Devenir mère : un bonheur pour les unes, un enfer pour d’autres. Si c’était à refaire, certaines femmes s’abstiendraient pour retrouver leur liberté et épanouissement personnel. Incomprises par une société où la maternité est encore sacralisée, des femmes évoquent pourtant leur regret indicible d’être devenu mère à celles et ceux qui veulent bien les entendre.
La journaliste et autrice Stéphanie Thomas les a écoutées et a compilé leurs témoignages dans son livre Mal de mères, sorti le 6 octobre aux éditions JC Lattès. L’occasion de s’entretenir avec cette dernière sur cet ultime tabou : le regret maternel.
Interview de Stéphanie Thomas, autrice de Mal de mères
Madmoizelle : Pour écrire votre livre Mal de mères, vous avez été inspirée par un autre ouvrage, Le regret d’être mère de la sociologue israélienne Orna Donath. En quoi votre livre diffère ?
Stéphanie Thomas : Le livre d’Orna Donath est parfait et a le mérite d’avoir mis en lumière le regret de maternité. Il est très riche et très documenté mais ce qui m’intéressait le plus, c’était de savoir qui étaient véritablement ces femmes et de raconter leur histoire. En tant que journaliste, j’avais besoin de plus de « chair », de plus de vivant.
Comment avez-vous pris contact avec les femmes qui témoignent dans votre livre ? Ont-elles accepté de se livrer facilement ?
Via des forums de discussion sur Internet.
Après avoir posté une annonce expliquant mon enquête et ma recherche de femmes regrettant leur rôle de mère, j’ai reçu une trentaine de messages. Au final, je me suis concentré sur dix femmes.
Les interviews se sont déroulées pendant les phases de confinement, donc je n’ai pu rencontrer que certaines d’entre elles. Tout le reste a été fait par téléphone.
Elles étaient toutes très contentes de pouvoir trouver une oreille attentive parce que la plupart d’entre elles n’évoquent pas leur regret avec leur entourage — ni leurs amis, ni leur conjoint. C’est une parole qui est difficile à entendre parce qu’elle effraie.
Quelles sont les différentes raisons évoquées par les femmes que vous avez rencontrées quant à leur regret maternel ?
Ces femmes ont très à coeur de prendre soin de leurs enfants, mais elles effectuent toutes les tâches dans un mode opératoire, ce qui devient très fatiguant. Surtout que pour la plupart d’entre elles, elles ont déjà dû remplir des tâches en étant enfant, en s’occupant de petits frères ou de petites sœurs voire d’une mère défaillante.
Certaines viennent en effet de familles dysfonctionnelles. D’autres devaient jouer le rôle de la petite fille modèle alors qu’elles n’aspiraient qu’à être plus libres. Le modèle familial les a complètement enfermés et entravés leurs rêves, leurs envies et leur liberté.
La pression familiale et sociétale, parfois religieuse, est tellement forte qu’elles ont accepté, contre leur gré, d’avoir un enfant parce qu’une femme ne devient soit-disant pleinement accomplie qu’une fois mère.
Mais je ne peux pas tirer de réelle conclusion parce que je n’ai interviewé qu’une dizaine de femmes.
Ces femmes regrettent leur statut de mère mais n’en aiment pas moins leur enfant.
Effectivement, si certaines ont pris du temps avant de réussir à tisser un lien avec leur enfant, elles m’ont toutes assuré l’aimer.
Finalement, pourquoi le regret de maternité demeure un tabou dans notre société ?
Parce que ça renvoie à chacun d’entre nous. Tout le monde a peur d’être cet enfant regretté. Je ne suis pas psy, mais quand j’ai parlé du sujet de mon livre à mes amis et amies, ils et elles m’ont de suite répondu :
« Oh mon Dieu, les pauvres gosses ! »
Une des mères, Victoria, ose justement évoquer son mal-être avec sa fille.
Effectivement, c’était trop lourd pour Victoria de cacher ses sentiments. Juste avant la parution sur les réseaux sociaux d’un article où elle évoque son regret de maternité, elle en parlé à sa fille. Cette dernière l’a bien pris et lui a même dit qu’elle a été une mère exemplaire, qu’elle avait pleinement rempli son rôle.
Savez-vous si les autres mères comptent elles-aussi en parler avec leur enfant ?
Il y a Julia, qui écrit un journal de bord depuis la naissance de sa fille pour raconter ses états d’âme et la difficulté d’être mère. Mais il me semble que la plupart d’entre elles n’ont pas spécialement l’envie ou le courage d’en parler parce qu’elles aiment leur enfant et ne veulent pas leur faire du mal.
Durant les entretiens que vous avez menés, est ce qu’une phrase en particulier vous a marquée ? Si oui, laquelle ?
Je me souviens d’Ambre qui m’a dit :
« Si je ne m’intéressais pas à mon regret de maternité, on pourrait considérer que je suis une mauvaise mère. »
C’est en effet parce qu’elle s’intéresse à son regret qu’elle est une bonne mère. Cette phrase m’a obligée à me poser des questions sur ma maternité, mon rapport avec ma fille et mon rapport familial.
Qu’avez-vous appris personnellement en écrivant ce livre ?
Désormais, je ne dis plus à ma fille « le jour où tu auras des enfants », mais « si un jour tu as des enfants ».
Et il faut à tout prix dédramatiser le regret de maternité. Ce n’est pas grave de regretter d’avoir eu des enfants, ce qui est dommage est de le vivre encore comme une honte. Il faut vraiment que l’on commence à entendre ces femmes et les comprendre.
À lire aussi : J’aime ma fille mais je regrette d’être devenue mère
Crédit photo de Une : Keira Burton (Unsplash)
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires
ça ne m'a pas blessé car je sais que ce n'est pas contre moi.
Surtout elle peut me dire qu'elle regrette ça ne change pas la réalité : nous sommes là et elle a été une mère à la hauteur, qu'importe le jugement de la société.
Je dirais plus que ça m'a mise en colère contre mon père qui s'est entêté dans une affaire professionnelle qui faisait qu'il était tout le temps absent en plus de ne pas être très rentable.
Après les premières fois qu'on a parlé de ça j'avais fini mes études donc j'étais déjà adulte. Je dis pas qu'ado je n'aurais pas eu du mal à l'entendre dire ça.
Tes mots expriment très bien les sentiments de ma mère je pense.
Elle m'avait résumé ça en disant "Je ne pensais pas que ce serait aussi dur d'élever deux enfants."