde télévisuel américain des années 90 et 2000 pratiquait une forme de ségrégation !
Suite à l’épisode spécial réunion de Friends, de nombreux internautes ont pointé du doigt le manque de diversité dans la sitcom — un comble pour une série qui se déroule majoritairement à New York, l’une des villes les plus multiculturelles au monde. Mais en réalité, le manque de diversité de Friends était intentionnel : le programme culte a toujours été une version blanche de la sitcom Living Single qui racontait les aventures d’un groupe de potes mixtes à Brooklyn.
Des personnages aux thèmes en passant par le jour de diffusion (le jeudi soir), Friends et Living Single étaient les mêmes séries — mais pour un public différent.
Cette ségrégation est aussi évidente dans les séries pour ados des années 90 et 2000, notamment Les Frères Scott, Gossip Girl, Dawson, Buffy contre les vampires, Newport Beach, Freaks and Geeks ou encore Beverly Hills. Ces programmes n’avaient aucun personnage racisé dans leur casting principal, et encore moins des femmes noires.
Côté prestige, il faudra attendre 2015 et la série How To Get Away With Murder — produite par Shonda Rhimes — pour qu’une femme noire, Viola Davis, remporte le prix de la meilleure actrice dans une série dramatique.
La diversité très claire de peau a le vent en poupe
Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer une série sans diversité. Prenons l’exemple de Netflix : depuis quelques années, le géant du streaming s’est démarqué dans le monde des fictions pour ados avec notamment Stranger Things, Elite, Les nouvelles aventures de Sabrina, Ginny et Georgia, Outer Banks… Sans oublier les succès pour adultes que sont La Chronique des Bridgerton et Lupin.
La particularité de ces séries ? Un casting majoritairement blanc, mais comptant une poignée de personnages racisés — notamment des femmes métisses et/ou avec la peau claire.
Une forme de diversité qui est omniprésente dans les décisions de casting actuelles : la représentation « acceptable » pour les femmes noires est incarnée par des actrices à la peau claire. C’est du colorisme, une discrimination définie par l’autrice Alice Walker (La Couleur pourpre) comme un « traitement différentiel stéréotypé, souvent inégalitaire des personnes racisées selon la couleur de leur peau ».
Le colorisme se manifeste par une valorisation des peaux plus claires et des caractéristiques qu’on leur associe, notamment une texture capillaire plus lisse ou des traits de visage qui se rapprochent davantage des normes de beauté européennes.
Besoin d’une femme noire pour une série ? Il y a de fortes chances qu’une actrice métisse soit choisie. On pense à Alisha Boe dans 13 Reasons Why, Jaz Sinclair dans Les nouvelles aventures de Sabrina ou Manon Bresch dans Mortel. Et si certaines fiction (Outer Banks, Lupin, La Chronique des Bridgerton) ont des personnages d’hommes noirs, les femmes noires monoraciales, c’est-à-dire qui ne sont pas métisses, y sont presque inexistants.
Le problème n’est pas forcément que les producteurs et productrices de ces séries décident de ne pas caster d’actrices noires ; c’est plutôt qu’aujourd’hui, une femme noire « standard » dans une série se rapproche plus de Zendaya que de Precious Mustapha — l’une des rares actrices noires au casting d’une série pour ados estampillée Netflix (Destin : La Saga Winx).
Des femmes noires, oui, mais à quel prix ?
La différence entre l’époque de Friends ou Living Single et maintenant ? Il y a tellement de séries que le manque de femmes noires peut plus facilement être relativisé. Certains diraient même qu’une certaine tendance favoriserait les actrices racisées : celle consistant à choisir des comédiennes noires pour incarner des rôles traditionnellement blancs, comme Jodie Turner-Smith dans le rôle d’Anne Boleyn, mais aussi Candice Patton en Iris West ou Anna Diop incarnant Starfire.
Mais ces rôles importants — qui, eux, reviennent souvent à des femmes noires à la peau plus foncée — finissent par mettre les actrices dans des situations compliquées.
Harcèlement, difficulté à être correctement coiffée, faible popularité des personnages, développement limité de leurs intrigues (qui justifie aux yeux de certains encore plus de harcèlement)… être une femme noire dans une série majoritairement blanche peut être une position très délicate.
Anna Diop, qui a été sélectionnée pour interpréter le rôle de Starfire (originellement une alien à la peau orange) dans la série Titans, en a fait les frais en 2018 quand son embauche a été annoncée. Dès la sortie des premières images, le hashtag #NotMyStarfire a été utilisé par les fans pour protester contre ce choix de casting et des messages insultants lui ont été adressés sur son compte Instagram, la poussant à désactiver les commentaires.
À propos de l’entretien des cheveux, l’actrice Jodie Turner Smith a partagé une anecdote qui fait froid dans le dos dans une interview avec le magazine Glamour UK :
« Une fois, on m’a carrément demandé de m’excuser auprès de la coiffeuse parce qu’elle ne savait pas comment me coiffer. »
Candice Patton, l’interprète d’Iris West, a elle ouvertement critiqué les limitations de ces méthodes de casting au cours d’un panel :
« Ça ne suffit pas de caster une femme noire dans le rôle principal. Il faut ensuite écrire pour ce personnage. Il faut s’assurer qu’il y a des coiffeurs et des maquilleurs qui savent maquiller et coiffer les personnes noires. Il faut avoir des producteurs qui connaissent l’expérience noire à Hollywood.
Dans chaque département, il faut de la diversité. Pour que les acteurs et les intrigues soient protégés. »
Il faut aussi parler de l’utilisation des tropes (les stéréotypes) dans lesquels ces personnages sont enfermés, avec notamment l’omniprésence de la psychologue noire, de la meilleure amie noire…
Le problème de ces rôles ? Ils mettent les personnages dans des positions de faire-valoir, assignés à guérir ou conseiller le personnage principal blanc, tout juste bon à observer et commenter l’intrigue sans y être intégré. Cette position d’acolyte unidimensionnel mène à penser penser que la diversité n’est alors qu’une position marketing plutôt qu’une réelle volonté de raconter l’histoire des personnes noires.
Au final, être la caution « diversité » d’une série majoritairement blanche peut ressembler davantage à un cadeau empoisonné qu’à la panacée.
Représenter la diversité des femmes noires, le prochain challenge des séries
On ne peut pas s’empêcher de remarquer que les fictions dites « diverses » mais menées par des créateurs blancs proposent une diversité moins qualitative que les séries gérées par des personnes racisées.
On pense à Run The World, créée par une scénariste noire, Leigh Davenport, et produite par Yvette Lee Bowser, la créatrice de Living Single, qui raconte les aventures d’un groupe d’amies afro-américaines dans le quartier d’Harlem : au casting, on peut trouver une femme métisse mais aussi une femme noire avec la peau foncée et le crâne rasé, une femme noire avec les cheveux naturels, une femme noire à la peau brune…
Même constat pour la récemment annulée Lovecraft Country, dont la créatrice est également une femme noire, avec son casting composé de trois femmes noires ainsi que d’une femme asiatique, mais aussi pour Queen Sugar, Black Lightning, All-American, Pose, Insecure, P-Valley et bien sûr I May Destroy You. Toutes ces séries créées et produites par des personnes noires proposent une pléthore de personnages noirs avec des caractéristiques physiques variées.
Faut-il donc se dire que seule une série qui est présentée comme une « série noire » peut réussir à atteindre une meilleure forme de représentation ?
Pas forcément : même ces fictions pratiquent souvent une forme de colorisme, en mettant en second plan les personnages à la peau plus foncée (comme Lovecraft Country) ou en les diabolisant (comme Pose). On peut aussi constater que les programmes qui explorent les traumatismes des personnages noirs comme Them ou The Underground Railroad ont beaucoup moins de mal à faire appel à des actrices noires à la peau foncée pour interpréter les rôles principaux, car elles sont plus facilement associées à ce type de personnages.
Aucun doute sur le fait que les choses évoluent : les femmes noires n’ont jamais été aussi présentes dans les séries. Ça, c’est une bonne nouvelle. Maintenant, au tour des créateurs et créatrices de permettre le développement de personnages complexes et différents au lieu de « cautions diversité » sans relief !
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