VH1, une chaîne musicale argentine, diffuse en ce moment un spot vidéo contre le harcèlement scolaire. Sur l’air d’I will survive de Gloria Gaynor, on voit des élèves se faire maltraiter par leurs camarades.
Les paroles ont été changées pour des promesses de vengeance : « je serai ton patron », « tu seras mon esclave », « je t’appellerai à toute heure », « tu n’auras jamais d’augmentation », « tu seras mon animal domestique ».
Conclusion : ne harcelez pas l’intello de la classe, c’est lui/elle qui sera votre boss plus tard !
Sur certains points cette campagne frappe juste : elle est plutôt drôle (c’est en tous cas l’avis de tous les sites Internet qui l’ont relayée) et surtout elle est pragmatique. Selon Del Campo Saatchi & Saatchi, l’agence qui a créé la publicité, le spot vise les « cool kids » qui regardent VH1. Au lieu de jouer sur leur corde morale elle leur fait craindre des conséquences bien réelles : la vengeance de celles et ceux qu’ils ont maltraité-e-s.
Le pragmatisme est-il plus important que la morale ? On pourrait en débattre des heures, avec des arguments recevables de tous les côtés. Mais cette vidéo pose un problème plus pressant : elle justifie la vengeance — le spectateur ressent de l’empathie pour les victimes, ce qui est bien normal, et rit d’avance devant le sort de leurs bourreaux.
Le cercle vicieux du harcèlement
Mais cette vidéo justifie une autre forme de maltraitance ? parce que oui, être un patron tyran est une forme de maltraitance, le harcèlement à l’école est une réalité terrible mais le harcèlement au travail l’est aussi.
Bien sûr que
quand on subit ce que subissent ces mômes, on a envie de se venger. Il est toutefois peu probable d’en tirer un soulagement sur le long terme : la rancœur, ce n’est pas ce qui rend le plus heureux.
Mais surtout, ce spot accrédite l’idée que souffrir donne le droit de faire souffrir les autres. Ce système ne peut que produire plus de harcèlement, comme avec certains enfants battus qui deviennent à leur tour des parents abusifs à cause de la violence qu’ils ont subie.
« Je me rends compte que je n’ai fait que reproduire bêtement le schéma dont j’ai été victime, histoire de briser mon image d’intello ; histoire de ne plus être en bas de la hiérarchie des boucs émissaires ; histoire de croire que cela me fait exister socialement. »
« Frapper fort mais surtout frapper d’abord, pour ne pas être soi-même frappée. […] Pour moi, c’était juste un moyen de défense, ma carapace pleine de piquants. »
« Je m’arrangeais toujours pour l’attention des gens se porte sur un bouc émissaire comme ça j’étais sûr que pendant qu’ils lui faisaient sa fête à elle, ce n’était pas moi la cible. »
« I will survive »
L’idée de la chanson I will survive partait très bien. L’agence voulait mettre l’accent sur la réussite des enfants abusés (en oubliant au passage que tou-te-s ne triomphent pas scolairement, surtout après un tel traumatisme), ce qui aurait pu être très positif.
Pour délivrer un message d’espoir ? certes moins grinçant et moins « fun » ? la vidéo aurait pu montrer des jeunes qui dépassent leurs souffrances et réussissent leur vie malgré tout (leur vie, et pas seulement leur scolarité et leur carrière). Ce serait déjà un beau pied de nez à leurs agresseurs.
« Survivre » comme on le voudrait dans un message positif, ce n’est pas seulement « rester vivant » : c’est arriver à faire des violences que l’on a subies un élément du passé. Si on arrive à le faire, on n’a plus envie de se venger : la souffrance est derrière soi, le feu est éteint.
Si vous avez été harcelé-e quand vous étiez plus jeunes, c’est tout ce qu’on vous souhaite.
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Les Commentaires
Mais mon intention n'a jamais été d'interdire à qui que ce soit de ressentir de la colère oO
Chacun réagit à sa façon, c'est pourquoi je ne vais pas contredire les messages comme la réponse d'Alicia89.
Mon message n'était pas un reproche ou une proposition de dictature sur ce que les gens devraient faire.
J'ai simplement été choquée par la lecture de quelques messages, et je me suis sentie + ou - obligée de réagir.
J'exprime un avis personnel. Maintenant désolée, j'ai peut-être trop de foi en l'humanité, mais je ne peux pas trouver le désir de vengeance "sain" et "normal" et ça ne me laisse pas indifférente de lire certaines choses, pour moi ça reste quelque chose de négatif.
Et surtout, ce qui est le sujet de base de mon 1er message, à mon sens, cette colère est mal dirigée, et pas une solution (ce qui est un avis théorique bien sûr, je sais qu'en pratique c'est différent)