L’initiative des étudiants d’Harvard a influencé beaucoup d’autres universités : on a vu fleurir les « I, Too, Am Oxford », les « I, Too, Am Cambridge » mais aussi le très français « I, Too, Am ENA ».
Comme leurs homologues américains, ces jeunes hommes noirs (que des hommes pour l’instant) posent avec des phrases qu’on leur a adressées. Preuve s’il en fallait que le racisme n’est pas cantonné à l’autre côté de l’Atlantique.
Article publié originellement le 7 mars 2014 :
« I, Too, Am Harvard » : « Moi aussi, je suis Harvard ». Cette réalité, les étudiant-e-s noir-e-s de la célèbre université sont obligés de la rappeler, car leur place y est sans cesse remise en question.
Tout est parti d’une étude de Kimiko Matsuda-Lawrence, en deuxième année à Harvard, qui a décidé d’interroger des élèves noir-e-s sur leurs expériences. Malgré la diversité des profils, beaucoup ont raconté des histoires de discrimination et d’isolement.
Ces douzaines de témoignages anonymes ont donné naissance à une pièce, qui sera jouée ce vendredi 7 mars à l’université, et à une campagne photographique.
Sous la forme désormais classique de sujets tenant une pancarte, les étudiant-e-s expriment ce qu’ils/elles ont sur le cœur ou dénoncent des propos racistes qu’ils/elles ont trop entendus.
« Nos voix sont rarement entendues sur le campus », peut-on lire sur les quelques lignes d’introduction du Tumblr. « Nos expériences sont dévalorisées, notre présence est remise en question. Ce projet est notre moyen de répondre, de réclamer ce campus, de nous lever pour dire : Nous sommes là. Cet endroit est le nôtre. Nous AUSSI nous sommes Harvard. »
La campagne est également composée d’une vidéo, vouée à promouvoir la pièce de théâtre :
« Être noir pour moi, c’est croire. Croire en ce que vous ne voyez pas. Car nous, en tant que personnes, souvent nous ne voyons pas de validation, d’inspiration, dans le contexte de l’Amérique en général ou même à Harvard. Donc pour moi c’est croire que je suis important, valable. Que j’ai de la valeur, même si tout le reste me dit que ce n’est pas le cas. »
« Pour moi être noire signifie être mêlée à une histoire immense, belle et difficile. Cela signifie se lever tous les jours dans cette peau brune et savoir que je suis une créature merveilleuse [ce qu’est l’humain selon la Bible]. Je pense vraiment que les personnes noires sont sensationnelles, pour tout un tas de raisons. »
« Au début de l’année, quand je me présente, parfois les gens ont un temps d’arrêt et font genre « Attends, qu’est-ce que tu es ? » et je réponds « Comment ça, qu’est-ce que je suis ? » et ils demandent « De quelle race es-tu ? » donc je dis « Ben, je suis à moitié blanche » et ils sont genre « Oui, ça on le voit bien » – vous savez les cheveux roux, les taches de rousseur… – et ensuite je dis « Je suis aussi à moitié noire » donc ils disent « quoi, t’es noire ? » et je réponds « Non, je suis à moitié noire, et à moitié blanche. Je suis le lot entier. Je ne suis pas seulement l’un, je ne suis pas seulement l’autre, je suis les deux. » »
« Je suis noire et Japonaise, je suis « blasian » [black + asian], mais je suis noire. Parce que personne ne va jamais me regarder et dire « Oh, regarde cette fille asiatique ! ». Surtout que l’année dernière, dès qu’on est arrivés sur le campus les articles sur la discrimination positive sont sortis. Les gens nous ont dit « Tu n’es pas faite pour être ici. Tu ne mérites pas d’être ici ». Donc ce n’est pas comme si j’avais pu me cacher dans mon côté asiatique et faire semblant de ne pas être noire, à ce moment là c’était vraiment au premier plan, et j’ai réalisé les implications de ce que ça signifiait, être là sur ce campus. »
[Panneau : « Rien n’est plus dangereux au monde que la véritable ignorance et la stupidité consciencieuse.» (citation de Martin Luther King)]
« Il y a toujours ce moment où tu es le seul étudiant noir dans ta section… » « Quand tu es en classe, que tu es le seul gamin noir et que le mot en N [« nigger »] surgit, ou quelque chose dans un livre ou un truc où il y a de l’esclavage, ou quoi que ce soit du genre… » « La question de la race advient, ou la question de l’esclavage, ou un truc comme ça… »
[Ensemble :] « Tout le monde te regarde.» « Comme si tu allais parler pour ta race… » « Comme si tu représentais toutes les personnes de ta race et soudain ta voix va avoir tellement de poids…» « Et c’est un peu frustrant parce que tu pourrais espérer que les gens comprennent que les personnes noires sont toutes différentes et n’ont pas toutes la même opinion sur les mêmes questions…» « Ou alors c’est genre : est-ce qu’elle va s’énerver ? Comment va-t-elle réagir ? Est-ce qu’on devrait marcher sur des œufs concernant ce sujet ? Et je suis genre : non… J’apprends, comme tout le monde. » « Donc je suis toujours tentée de rester en retrait et de ne rien dire, parce que je ne veux pas avoir l’impression qu’ils vont prendre tout ce que je dis comme représentatif de tout le monde. »
« Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été assez consciente de la race et de toutes les nuances qui y sont associées, mais ce dernier semestre a été… étrange, intéressant et inconfortable, parce que c’était la première fois depuis longtemps que je sentais le fardeau d’être noire en classe, et d’être noire sur le campus d’Harvard. Je ne sais pas pourquoi je ne le sentais pas autant en première année, mais cette année en classe et partout sur le campus je me suis sentie tout simplement… l’autre.
Et je ne me réclamais pas vraiment d’Harvard au début, je disais « Oh, je vais à Harvard mais je ne suis pas vraiment d’Harvard, je ne me sens pas comme une étudiante d’Harvard typique. » Ça m’a pris du temps et beaucoup d’expériences de prouver, de démontrer que moi aussi, je suis Harvard. »
« Ce campus est le nôtre, nous l’avons construit. Harvard ne serait pas là sans nous, il a été construit sur le dos des esclaves, et les personnes noires sont une part très importante d’Harvard, mais notre présence est souvent ignorée et dévalorisée. Je pense donc que c’est vraiment à nous de nous l’approprier. »
« Je crois au fait que ce campus est le mien, et je pense que je n’ai pas à user du mérite, des distinctions ou d’un statut socio-économique pour défendre ma place ici. »
« A ceux qui en doutent : tout le monde ici incroyablement brillant, tout le monde ici a travaillé incroyablement dur. »
« Nous avons sans aucun doute notre place ici et je crois personnellement que, si je n’y avais pas ma place, Dieu m’aurait placé ailleurs. »
[Plusieurs personnes :] « Moi aussi, je suis Harvard. »
« Moi aussi je suis… » [Différentes voix :] « innovante » « belle » « créative » « fougueuse » « passionnée » « enthousiaste » « imposante » « intelligente » « philosophique » « tenace » « productif »
« Moi aussi, je suis Harvard. »
« Ce n’est pas une campagne contre Harvard » a déclaré Kimiko Matsuda-Lawrence au Boston Globe mercredi. « Nous élevons nos voix et essayons de changer Harvard pour le meilleur. Nous ne déployons pas seulement des statistiques sur les minorités. Nous demandons : est-ce que les étudiants de couleur ont l’impression qu’Harvard leur appartient ? ».
« En tant qu’étudiants noirs à Harvard, un lieu de pouvoir et de privilège, nous avons un devoir envers la communauté noire en général », a-t-elle également affirmé.
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