Vous souvenez-vous de l’émission de télé-réalité America’s Next Top Model (abrégé en ANTM), créée, produite, animée et présidée par l’ancienne supermodel Tyra Banks ?
De 2003 à 2015, cette compétition tentait d’élire le prochain mannequin star des États-Unis, à travers des défis toujours plus ubuesques à base de photoshoots improbables et de podiums pleins d’obstacles.
Sauf que depuis la fin de l’émission, certains mannequins révèlent les coulisses de l’émission sur les réseaux sociaux et en dévoilent des coins encore plus sombres.
Les excuses tardives de Tyra Banks n’effaceront pas les années d’abus glamourisés dans ANTM
Déjà, en mai 2020, Tyra Banks avait tenu à présenter ses excuses publiquement concernant l’insensibilité révoltante de certaines épreuves, comme des séances photos en blackface ou en personnes sans domicile fixe, ou encore des remarques déplacés à propos des candidates transgenres.
Comme je vous en parlais récemment dans l’épisode #169 de Laisse-moi kiffer, j’ai grandi avec une certaine fascination pour cette émission. Mais j’ai bien conscience qu’elle a très mal vieilli !
Car la revoir aujourd’hui permet de se rendre compte de combien elle reproduisait, banalisait, voire glamourisait le pire de certaines violences sexistes, racistes, et classistes, à l’antenne.
Encore aujourd’hui, de nombreuses candidates prennent la parole sur YouTube et TikTok pour raconter d’autres violences survenues en coulisses, hors antenne.
Le média Dazed résume. Elles n’étaient payées que 40 dollars par jour (frais de nourriture compris). Les incitations à se doucher nues ensemble. Ou encore les intimidations de la part de soi-disant avocats qui les menaçaient de procès à 10 millions de dollars si elles brisaient leur accord de non-divulgation (clause de confidentialité dans un contrat).
5 moments « cultes » d’ANTM qui illustrent de sacrées violences
Si beaucoup de ces défis, délibérations et verdicts sont devenus des moments culte de pop culture voire des mèmes, les revoir aujourd’hui les éclaire d’une autre lumière. Celle d’un changement des mentalités, notamment aidé par #MeToo, concernant le harcèlement au travail, les violences sexistes et sexuelles, ainsi que le racisme et le classisme.
Voici quelques exemples les plus manifestes de mèmification de l’humiliation.
Le racisme d’une blackface, glamourisé
Dans la saison de 2005, un défi a consisté à échanger de races sociales, à grands renforts de maquillage, donnant lieu notamment à certaines blackfaces.
Une démarche complètement banalisée et glamourisée dans l’émission, mais qui ne passerait plus aujourd’hui. Car c’est raciste, les blackfaces, eh oui.
Les modifications corporelles sous la menace et la contrainte
L’émission était également coutumière des remises en beauté et relooking. Cela passait notamment par des rendez-vous chez des dentistes et chirurgiens, pour refaire le sourire de certaines…
En 2006, la candidate Danielle a refusé d’effacer ses dents du bonheur que Tyra Banks jugeait impossible à marketer (ce n’est pas comme si Vanessa Paradis avec son diastème était égérie Chanel depuis 1991, mais bref). Et ce, en des termes dégradants, accompagnés d’une grimace, avant de la menacer de la virer de l’émission.
C’est donc sous le coup de la peur que Danielle a fini par accepter de réduire l’écart entre ses dents de devant.
Les podiums dangereux et humiliants
Autre humiliation récurrente de l’émission : les catwalks toujours plus improbables et impossibles.
Devoir descendre des escaliers puis éviter des pendules géantes, tout en souriant au caméra, déambuler sur un semblant d’allée en pilotis instables sur l’eau tout en continuant à avoir l’air élégante et sereine, sans oublier défiler dans une bulle géante façon hamster, sur un lac, sans se laisser déstabiliser par des jets d’eau en prime… Stop !
Les agressions sexuelles impunies
Dans la saison 15, lors d’un photoshoot particulèrement exotisant, la candidate Keenyah a plusieurs fois exprimé son malaise face aux demandes pressant d’un photographe qui voulait que des hommes se tiennent toujours plus collés-serrés contre elle. L’un d’entre eux gémissait même à son oreille, ce qui n’a fait qu’augmenter son inconfort.
La candidate a fini par quitter le plateau en larmes, disant explicitement : « Ma limite a été franchie. » Comment banaliser la culture du viol et bafouer le consentement à l’antenne, but make it fashion.
Le harcèlement moral au travail
Enfin, la séance sans doute la plus connue de ANTM justement parce qu’elle est devenue un mème, c’est sûrement l’élimination de Tiffany dans la saison 4.
Ce qu’on oublie souvent, c’est le motif de l’engueulade : en voyant Tiffany prendre le temps d’embrasser les autres candidates en souriant pour leur dire au revoir, Tyra Banks estime qu’elle n’a pas l’air « assez triste » de quitter l’aventure. Alors elle lui sort un discours complètement déplacé dans un cadre professionnel, qui pourrait être juridiquement caractérisé de harcèlement moral, avec comme circonstance aggravante l’abus d’autorité en tant que supérieure hiérarchique :
« Tais-toi, Tiffany. Tais-toi ! Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? ARRÊTE ! Je n’ai jamais de ma vie hurlé sur une fille comme ça. Quand ma mère crie comme ça, c’est parce qu’elle m’aime. Je te soutenais, nous te soutenions tous ! Comment oses-tu !
Apprends quelque chose de ça ! Quand tu rentres chez toi le soir et que tu t’allonges dans ton lit, tu prends tes responsabilités. Parce que personne ne sera responsable à ta place. Tu roules des yeux… C’est parce que tu as déjà tout entendu ?
Loin d’avoir fini savon complètement excessif et injustifié, Tyra Banks assure ensuite son impunité personnelle et retourne la culpabilité en se plaçant comme la personne lésée par le comportement de la candidate éliminée qui n’a pas assez pleuré à son goût :
Tu ne sais pas d’où je viens. Tu n’as aucune idée de ce que j‘ai vécu, mais je ne suis pas une victime. Je grandis et j’apprends. Prends tes responsabilités. »
Imaginez votre boss vous hurler dessus comme ça. Publiquement. Que ce soit filmé, rediffusé à la télévision, et pour l’éternité en mèmes sur les réseaux sociaux.
En réalité, c’est l’une des séquences de banalisation des humiliations au travail et de retournement de la culpabilité les plus flagrantes et violentes qui soient. Bref, Tyra Banks est loin d’être une mannequin modèle — et depuis America’s Next Top Model, la société a fait un peu de chemin. Encore heureux.
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Crédit photo de Une : capture d’écran YouTube d’un extrait de ANTM.
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Les Commentaires
Chaque candidate avait lors d'un shooting une tenue très belle comme d'habitude mais pour la candidate si je me souviens bien elle était seulement en jean et l'avait d'ailleurs dit qu'elle n'était pas traitée comme les autres donc elle a fait des poses basiques et a la fin elle fut éliminé car Tyra trouvait qu'elle aurait dû s'adapter à la situation mais il y avait clairement une différence de traitement c'était flagrant.
En y repensant je me dis que le studio n'était sûrement pas habitué a avoir des mannequins "plus size" et c'était sûrement les seules tenues disponibles..