« L’identité masculine n’a rien d’intangible : on ne naît pas homme, on le devient » : c’est en détournant la fameuse phrase de Simone de Beauvoir que Xavier Molénat conclut l’un de ses articles pour Sciences Humaines.
Pour son numéro de juin, le magazine propose en effet un focus sur l’identité masculine (pour celles et ceux que ça branche, certains articles disponibles gratuitement sont linkés à la fin de cet article – n’hésitez pas à y faire un tour et à feuilleter le magazine, ce focus est sacrément bien fichu).
Les hommes sont-ils en train de perdre le pouvoir, de passer au second plan, de se laisser écraser par des femmes de plus en plus dominantes (haha) ? Qu’entend-on par « identité masculine » ? Quelles idées fondent nos représentations du masculin ?
La fin des haricots pour les porteurs de pénis ?
Dans l’un de ses papiers, X. Molénat dégaine (et dézingue) l’ouvrage d’Hanna Rosin, une journaliste américaine, auteure de The end of men, qui nous affirme peu ou prou que ÇA Y EST, l’ère nouvelle est arrivée, les femmes ont des diplômes, des métiers de fifous et des $$$, tandis que les hommes sont largués, ne pigent pas comment prendre leur nouvelle place, perdent leurs repères.
En bref, les hommes seraient f-i-n-i-s et les femmes gagneraient du terrain. Vraiment ?
Si même les fillettes de 12 ans cognent les mecs, où va le monde, je vous le demande.
Cette description, pas forcément folichonne, est fantaisiste… Faites l’exercice : allez observer les statistiques de l’INSEE (ici), choisissez donc votre région et voyez donc si les salaires et les postes des femmes et des hommes se valent. On a encore du chemin…
Ainsi, s’il y a eu des avancées certaines à propos de la condition des femmes, les hommes ont toujours leurs privilèges. Si les avantages objectifs sont pour l’heure bien gardés, des choses ne se sont-elles pas jouées dans nos définitions de la masculinité ? Les lignes de l’identité masculines ont-elles bougé ? La domination masculine peut-elle aussi faire des dégâts sur les hommes ?
La définition de l’homme nouveau est-elle arrivée ?
Oui, donc, c’est quoi, être un homme ? Être un homme, jusqu’à présent, c’est surtout ne pas être une femme. La norme masculine en vigueur rejette ce qui est perçu comme « féminin », encense la « virilité », la force, le courage, la domination…
Ils ont cru qu’on le verrait pas celui au fond à gauche qui porte un BOB ?
Pour Erik Neveu et Christine Guionnet, les hommes devraient suivre un « cahier des charges de la masculinité hégémonique » – pour être un vrai bonhomme, il faudrait satisfaire quatre exigences principales :
- Se méfier de ce qui est féminin (on fait des trucs de BONHOMME, t’sais)
- Garder la face en toute circonstances (pleurer, c’est pour les femmelettes, et avoir tort, c’est impossible)
- Donner une impression de force et d’agressivité (c’est peut-être pour ça, par exemple, qu’on peut voir un candidat de téléréalité balancer une chaise et gueuler des trucs sans sens : « Tu me traites pas de faux tout court ! Tu me traites pas de faux tout court ! »)
- Rechercher la consécration sous toutes ses formes (pour être le meilleur des BOGOSS !).
BON. D’une, comme le souligne Sciences Humaines, cette image ne correspond à pratiquement personne (non mais sans blague, qui est aussi manichéen ?). De deux, cette image dépend aussi des contextes et des milieux – être un homme ici, ce n’est pas être un homme là (les groupes peuvent être traversés par d’autres inégalités ; il pourra par exemple y avoir plus de proximité entre une ouvrière et un ouvrier qu’entre une ouvrière et une chirurgienne).
De trois, comme la représentation de la féminité, celle de la masculinité ne repose sur rien d’immuable : les identités de genre sont acquises, et non innées. De fait, bon nombre d’hommes pourront ne pas se sentir à l’aise face à ces injonctions à la virilité. Que se passe-t-il lorsque l’on ne peut et/ou ne veut pas se conformer à ces rôles masculins ?
La domination masculine, du côté du « dominant »
La chercheuse Christine Guionnet, entre autres choses, étudie le prix de la domination masculine pour les hommes.
Que l’on s’entende bien : le coût de la domination pour la classe dominante n’est bien sûr pas le même que pour la classe dominée… Mais ce coût existe tout de même : il est à la fois subjectif (les hommes qui adoptent certains comportement et attitudes pourront être stigmatisés, moqués, perçus comme « non-hommes », ils devront pas exemple ne pas pleurer, ne pas avoir peur, ne pas avoir mal, être hétérosexuels, avoir un palmarès de conquêtes sexuelles fourni, une carrière qui claque…) et objectif (les accidents de la route, les suicides, les comportements violents et les homicides seraient plus nombreux chez les hommes). Pour Pascale Molinier, si les hommes ne sont pas les seuls à plaindre, « il ne s’agira pas [toutefois] de nier leurs difficultés. Dans le camp santé mentale/travail, les manifestations de la souffrance masculine sont bruyantes et inquiétantes. […] Quand les hommes craquent, c’est souvent dans la violence contre autrui ou dans la violence retournée contre soi-même, souvent brutalement et sans faillir. ».
Vers un changement de l’identité masculine ?
Mais depuis peu, l’image du masculin vacillerait ; rien n’est bouleversé, rien n’est en crise, mais un changement pointerait timidement le bout de son nez : certains hommes s’approprieraient des caractéristiques jusqu’alors perçues comme non-viriles, auraient le désir de s’investir plus profondément auprès de leurs enfants, aspireraient à une égalité réelle…
Le truc, c’est qu’instaurer de nouveaux modèles masculins, devenir autre chose suppose aussi de lâcher des privilèges : avec justesse, Sciences Humaines souligne par exemple qu’entretenir des relations plus proches avec ses mouflets suppose d’être prêt à faire des sacrifices professionnels, d’envisager le partage des tâches domestiques, de se taper AUSSI les moments relous avec les mômes, etc.
Que l’on soit clair : lorsque l’on parle de ce commencement de changement, on ne fait aucunement référence à SOS Papa et consorts. À leur sujet, le magazine tape aussi juste : ces gens-là, en tout cas ceux qui tirent les ficelles du mouvement, ne bataillent pas pour que les hommes changent de rôle, pour que les pères aient un rôle véritablement plus important auprès de leurs enfants – ils ne se battent pas, par exemple, pour augmenter la durée du congé paternité, pour ouvrir plus de crèches, pour pousser à plus d’égalité…
Ils se battent pour la garde, pour écorcher un peu plus le féminisme, pour s’accrocher à un vieux rêve machiste ; alors même que, ça ne manque pas de sel, les décisions de garde seraient pour la plupart décidées par les justiciables eux-mêmes.
La domination masculine ne rend service à personne
Tout compte fait, la domination masculine emmerde un peu tout le monde, à des degrés différents. Les représentations de genre sont dommageables pour les hommes comme pour les femmes ; pour travailler à enclencher un processus d’égalité, il faudrait également passer par la transformation de nos représentations de ce qu’est un homme, de ce qu’est une femme – ou en tout cas de ce que chacun-e devrait être. Il y a des femmes, des hommes, des individus qui ne se retrouvent nulle part. Nos attitudes, comportements, pensées ne devraient pas être imputées à notre genre – et ça ne devrait pas nous défriser.
Pour aller plus loin…
- Quelques articles du focus proposé par Sciences Humaines : la fin des hommes, masculins pluriels et des papas lésés
- Sexisme, masculinité-féminité et facteurs culturels
- Déconstruire la crise de la masculinité – Pascale Molinier
- Les cahiers du genre
- Boys don’t cry : les coûts de la domination masculine
Les Commentaires
Je manque d'info sur ce mouvement et du coup je n'ai pas compris du tout or ça m'intéresse cette question de garde des enfants, du droit du père à voir ses gamins en cas de séparation. Que fait cet organisme et en quoi est-ce "anti féministe"?